Nirvana – Le Bonheur Suprême

NIRVANA
LE BONHEUR SUPREME

DU MEME AUTEUR :

  • Major Religions of India
  • Divine Messengers of Our Time
  • Homage to Yogaswami
  • New Insights into Buddhism
  • Miraculous Waters of Lourdes
  • Servant of God : Sayings of a Self-Realised Sage Swami Ramdas
  • Mysterious Stories of Sri Lanka
  • The Stranger & Other Stories
  • The Holy Guru and Other Stories
  • So You Want to Emigrate toEngland, Mohandas
  • Living and Dying From Moment to Moment
  • That Pathless Land
  • Bliss of Reality
  • J.Krishnamurti As I Knew Him
  • Sayings of J.Krishnamurti
  • A Bibliography of the Life and Teachings of Jiddu Krishnamurti
  • Jiddu Krishnamurti : A Bibliographical Guide
  • Staff Exchanges in Librarianship
  • In-Service Training in Librarianship
  • The Role of Conferences in the Further Education of Librarians
  • Memoirs of an Oriental Philosopher
  • My Philosophy of Life
  • The Pure in Heart

S U S U N A G A W E E R A P E R U M A

Nirvana

Le Bonheur Suprême

Traduit de l’anglais par Nestor Denet

et Claudia Weeraperuma

Titre original :

Nirvana the Highest Happiness

La première version de cette traduction par Nestor Denet a été révisée par Dr Claudia Weeraperuma. La deuxième version par Dr Claudia Weeraperuma a été informatisée par elle.

© Susunaga Weeraperuma

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Table des Matières
  1. La personnalité de Bouddha _____________________ 1
  2. Ambapali : une femme de plaisir _________________  10
  3. Angulimala : un meurtrier en série devenu Arhat ______ 22
  4. La doctrine bouddhiste du karma ________________  25
  5. Réflexions sur la pratique de la méditation __________ 33
  6. L’art de la méditation véritable __________________ 39
  7. Le « je » existe-t-il réellement ? __________________45
  8. Quel est l’objet du Dharma ? ____________________ 55
  9. La croyance en un Dieu-Créateur ________________  60
  10. Pourquoi croire en Dieu ? _____________________  64
  11. Conversation du Bouddha avec un fermier __________ 71
  12. Eloge d’une vie solitaire _______________________75
  13. Qu’est-ce qu’un brahmane authentique ? ___________  86
  14. Qui est un ami sincère ? ______________________  118
  15. Le bouddhisme excuse-t-il ou condamne-t-il la consommation de viande? _________________________________ 123
  16. La force de la psalmodie Paritta _________________133
  17. Notre dette de gratitude envers nos parents ________   141
  18. Qu’est-ce le Nirvana ? _______________________  147

Remerciements

J’exprime mes remerciements les plus profonds à mon épouse le Dr Claudia Weeraperuma pour avoir consacré tout son temps à éditer mon manuscrit dont nous avons longtemps discuté la teneur.
Les illustrations de ce livre sont aussi l’œuvre de Claudia.

Toute ma reconnaissance va au Vénérable Bhikkhu Bodhi dela Sociétéd’édition bouddhiste ( Buddhist Publication Society) du Sri Lanka, au Vénérable K. Sri Dhammananda du Vihara Buddhiste de Kuala Lumpur (Malaisie) et au Vénérable Thanissaro Bhikku du Monastère dela Metta Forest(Metta Forest Monastery) en Californie pour m’avoir permis de citer leurs excellentes traductions des écritures du bouddhisme pali.

« Ambapali : A Lady of Pleasure Who Attained Buddhist Sainthood » a été publié pour la première fois dans The Mountain Path en décembre 2000 et plus tard dans Vedanta en juillet-août 2001.

« Meditations on the Practice of Meditation » a été publié pour la première fois dans The Mountain Path en juin 2001.

« What is Nirvana ? » a été publié pour la première fois dans le numéro Jayanti 2001 de The Mountain Path.

« In Praise of a Solitary Life » a été publié pour la première fois dans le numéro Aradhana 2002 de The Mountain Path.

« Our Debt of Gratitude to Our Parents » a été publié pour la première fois dans le numéro Jayanti 2002 de The Mountain Path.

Dans le livre actuel, j’ai inclus des extraits de certains œuvres publiés antérieurement, particulièrement des trois livres suivants, tous publiés par Motilal Banarsidass, Delhi (Inde) :

  • Major Religions of India
  • Living and Dying From Moment to Moment
  • Bliss of Reality
  • That Pathless Land

1. La personnalité du Bouddha

« Cette religion (le Bouddhisme) … doit être considérée comme la plus noble sur cette terre à cause de son excellence intérieure et de sa vérité…

Arthur Schopenhauer
Über den Willen in der Natur 1854

Quel genre d’homme était le Bouddha ? Le mot « Bouddha » n’est pas un nom mais bien un titre signifiant « l’Eveillé ».

Ceux qui ne sont pas entièrement éveillés et qui n’en ont pas conscience ne sont évidemment pas des Bouddhas. Lorsque la conscience est complètement libérée et s’aperçoit vivement à la fois du monde intérieur et extérieur, alors l’individu peut être considéré comme ayant atteint l’état de Bouddha. Car chaque être humain est un Bouddha potentiel. Mais cet état n’est pas un don des dieux. La transformation spirituelle de Gautama était le résultat d’un travail très ardu. Le Bouddha n’était pas « l’élu » d’une puissance divine ou non.

Avant sa transformation qui eut lieu à l’âge de 35 ans, le Bouddha s’appelait Prince Siddharta Gautama. Bien que les dates exactes de sa naissance et de son décès soient inconnues, il naquit au 6e siècle avant J.C. à Kapilavastu dans une région s’étendant du sud de Népal au Gange. Il était fils unique du roi Suddhodhana et de la reine Maha Maya. Sa mère mourut sept jours après sa naissance et il fut élevé par la sœur de sa mère qui était aussi l’autre épouse de son père.

Siddharta vécut une vie fastueuse à la cour de Kapilavastu, ignorant des vicissitudes de la vie telles que la vieillesse, la maladie et la mort, menant joyeuse vie sans privations. Il épousa assez jeune sa cousine Yasodhara qui lui donna un fils unique appelé Rahula.

Ce chapitre est une version revue de la conférence donnée en 1977 à l’occasion du Vesak en commémoration de la naissance, de l’Illumination et du décès du Bouddha à la Société Théosophique d’Adélaïde (Australie).

On connaît mal la vie qu’il mena dans ses jeunes années, mais on peut se faire une idée de sa personnalité en se référant à la littérature bouddhique. Un de ces amis se plaignit à son père, qu’il consacrait trop de temps aux plaisirs, et qu’il négligeait l’art militaire, art nécessaire pour mener son peuple à une guerre éventuelle. Un jour, il défia ses adversaires et prouva son habileté en surpassant le meilleur archer. C’est ainsi qu’il regagna l’estime des chefs de tribus.

Déçu de la vie qu’il menait, il décida à l’âge de 29 ans de quitter le palais et de consacrer tous ses efforts à l’étude de la religion et de la philosophie. Il prit cette décision soudaine et étrange après avoir rencontré un malade, un vieillard, un cadavre et un mendiant religieux dont la sérénité l’avait frappé. Il commença ainsi à se rendre compte que bien que l’homme était sujet à la maladie, à la vieillesse et à la mort, il était possible de transcender ces souffrances en devenant sannyasi ou mendiant.

La décision de devenir mendiant errant ne fut pas facile à prendre en égard à ses obligations d’époux, de père et d’héritier du trône. Malgré tout, il décida une nuit de quitter sa famille. Il franchit le seuil de la chambre de sa femme et la trouva endormie près de son fils. Il voulait embrasser son fils une dernière fois avant de partir, mais il s’abstint de peur de réveiller sa femme. Il quitta le château accompagné de son cocher Channa et s’enfonça dans la nuit profonde. Cet épisode de la vie du Bouddha s’appelle « le Grand Renoncement » car la décision de Siddharta de devenir un mendiant errant à la recherche de la Vérité l’obligeait à abandonner sa maison, sa famille, sa richesse et sa puissance.

S’il est relativement facile de renoncer aux biens terrestres, il est bien plus difficile d’abandonner la sécurité psychologique. La décision de quitter son foyer n’était pas de se soustraire aux obligations terrestres, mais au contraire de se charger de la plus grande responsabilité qu’un homme puisse prendre, c’est-à-dire de rechercher l’origine de la douleur, et de la vaincre pour lui-même et pour l’humanité souffrante. Ce Renoncement n’était pas une fuite mais plutôt le début d’une grande aventure, d’une exploration de l’inconnu. Je suppose que les grands chercheurs de l’histoire ne sont pas seulement ceux qui explorent le monde extérieur, mais surtout ceux qui se plongent dans les profondeurs déroutantes de la psyché humaine.

Pendant six années dans les forêts d’Uruvela, le prince, devenu ermite, fit des expériences avec lui-même dans sa lutte pour la réalisation de l’état d’au-delà de la douleur. Il fréquenta divers sages dont Alara et Uddaka. Bien qu’il ait suivi tout leur enseignement, il restait néanmoins insatisfait. A cette époque les Brahmanes croyaient que des pénitences extrêmes étaient un moyen sûr du salut spirituel. Ces pénitences comprenaient le jeûne et diverses mortifications. Pendant qu’il se mortifiait ainsi, Siddharta avait cinq disciples fidèles. Un jour, il s’effondra totalement épuisé au point que ses disciples le crurent mort. Il surmonta sa faiblesse et décida d’arrêter ces pénitences et recommença à s’alimenter régulièrement. Lorsqu’il commença à mendier sa nourriture comme n’importe quel mendiant, ses disciples l’abandonnèrent. Il avait perdu leur estime parce qu’il avait abandonné les pénitences comme un moyen de libération. Son échec ne le décourageait pas et, animé d’une détermination extraordinaire pour réussir dans sa recherche, il continua à méditer.

L’art bouddhiste a décrit depuis des siècles, la scène du futur Bouddha faisant de sérieux efforts de recherche sous l’arbre de Bodhi. Il ne faisait peut-être pas d’effort du tout, il était simplement conscient de son travail psychologique intérieur. C’est par l’éveil de sa conscience ou en libérant son esprit de tout conditionnement que Gautama découvrit enfin la Libération appelée aussi « Moksha », « Nirvana », « Illumination » ou « Perfection ».

Le Nirvana est l’extinction de toute illusion dans la conscience et particulièrement l’illusion profondément ancrée du « moi ». C’est la fin de toute activité égoïste, ce qui entraîne nécessairement la naissance de l’amour pur ou de la compassion. Le Nirvana a été présenté comme ce qui est Non-né, Sans-origine et Sans-forme. Puisqu’il n’est pas dans le domaine du karma ou de la causalité, le Nirvana est sans cause : de là il est Non-né, Sans-origine et Sans-forme. Il faut remarquer que les plus grands penseurs orientaux et occidentaux ont décrit eux aussi le Divin avec les mêmes mots que ceux employés pour décrire le Nirvana.

Après son Illumination, le Bouddha se demanda si cela valait la peine de faire connaître sa philosophie à un monde, qui ne l’écouterait ou ne le comprendrait pas. Néanmoins il donna des conférences partout dans les milieux les plus divers, ascètes, brahmanes, criminels, prostituées, artisans, rois et courtisans pendant les quarante-cinq dernières années de sa vie.

Le Bouddha se rappela les cinq ascètes qui furent ses disciples et qui l’abandonnèrent. Il prêcha la doctrine de la Voie du Milieu dans le Parc aux Daims à Bénarès. Il soutenait que le salut ne se trouvait pas dans la pratique de mortifications extrêmes et de complaisance personnelle. Il avait essayé ces méthodes qui lui firent défaut.

Le Roi Suddhodhana aspirait à rencontrer son fils devenu maintenant un Bouddha. Il l’envoya chercher et le Bouddha arriva à Kapilavastu accompagné de ses disciples. Le lendemain ils se mirent tous à mendier. Le Roi Suddhodhana était bouleversé à la vue de son fils arpentant les rues son bol à la main. Choqué par sa conduite, le roi l’interpella et lui demanda : « Pourquoi nous fais-tu honte ? Pourquoi mendies-tu ta nourriture ? » Le Bouddha répondit que la mendicité était une coutume bouddhiste. Son père lui fit remarquer qu’ils descendaient d’une noble lignée de guerriers illustres qui n’avaient jamais dû mendier leur nourriture. Le Bouddha répliqua : « Vous pouvez prétendre descendre de rois, moi je descends des anciens Bouddhas qui ont toujours vécu d’aumônes. » Le Bouddha prononça ensuite un discours adressé à son père sur l’importance de la vertu.

Yasodhara était très triste d’avoir été abandonnée pendant plusieurs années par son mari qui était devenu le Bouddha. Elle pressa son fils unique Rahula, revêtu de ses plus beaux habits, de réclamer son héritage à son père. Le petit garçon répondit qu’il ne connaissait d’autre père que son grand-père le Rajah Suddhodhana. Yasodhara lui montra le Bouddha et lui dit que ce moine radieux était son vrai père. Elle lui fit remarquer qu’il possédait de grandes richesses. Elle demanda à Rahula de dire à son père : « Je suis votre fils. Plus tard je serai le chef du clan. Je vous en prie, donnez-moi mon héritage. » Le Bouddha resta silencieux, mais son fils persistait dans sa demande. Le Bouddha dit alors à son disciple Sariputta qu’il ne pouvait donner à son fils un trésor qui ne ferait qu’apporter du chagrin, mais qu’il préférait lui donner les richesses d’une vie de sainteté. S’adressant ensuite à Rahula, le Bouddha dit qu’il ne possédait ni argent, ni bijoux. Mais que s’il voulait accepter un trésor spirituel, alors il serait accueilli dans la confrérie des saints hommes. Rahula acquiesça et, se faisant, il hérita d’un trésor bien plus précieux qu’un banal héritage.

Le surnaturel et les sciences occultes fascinent beaucoup de personnes. Quelle était l’opinion du Bouddha à ce sujet ? Dans la ville de Rajagaha vivait Jotikkha. Il avait planté une longue perche au sommet de laquelle se trouvait attachée une coupe de santal pleine de bijoux. Jotikkha promettait à tout moine qui pouvait atteindre la coupe sans employer de perche ou d’échelle et en utilisant des moyens surnaturels, de gagner le trésor. Sur ce Kassapa, disciple du Bouddha, étendit la main et attrapa la coupe grâce à son pouvoir surnaturel. Lorsque le Bouddha apprit l’histoire, il rencontra Kassapa, brisa la coupe et interdit à ses disciples de pratiquer des actes surnaturels.

Kevaddha proposa au Bouddha de former un de ses disciples à la pratique du miracle à Nalanda, dans le but de ramener des novices. La proposition fut refusée. Sur ce le Bouddha distingua trois espèces de miracles :

Le miracle des mystères rend invisible, permet de traverser les murs et de marcher sur l’eau ; Le miracle des secrets permet de connaître les pensées et le for intérieur des autres ; (le Bouddha désapprouvait ces deux miracles) ; Mais surtout le miracle de l’éducation par lequel on devient illuminé après avoir entendu un discours du Bouddha. Quiconque avait le privilège rare d’écouter un discours du Bouddha n’atteignait pas le Nirvana. Si une minorité l’atteignait de cette façon, on peut supposer qu’elle possédait un degré avancé de spiritualité avant d’avoir rencontré le Bouddha. Il est probable que dans ce cas le Bouddha ne servait que de catalyseur.

Les écritures relatent une conversation intéressante entre le Bouddha et son disciple Sunakkhatta qui, désappointé, avait décidé de le quitter parce que le Bouddha ne faisait pas de miracles. Le Bouddha répondit à sa critique en lui disant que le but de l’enseignement de la Vérité était la destruction du mal. Faire des miracles n’était sûrement pas son but. Sunakkhatta lui reprocha aussi de ne pas révéler l’origine du monde. Alors le Bouddha lui dit que ce n’était non plus l’objet de son enseignement, et il répéta que le but de son enseignement était l’élimination du mal.

Un jour, un disciple demanda s’il n’y avait pas de choses miraculeuses et merveilleuses. Le Bouddha répliqua que le moine qui renonce aux plaisirs passagers de l’existence pour goûter la béatitude de la sainteté réalisait le seul miracle digne d’être mentionné. Tandis que le désir de faire des miracles naissait de la vanité ou de la convoitise, celui qui y renonce se libère de son karma.

Bien qu’il soit évident que le Bouddha condamnait les miracles, il apparaît néanmoins dans les écritures que le Bouddha avait réalisé des faits surnaturels. Il est difficile d’expliquer une telle contradiction. Les écritures bouddhistes se réfèrent à des actes miraculeux faits soi disant par le Bouddha lui-même. Le Bouddha décourageait-il l’exécution de miracles faits par d’autres et faisait-il hypocritement en même temps des miracles ? De nombreuses histoires impressionnantes de miracles ont contribué à donner au Bouddha une aura de surhomme mystérieux comme s’il était une sorte de dieu ou d’être céleste sorti d’un monde de fiction religieuse, alors qu’il était simplement un être humain qui avait néanmoins réalisé quelque chose d’extraordinaire. A la lumière des arguments clairement exprimés sur les miracles, ne devrait-on pas douter de l’authenticité de tels récits écrits ?

La démonstration vulgaire de faits surnaturels qui sont spectaculaires et merveilleux, attire une foule admirative, ce qui a pour effet d’accroître la vanité du charlatan. La sensation de son exploit va augmenter son ego, alors que la vraie spiritualité consiste en son annihilation et non son accroissement.

De tout temps l’homme a toujours désiré ardemment le pouvoir. Sa soif de puissance est insatiable, non seulement dans le domaine économique, social et politique, mais aussi dans le domaine spirituel. Une personne vraiment religieuse ne s’intéresse pas à cette quête orgueilleuse de puissance qui augmente inévitablement l’ego. Au contraire il consacre tout son énergie à cette recherche de la nature de l’ego, qui le conduit à la compréhension totale des manières de l’ego, et en conséquence à sa disparition éventuelle.

Lorsque les messages de certains soi-disant chefs religieux manquent du pouvoir intrinsèque de persuasion et de conviction, alors ils doivent recourir aux miracles pour impressionner les gens crédules. Il faut mettre au crédit du Bouddha sa condamnation des miracles en des termes clairs.

Ceux qui désirent adorer le Bouddha comme une sorte de dieu, lui ont attribué diverses qualités surnaturelles. Pendant des siècles, il fut considéré comme une espèce de sauveur, ayant le pouvoir d’accorder des faveurs aux pieux adorateurs. Cependant l’enseignement du Bouddha ne prévoit pas de place pour une divinité, ni le don de grâces à ceux qui le prient ou le vénèrent. La vérité de son enseignement apparaît clairement dans ses deux principes cardinaux, à savoir : « Vous êtes votre propre sauveur », et « Il n’y a d’autre dieu que l’homme parfait». Néanmoins le Bouddha était dans un sens divin. Divin non dans le sens déiste bien sûr, mais dans le sens qu’il s’est débarrassé de tous les défauts, atteignant ainsi le Nirvana de façon surhumaine. Car pendant sa vie et ses vies antérieures, sans aucune aide extérieure, il est arrivé par ses efforts et sa perspicacité à un état de perfection appelé Nirvana, zénith de la spiritualité.

Le mot « Bouddha » est souvent synonyme de compassion et de bonté affectueuse dans le monde bouddhiste. Les actes d’un prédicateur sont plus éloquents que ses paroles. Il y a beaucoup d’évènements dans la vie du Bouddha qui illustrent son naturel doux.

Un moine âgé souffrait d’une maladie si affreuse qu’il sentait si mauvais au point que personne ne voulait le soigner. Lorsque le Bouddha apprit ce manque de pitié, il réclama de l’eau chaude et soigna ce pauvre patient en personne. Ceci montre que la personnalité du Bouddha était à la fois amour, humilité et sagesse.

Un jour, le Bouddha qui vivait à Savatthi, entra chez un brahmane pour lui demander de la nourriture. Ce dernier l’injuria, l’appelant même paria. Le Bouddha répondit qu’un paria portait la malveillance et la haine, qu’il était pervers, hypocrite, avare et fourbe. On ne devient pas brahmane ou paria de naissance, on le devient par ses actes. Le Bouddha s’opposait toute sa vie aux brahmanes, membres élitistes et snobs de la société indienne, non seulement parce qu’il n’était pas brahmane lui-même, mais à cause de son enseignement radical. Par ses actes et ses discours, le Bouddha minait la structure ancienne de la société indienne basée sur des distinctions cruelles et brutales de caste. Il soutenait la suprématie de la vertu et de la rectitude morale dans une société qui croyait à tort que le degré de spiritualité dépendait de la caste dont on était issu.

Deux royaumes s’apprêtaient à entrer en guerre pour la possession de la rive d’un fleuve. Voyant cela le Bouddha intervint et écouta les allégations et les arguments des parties adverses. Le Bouddha leur demanda si la rive contestée avait une valeur intrinsèque autre que celle de son utilité pour la population. La réponse fut que la rive n’avait aucune valeur intrinsèque. Le Bouddha montra que lors d’une bataille, les hommes comme les rois risquaient de se faire tuer. Et il posa la question : « Le sang des hommes a-t-il moins de valeur qu’un tas de terre ? » Les rois répondaient que la vie des personnes impliquées dans la querelle n’avait pas de prix. « Dans ce cas » demanda le Bouddha, « vous proposez-vous de risquer ce qui n’a pas de prix contre quelque chose qui n’a aucune valeur intrinsèque ? » Les rois revinrent bientôt à la raison et conclurent un accord pacifique. Le Bouddha aidait ceux qui étaient aveuglés par la passion à réaliser la folie de leurs pensées et de leurs actes dans des entretiens amicaux, entretiens dans lesquels il raisonnait simplement, calmement, clairement et logiquement.

Il n’y a pas de place pour la revanche, ni pour les représailles dans l’enseignement du Bouddha compatissant. Il aimait ses adversaires.

Un homme insensé l’injuria. Lorsque l’homme eut fini de l’insulter, le Bouddha lui demanda : « Si quelqu’un refusait le cadeau qui lui était offert, à qui appartiendrait-il ? » L’homme répondit qu’il appartenait à celui qui lui offrait.
Le Bouddha dit alors : « Vous m’avez dénigré, mais je refuse d’accepter vos insultes et vous prie de les garder pour vous. » Le Bouddha comparait un mauvais homme qui injurie une personne vertueuse à quelqu’un qui crache vers le ciel. Le crachat ne souille pas le ciel, il retombe et souille celui qui a craché. Le Bouddha comparait aussi un calomniateur à quelqu’un qui jette de la poussière à un autre lorsque le vent souffle dans la mauvaise direction : la poussière retourne vers celui qui l’a jetée. Puisque l’homme vertueux reste indemne, l’offenseur ne peut s’empêcher de souffrir de ses mauvaises actions. On dit que l’offenseur de cette histoire s’en alla honteux, mais qu’il revint près du Bouddha pour se réfugier près de lui et dans son enseignement.

Beaucoup de personnes différentes rendaient visite au Bouddha pour écouter ses discours car sa réputation de philosophe était bien établie. Il n’était pas rare qu’il rencontrât des adversaires malicieux qui tiraient une satisfaction perverse de l’injurier et de le ridiculiser.

Pendant de tels moments, il réagissait avec calme et dignité. Même dans des situations difficiles, sans s’énerver, il prenait la peine de corriger ses adversaires par compassion et intérêt pour leur ignorance et leurs souffrances. Il y avait parfois dans ses remarques un peu d’humour, non l’humour sardonique qui naît de l’amertume, mais celui qui découle d’une joie puérile née de situations drôles.

A la fin de sa vie, le Bouddha souffrit d’une pénible maladie et déclara qu’il ne vivrait plus longtemps. Il semblait avoir une prémonition de sa mort. « L’illuminé décèdera dans les trois mois. Ma mission est accomplie, ma vie est finie ; Je vous quitterai et partirai en n’ayant compté que sur moi-même. Soyez sérieux, ô moines, vigilants et purs ! Fermes dans vos résolutions, surveillez votre propre cœur ! Celui qui adhère à l’enseignement traversera l’océan de la vie et mettra fin au chagrin ! »

Lorsque le Bouddha vivait à Pava, il accepta de déjeuner chez un orfèvre appelé Chunda. Chunda s’efforça de préparer un bon repas de riz et de champignons du mieux qu’il put, car il vénérait beaucoup le Bouddha. Après avoir pris place avec sa suite de moines dans la maison de Chunda, le Bouddha lui dit : « Sers-moi les champignons et sers la nourriture solide aux moines. Ses instructions furent suivies à la lettre. Le Bouddha dit alors à Chunda : « Jette les champignons restants dans un puit. Je ne vois personne d’autre que le Bouddha dans le monde des dieux et des hommes, qui puisse les manger et les digérer. » Chunda jeta les champignons restants dans le puits. Peu après en avoir mangé, le Bouddha souffrit de violentes douleurs et de dysenterie. Il supporta ses douleurs et demanda à son disciple favori Ananda de l’accompagner à Kusinara.

C’est là que le Bouddha donna ses dernières instructions avant de quitter le monde. Le Bouddha dit à Ananda : « Tu penses peut-être que ‘nous n’avons plus de Maître’, c’est faux car, après ma disparition, c’est l’enseignement qui deviendra le Maître ». Les derniers moments de sa vie furent scrupuleusement notés dans tous les détails comme le fit Platon dans sa description de la mort de Socrate. Avant de rendre le dernier soupir, le Bouddha demanda à l’assemblée des cinq cents moines présents si des points doctrinaux ou des règles de conduite devaient être clarifiés. Il les pressa de poser des questions afin qu’ils ne se reprocheraient pas plus tard de ne pas les avoir posées alors que le Maître était face à face avec eux. Les moines restèrent silencieux. Le Bouddha répéta sa demande à deux et trois reprises, mais les moines restèrent muets. « Moines» dit le Bouddha, « c’est peut-être par respect pour le Maître que vous ne demandez rien, alors parlons d’homme à homme. » Les moines gardèrent encore le silence. Ananda s’adressa alors au Bouddha et lui fit remarquer combien c’était merveilleux de voir qu’aucun membre de l’assemblée n’avait de doute sur les matières de l’enseignement. Le Bouddha prononça alors ses mémorables dernières paroles :

« La décomposition est inhérente à toutes choses composites ;
Faites votre salut avec zèle ! »

Ainsi mourut un des plus grand, noble et sage être humain qui ait jamais vécu. Les érudits se querelleront probablement toujours sur l’authenticité des documents décrivant l’enseignement donné au monde il y a plus de 2500 ans. Les évènements exacts de la vie du Bouddha ne seront jamais connus avec certitude. En examinant déjà objectivement et intelligemment sa biographie telle qu’elle est rapportée dans les annales traditionnelles, on en retire l’essence de l’esprit qui habitait la vaste pensée et le doux cœur de Gautama le Bouddha.

2. Ambapali : une femme de plaisir

Lorsqu’un être humain au passé trouble devient un saint il y a lieu de se réjouir. La nouvelle d’un évènement si rare inspire ceux ou celles qui rêvent à cet état. Un tel changement donne de l’espoir à nous pauvres mortels.

Voyons pourquoi Ambapali est révérée dans le monde bouddhiste. C’est en raison du bon karma de ses vies antérieures qu’elle renaquit en contemporaine du Bouddha. Elle paraissait mener une vie excitante et agréable, mais son existence était trouble. Elle a démontré que chacun est capable de transcender la dépravation et d’atteindre le sommet de la spiritualité. L’histoire de sa vie est édifiante. Pourquoi cette beauté riche et renommée qui aimait la compagnie des princes et des nobles s’est-elle fatiguée de l’esclavage triste du cycle samsarique des naissances et des morts ?

Ambapali naquit à Vaisali, capitale du royaume des aristocratiques et riches Lichchavis qui n’étaient pas seulement puissants mais aussi orgueilleux. Nous associons le nom du Bouddha à celui de Vaisali parce qu’il a visité la ville plusieurs fois et qu’il s’est retiré dans un village voisin.

Un jour le jardinier d’un dirigeant Lichchavai découvrit un bébé féminin sous un « amba » (manguier). Naturellement, on appela la petite fille Ambapali (la fille manguier).

La tradition nous dit qu’Ambapali était née spontanément, elle n’avait pas de parents. Au cours de ses vies passées elle avait non seulement recherché la perfection spirituelle mais même été religieuse, ayant entré dans les ordres pendant le sacerdoce d’un ancien Bouddha appelé Sikhi. Elle était dégoûtée d’une naissance normale, aussi aspirait-elle à une renaissance spontanée sans aucun intermédiaire humain extérieur. Ce fut le cas de sa réincarnation finale. Le jardinier qui ramena l’enfant en ville ne pouvait pas connaître les circonstances mystérieuses de sa naissance. Il la considéra simplement comme une enfant trouvée.

Il est difficile de trouver une explication simple à son apparition spontanée. Toutes les explications proviennent de notre esprit faillible. L’homme crée des théories pour en devenir l’esclave plus tard. Certaines questions dépassent l’entendement humain. Examinons néanmoins ce fait étrange. Des déistes argumentent que certains évènements semblent se passer accidentellement. Ils prétendent qu’il s’agit seulement d’apparence puisqu’ils sont en réalité préordonnés par un être omnipotent invisible. D’autres maintiennent que les détours de la pensée ne sont pas mystérieux mais compréhensibles par ceux qui comprennent les lois du karma. La détermination volontaire d’Ambapali de renaître comme elle le souhaitait était si forte que son souhait se réalisa. La graine de karma qu’elle avait semée dans une vie antérieure a germé dans une autre vie.

Les années passèrent et la jeune fille se transforma en une jeune femme belle et charmante qui devint la coqueluche des gens célèbres et riches. Elle fut courtisée par les hommes puissants et privilégiés. Quand des princes Lichchavi désirèrent l’épouser dans l’espoir de la garder pour eux seuls, il en résulta de l’amertume, des conflits et des combats.

Le thème d’hommes se battant pour une femme, aussi vieux que le monde, inspira Homère dans L’Iliade. L’enlèvement de Sita par le roi des démons constitue le cœur du chef-d’œuvre de la littérature religieuse, Le Ramayana, de Valmiki. Mais à notre connaissance aucun prince n’osa enlever Ambapali par la force. Cependant ils l’importunèrent par des demandes en mariage.

Les princes tentèrent de partager leur différend par la négociation. Apparemment leurs efforts furent déprimants et frustrants à cause de leurs prétentions antagoniques à la possession d’Ambapali. Nous ignorons si Ambapali avait eu son mot à dire, mais ces hommes pleins de tact menèrent la négociation avec beaucoup de diplomatie. Ils décidèrent de se la partager équitablement ! Ainsi la demoiselle n’était pas exactement une prostituée ordinaire mais une courtisane respectable qui distribuait ses faveurs à ceux que l’on considérait comme socialement supérieurs.

Après tout, Ambapali n’était pas si mauvaise parce que son penchant philanthropique et sa compassion la poussait à faire des dons considérables de sa richesse aux pauvres. Ce détail particulier est important puisque la vertu de Dana (libéralité, générosité ou don d’aumônes) est la première des dix Paramitas (qualités ou achèvements) menant à l’état suprême de Bouddha. Il est possible de diminuer son propre penchant à s’attacher aux choses en se séparant de ses biens.

Le Roi Bimbisara était un des amis distingués d’Ambapali. Il était le premier des rois qui servaient et aidaient le Bouddha. Un jour le roi demanda au grand sage où il aimerait vivre. Le Bouddha spécifia que l’endroit devrait être agréable et retiré, sans trop de foule, ni trop bruyant la nuit. Il devrait être aéré, les bruits y devraient être limités autant que possible, et il y serait possible de vivre en toute intimité. Sur ce le roi fit don de sa forêt de bambous et d’arbres ombreux appelée Veluvanarama Park. Le Bouddha y passa plusieurs saisons de pluies.

Après avoir rencontré Ambapali, le bon Roi Bimbisara, malgré son esprit vertueux et noble, succomba à la tentation de faire l’amour avec elle. Par conséquent Ambapali donna naissance à un fils.

Le récit est maintenant interrompu mais il sera repris plus tard.

En route pour son dernier voyage, le Bouddha demeura provisoirement à Vaisali accompagné d’un grand nombre de moines. Il vivait dans la forêt de manguiers appartenant à Ambapali. Là il s’adressa à sa suite de moines comme suit : « Soyez méditatifs et attentifs, ô bhikkus, quoique vous fassiez, gardez toujours l’esprit ouvert. Soyez vigilants à chaque instant quand vous mangez ou buvez, marchez ou soyez debout, dormez ou êtes réveillés, parlez ou vous taisez. »

La nouvelle que le Bouddha séjournait dans sa forêt de manguiers réjouit beaucoup Ambapali. Qui ne prendrait pas la visite inattendue d’un sage de si haut rang pour une bénédiction ? Vêtue d’une simple robe sans bijoux Ambapali s’approcha respectueusement du Bouddha et s’assit à ses pieds. Le Bouddha se dit en lui-même : « Voici une femme au coeur calme et apaisé malgré des amis jouisseurs, des rois et des princes qui l’entretiennent avec une gentillesse particulière. Cette femme est réfléchie et stable en dépit de ses relations avec des jouisseurs. Quel être exceptionnel ! Cette femme sage d’une piété véritable est capable de comprendre la Vérité entière malgré une vie luxueuse. » Après le Bouddha lui fit un sermon. Son visage s’illumina au moment où elle écoutait le Dharma, l’enseignement libérateur de l’Illuminé.

« Voulez-vous me faire l’honneur, dit Ambapali, de vous inviter avec votre suite chez moi demain ? »

Le Bouddha acquiesça silencieusement.

Les princes Lichchavi apprirent qu’Ambapali avait le privilège d’accueillir le Bouddha chez elle. Cela les rendit envieux et rancuniers. Parés de leurs plus beaux vêtements, ils s’en allèrent à la rencontre du Bouddha dans leurs carrosses somptueux. Mais Ambapali s’approcha d’eux dans son carrosse. Les deux troupes étaient face à face.

« Ambapali, la prièrent-t-ils, nous te donnerons cent mille pièces d’or si tu nous laisses inviter le Bienheureux. »

« Non, mes seigneurs, répondit Ambapali, je ne vais pas refuser ce grand honneur même pour tout Vaisali et son territoire. »

Déçus mais non battus, les princes rencontrèrent le Bouddha en personne. Ils furent très heureux lorsqu’il prononça un sermon. Ensuite les princes l’invitèrent à un repas dans leur palais.
« J’ai déjà promis à Ambapali de prendre un repas chez elle » dit le Bouddha. De retour chez eux les princes se plaignirent qu’une banale courtisane les avait humiliés.

Tôt le matin, le bol du mendiant à la main, le Bouddha et ses moines se rendirent à la résidence d’Ambapali. Elle leur présenta du riz sucré, des gâteaux et d’autres mets préparés dans son parc. Le repas terminé, elle prit place aux pieds du Bouddha et parla : « Seigneur, je fais don de ma forêt de manguiers à la communauté des moines dirigée par le Bouddha. » Il accepta le don et lui donna des instructions spirituelles.

Nous avons parlé du petit garçon né des amours du roi Bimbisara et de sa maîtresse Ambapali. Ce fils devint non seulement moine sous le nom de Wimala-Kondanna mais aussi un Arhat. Après un sermon édifiant de son célèbre fils, Ambapali décida d’entrer dans les ordres. Elle devint elle-même plus tard Arhat. Quelle ironie que l’être humain qui était né à cause de la promiscuité sexuelle d’Ambapali devienne l’instrument indirect de sa propre libération du joug de samsara et de karma !

Qu’est-ce qui provoqua son aboutissement au Nirvana ? Elle prit comme sujet de méditation la nature périssable de son corps.

Après un sermon de son fils, l’Arhat Wimala-Kondanna, Ambapali décida non seulement de devenir nonne mais aussi de méditer sur la fragilité de ses attraits. Ce sadhana l’aida à comprendre Anicca, la loi de l’impermanence.

Bien que l’on soit d’accord pour dire que cet exercice spirituel est la raison et le seul facteur important de sa Libération, il ne faut pas ignorer qu’elle s’était préparée à cet évènement pendant ses vies antérieures. Il y a habituellement une grande succession de causes karmiques qui conduit à l’avant-dernière étape avant l’Illumination. Il est nécessaire de répéter que c’est le bon karma accumulé pendant ses vies passées qui lui a permis de renaître du vivant du Bouddha, bénéficiant ainsi de sa relation personnelle avec le Maître. Même son fils devint disciple du Bouddha et devint plus tard Arhat. La question de savoir si le Bouddha ou son fils favorisèrent sa Transformation intérieure est controversée. Mais d’autre part, on peut soutenir que c’était la pratique assidue du sadhana seule qui avait hâté son Nirvana. Il est difficile de dire pourquoi certains réussissent ou ratent leur quête spirituelle, mais il suffit de dire que ces énigmes échappent à la compétence humaine. Si nous devenons Arhat un jour, nous trouverons peut-être la bonne réponse.

Les extraits suivants de The Songs of the Sisters, une adaptation de Theri Gatha ou Psaumes des Soeurs par Usula P. Wijesuriya, traduisent la voix d’Ambapali méditant sur divers sujets et en particulier sur la nature éphémère de sa beauté.

Il y a une éternité, à l’époque du Bouddha Sikhi
Ambapali était une nonne supérieure de son ordre
Elle et ses sœurs vénéraient le Bodhi
Quand l’une des sœurs éternua en éclaboussant l’arbre.
« Qui a fait cela ? » demandait Pali
En disant du mal de la noble communauté.

Elle paya cette insulte naissance après naissance
Sous l’apparence d’une courtisane, désirée mais bon marché.

A l’époque du Bouddha Gautama
Elle apparut sous un manguier,
Sa renommée dépassait la gloire du soleil levant,
Sa grâce — les cygnes et les faons ;
Car elle avait souhaité dans ses nombreuses vies passées
De ne pas être née d’une mère.
Ses courtisans étaient plus nombreux que des abeilles sur
Les fleurs ou les feuilles de son manguier,
Jusqu’à ce que le roi décrète qu’elle serait le
Jouet loué du royaume.

Son fils unique Wimala Kondanna suivit le Bouddha
Et fit honneur à la tunique jaune.
Il vint raconter à sa mère l’altruisme qu’il avait découvert
Et la priait de le suivre dans la voie du Seigneur.

Ambapali, la déesse adorée de l’état vint au Bouddha
Dont le regard compatissant la troublait comme nul
Autre regard sensuel d’un prince ou d’un marchant ne l’avait
Jamais fait. Et elle le pria à genoux :
« Puis-je entrer dans votre ordre, vêtue d’une tunique de bure ?
Acceptez mon verger de manguiers, Oh Sire,
Puisse-t-il être un havre pour une personne telle que moi
Qui a enfin compris que la vie était un rêve. »

La sœur Ambapali était plongée dans la contemplation
Du changement que les années volées avait gravé
Sur ses traits jadis si éblouissants —
Et sur son pouvoir d’attirer les princes et les pauvres
Pour les artifices de l’amour.

Avant ma chevelure était d’un noir brillant,
Des boucles ornées de glands encadraient mon visage.
Aujourd’hui, elle pend mollement comme du chanvre
La vérité d’impermanence du Bouddha est ici.

Dans le passé, ma coiffure parfumée et ornée de fleurs,
Peignée comme de la soie, ornée d’épingles précieuses, enjôlait
Les puissants de ce pays.
Mais maintenant — l’odeur moisie de l’âge l’envahit.
Les boucles épaisses parties,
Elle est devenue semblable à des
Queues de rat.

Il fut un temps où les poètes vantaient, où les artistes
Rêvaient de l’arc parfait de mes sourcils.
Aujourd’hui, ils se tordent en une myriade de rides
Sur mon front, mes joues et mon menton.

Qu’est-ce qui a terni le lustre de mes yeux limpides ?
Où est parti mon nez juvénile si délicat et fin ?
Les lobes de mes oreilles ornées de
Pendants d’or et de perles, réduits maintenant
A l’os et à une peau ridée.

Il fut un temps où mes dents blanches et étincelantes
Souriaient, attirantes, aux princes du royaume.
Mais qui me saluerait maintenant avec mes
Dents jaunes et manquantes comme une clôture brisée ?

Ma voix surpassait les chants d’amour des nuits étoilées du
Rossignol ;
Mais maintenant elle chevrote, plaintive et vieille,
Je peux à peine parler pour vous raconter ce que j’ai appris.

Ma nuque si gracieuse — les cygnes sauvages m’enviaient — Rivalisait en douceur avec les conques sur les fonds de la mer.
Aujourd’hui, ridée et courbée, je grogne mon message.
Ceci est la vérité inévitable.

Mes bras si bien galbés, doux ils étaient comme l’albâtre,
Pendent maintenant comme des tiges desséchées.
Mes mains — douces, lisses, ornées de bagues,
Rappellent les griffes d’oiseaux décrépits.

Mes seins ronds, si fermes, si doux, si pleins, dressés comme des
Cygnes, se réclamaient d’une fière féminité.
Maintenant ils pendent vides entre les côtes
Comme des filtres quand le jus est parti.

Mon corps — doré et chaud,
Maintenant un amas de chair flasque et desquamée.
Mes cuisses, comparées jadis à des trompes d’éléphant
Ne sont plus que des cannes à sucre craquées et écrasées.

Où sont mes chevilles qui dansaient au son des clochettes
D’argent de mes bracelets de cheville ?
Où sont mes pieds — doux coussins de soie
Maintenant craquelés et paralysés. Je boîte douloureusement.

Telle est le corps que l’âge va sûrement gâter,
Telle est la beauté passagère, pillée par les années rampantes
Se mouvant silencieusement.
Ce corps, jadis l’envie du pays
N’est plus qu’une maison d’argile aux murs pelés.

Sœur Ambapali se réalisa un jour
Absorbant tout le savoir de la manière triple,
Elle ne revint pas, avant la fin de ses jours,
Tentatrice d’un empire — le Nibbana trouvé.

Au lieu de spéculer sur l’Impérissable, les bouddhistes essaient de comprendre pourquoi ils sont attachés aux choses périssables. En méditant sur leur triste condition, ils se rendent compte que c’est leur appétit pour les choses périssables qui les empêche de réaliser l’Impérissable. Il ne peut être ni recherché ni appelé.

Les philosophes bouddhistes ont sagement évité de décrire le Nirvana. Est-il possible de le décrire avec exactitude ? Toute description du Nirvana ne pourrait être qu’un ramassis de mots insignifiants sauf pour les Arhats qui ont atteint cet état élevé. Voyant l’impossibilité de transmettre sa connaissance en détail, le Bouddha a abordé la question dans le sens négatif en déclarant ce que le Nirvana n’est pas : « Ce séjour, déclara le Bouddha, n’est pas né, ni créé, ni révélé, ni conditionné».

Y a-t-il dans tout l’Univers quelque chose qui ne change jamais et qui dure toujours ? Même le soleil et les étoiles disparaîtront un jour. Existe-t-il un être vivant qui ne soit pas soumis à la décrépitude et à la mort ? Toutes les choses et tous les êtres vivants ont une existence passagère et sont de ce fait impermanents. Ambapali avait compris parfaitement la doctrine d’Anicca, c’est-à-dire de l’impermanece.

Comme le monde extérieur, le monde intérieur de la conscience est pris dans un tourbillon de changements incessants. Souvenirs, pensées, sensations et sentiments rivalisent pour atteindre la surface. Les pensées vont et viennent si rapidement qu’il est très difficile d’en suivre quelques-unes. Les éléments de la conscience luttent de vitesse à travers la couche inférieure de la conscience pure, créant ainsi l’illusion de l’ « esprit ». L’ensemble des pensées prises collectivement donne l’impression fallacieuse qu’il existe une chose aussi concrète que l’esprit.

Le concept du « moi » est tout aussi illusoire que celui de l’ « esprit ». Alors que l’ « esprit » et le « moi » semblent exister tous les deux, ils sont en fait constitués d’éléments différents. L’ « esprit » et le « moi » ne sont que des assemblages qui n’ont pas d’existence réelle et indépendante.

La doctrine de l’Anatta, c’est-à-dire du non-moi, proclame qu’il n’y a pas d’ ego permanent existant par lui-même soit dans les phénomènes corporels ou mentaux toujours changeants soit hors d’eux. Cet enseignement est en relation étroite avec le principe d’Anicca ou impermanence. Comme l’ego n’est qu’un arrangement temporaire de qualités, il n’existe pas en lui-même. Un proverbe bouddhiste populaire dit qu’il y a en fait seulement de mauvaises qualités et non pas de mauvaises gens. Le sentiment « je suis » ou « j’existe » est la cause principale de notre asservissement samsarique. Nous sommes portés à croire que le « je » est l’acteur, que c’est le « je » qui souffre, que le « je » traite les autres avec bonté ou avec méchanceté, que le « je » renaît après la mort ; et finalement, que le « je » trouve la libération.

Cette doctrine est exposée clairement dans le Visuddhi Magga (La voie de la pureté) bouddhiste :

Il y a la souffrance et personne ne souffre ;
Il y a des actes et personne n’agit ;
Le Nirvana est, mais personne n’y entre ;
La voie est, mais personne n’y chemine.

Anatta ou doctrine du non-moi est l’enseignement de base du bouddhisme. Alors que l’on trouve beaucoup d’enseignements bouddhistes dans d’autres philosophies et religions, cette doctrine particulière est caractéristique du bouddhisme. En conséquence, le Bouddha a été appelé Anattavadi ou professeur du non-moi.

Maintenant, Ambapali a pris conscience douloureusement que son corps avait perdu ses attraits et sa beauté. Elle a ainsi acquis l’expérience pratique de la Dukkha, c’est-à-dire « la Noble Vérité de la Souffrance ». En constatant les changements choquants et pénibles de son corps si charmant, elle a connu l’Anicca ou doctrine de l’impermanence. Finalement elle a découvert la doctrine de l’Anatta, du non-moi ou du non-ego, lorsqu’elle a vu que rien dans son corps et son esprit n’échappait à la décrépitude et à la mort. Elle a vu clairement que tout dans son corps et son esprit doit tôt ou tard finir dans le néant car rien n’est éternel. C’est ainsi que la paix impérissable du Nirvana passait par Ambapali.

La seule certitude dans la vie est la mort, c’est un truisme. Que l’homme soit mortel est un fait désolant avec lequel nous devons composer tôt ou tard. Quelqu’un a-t-il atteint matériellement l’immortalité ? Bien qu’il soit possible de prolonger la vie comme le devrait chaque personne intelligente en ayant la bonne nourriture, en pratiquant le hatha yoga et le pranayama, un être vivant a-t-il jamais échappé à la mort ? Dès que nous naissons, nous sommes destinés à la tombe et pendant cet intervalle le processus inexorable de décrépitude et de vieillissement ne s’arrête pas. Pourquoi les gens veulent-ils aujourd’hui masquer leur décrépitude en se soumettant à la chirurgie esthétique ? Pourquoi se maquiller ? Pourquoi désirer maquiller un tas de chair et d’os sale et mortel ?

Les Bouddhistes sérieux s’efforcent de se libérer de l’attachement à leur corps. Ils pratiquent la méditation sur les cinq parties du corps : Le corps est un ensemble provisoire de parties séparées pouvant tomber en pièces n’importe quand, conduisant à la mort.

La matière est comme la mousse,
Les sensations sont comparables à des bulles,
La perception est analogue à un mirage,
Le mental est un peu le même qu’un bananier
Et la conscience est semblable à une illusion.

Ils pratiquent aussi la méditation sur les impuretés du corps, se rendant compte que la renonciation authentique au monde consiste à se libérer des désirs charnels :

Mon corps est fait de mes cheveux, de mes poils, ongles, dents, peau, muscles, tendons, os, moelle, reins, cœur, foie, diaphragme, rate, poumons, intestins, estomac, excréments, cerveau, bile, phlegme, pus, sang, sueur, lymphe, larmes, sérum, salive, mucosités, synovie et urine.

La beauté intérieure des saints qui ont rejeté leur ego est bien plus précieuse que la beauté extérieure. Ainsi purifiés, ils se sont trouvés libérés des rancunes. N’étant pas troublés par les pensées négatives et par les émotions nées de la peur, des soucis, de la colère, de la jalousie, de la haine, de la violence, du dépit, ils rayonnent une beauté insaisissable et éthérée. Il n’y a pas de mots pour décrire l’immense beauté et la sérénité de l’âme qui rayonnait sur le visage austère et les yeux du Bhagavan Ramana Maharshi. Son absorption dans l’Eternel était profonde. Etant si éloigné des préoccupations terrestres, il considérait probablement son aspect extérieur comme trop insignifiant.

Les premiers chrétiens étaient remarquables car ils fuyaient le monde et menaient une vie extrêmement simple. Il est significatif qu’ils ne regardaient pas vers l’extérieur, mais bien vers l’intérieur. Pourquoi Jésus-Christ dénonça-t-il les docteurs de la loi et les Pharisiens ? Réfléchissons profondément au reproche retentissant de Jésus :

Vous ressemblez aux tombeaux blanchis qui paraissent beaux à l’extérieur, mais à l’intérieur vous êtes remplis d’os d’hommes morts et de tout ce qui est impur (Mathieu 23 : 27).

L’arrivée de la vieillesse peut être douloureusement insupportable aux vaniteux et spécialement aux acteurs beaux et célèbres, aux danseurs, aux stars qui étaient l’objet de regards admiratifs et passionnés. En regardant avec nostalgie à leurs années passées, ils regrettent de ne plus être sous les feux de la rampe. Quelques-uns, hélas, ont même choisi le suicide au lieu d’accepter que leur corps et leur visage ne soient plus doux et charmants et se soient ridés. Ils ont souffert inutilement et payé cher leur vanité. Ils auraient pu connaître la sérénité et la joie s’ils avaient cessé de s’enorgueillir de leur aspect extérieur. Cette sérénité et joie, à son tour, serait provenue simplement du fait qu’ils avaient compris la grande loi fondamentale de l’impermanence (Anicca). Toutes les choses sont en mouvement perpétuel ou en changement continuel, c’est la caractéristique principale du Bouddhisme.

Deux raisons majeures expliquent la dégénérescence spirituelle et morale de l’homme moderne : tout d’abord, la popularité croissante du matérialisme, selon lequel il n’y a aucune spiritualité puisque la seule réalité est le monde matériel ; ensuite, l’attitude hédoniste que le plaisir est le bien le plus précieux. En fait, notre civilisation n’est rien d’autre que la recherche désespérée du plaisir sous différentes formes. L’accent mis sur le plaisir est tel que les gens se sont très attachés à leurs corps et malheureuse conséquence, ils se posent rarement ou jamais les questions suivantes : Suis-je ce corps ? Pourquoi y suis-je attaché ? Y a-t-il autre chose que cet organisme avec son ensemble de pensées et d’émotions constamment changeantes ?

Dans l’Apadana, on trouve un cri de victoire attribué à Ambapali :

En cheminant sur la voie du Bouddha
J’ai découvert l’état indestructible.
Je suis sa vraie fille.

Je me souviens de mes vies passées,
Pur est l’œil surhumain,
Purifiée complètement à l’intérieur,
Il n’y a plus de devenir.

Références

The Songs of the Sisters, by Usula P.Wijesuriya
Dehiwala : Sridevi Printers, 1994

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

The Buddha and His Teachings, by Narada
Colombo : Vajirarama, 1973

Footprints of Gautama the Buddha, by Marie Beuzeville Byles
London: Rider, 1957

The Gospel of Buddha, compiled by Paul Carus
London: Alcove Press, 1974

The Life of the Buddha, by Nanamoli
Kandy : Buddhist Publication Society, 1978

Great Disciples of the Buddha,by Nyanaponika and Helmuth Hecker
Boston : Wisdom Publications, 1997

Psalms of the Early Buddhists : 1— Psalms of the Sisters,by Rhys Davids
London : Pali Text Society, 1948

Ambapali : the immoral woman who later became an Arhat, by Siridhamma
(In Dhamma vol. 22 no. 5 December 1997 p.30-32)

3. Angulimala, un meurtrier en série devenu Arhat

Qu’il est long le chemin à travers la mer houleuse de Samsara, si pleine de chagrin. La naissance sous la forme humaine, lorsqu’elle se produit, est un événement très rare dans le cycle apparemment incessant des naissances et des décès. Une vie pauvre en dévotion ou manquant de sadhana est une vie gâchée. Qu’il est précieux chaque moment de notre vie ! Il est par conséquent immoral de raccourcir la vie de tout individu quelle qu’en soit la raison.

L’histoire la plus spectaculaire de la littérature bouddhiste est celle de la conversion du brahmane meurtrier Angulimala. Son premier prénom était Ahimsaka. Ironiquement le mot « ahimsa » veut dire « inoffensivité » et « non-tuerie ».

Le garçon avait bon caractère et était fort de constitution. Il était très intelligent et très studieux. A l’université renommée de Taxila il excellait dans les études et dépassait ses condisciples. Il faisait l’envie des autres étudiants car non seulement il était le favori du professeur, mais aussi il recevait de la nourriture de sa famille. Les étudiants enviaient Angulimala, allant jusqu’à dresser le professeur contre lui. Ils réussirent de faire douter le professeur de lui. Le professeur croyait à tort que Angulimala voulait le faire révoquer. Ainsi menacé le professeur pensait : « il faut tuer ou faire tuer Angulimala, mais ceci sera difficile puisqu’il est si fort. D’autre part, si je le fais tuer, ma réputation en souffrira et je perdrai mes étudiants. Je devrais trouver un moyen de me débarrasser de lui car il mérite d’être puni. » Le professeur le convoqua et lui dit : « Puisque tes études sont terminées, tu dois me faire un cadeau. » « Bien sûr » répondit Ahimsaka. « Donne-moi un millier de doigts des mains droites d’êtres humains » demanda le professeur.

Angulimala se retira dans une forêt au bord d’une falaise, d’où il observait les voyageurs. Il les abattait les uns après les autres prélevant un doigt sur chaque cadavre. Les doigts étaient accrochés à un arbre pour permettre aux oiseaux d’en manger la chair. Lorsque les doigts tombaient de l’arbre, il les ramassait pour en faire un collier, d’où l’origine de son nom Angulimala car « anguli » signifie les doigts et « mala » le collier.

Les villageois terrorisés l’évitaient. Mais il poursuivait impitoyablement sa mission jusqu’à la fin. Le meurtrier en série avait rassemblé jusqu’à présent 999 doigts et il lui en fallait encore un.

Sa mère qui voulait dissuader son fils de triste renom de mener une telle vie vilaine, était en route pour le rencontrer. Angulimala aurait pu tuer sa propre mère si le Bouddha n’était pas arrivé sur place. Voyant le Bouddha arriver il pensa : « Pourquoi ôter la vie à ma mère pour un doigt ? Voici quelqu’un d’autre que je peux tuer. Je sauve ainsi la vie de ma mère. » La vie du Bouddha était en péril.

Le Bouddha, pas effrayé, se trouvait sur la route entre Angulimala et sa propre mère. L’Illuminé se déplaçait si vite qu’Angulimala avait peine à le suivre.
« Arrête, arrête, oh moine » criait Angulimala.
« Je me suis arrêté, dit Le Bouddha, mais toi, t’es-tu arrêté aussi, Angulimala ? »

Heureusement, Angulimala interpréta correctement la remarque énigmatique du Bouddha. Elle peut s’interpréter comme suit : «J’ai découvert l’état d’Etre pur, le processus du Devenir s’est arrêté ; le cycle des naissances et des morts s’est arrêté ; la pensée s’est arrêtée et je vis dans un état Nirvanique d’ Etre Immortel ; l’accumulation de karma s’est arrêtée. T’es-tu arrêté aussi, Angulimala ? » Quand Angulimala entendit le Bouddha parler, il comprit soudain la Vérité et il se transforma spirituellement. L’ancien meurtrier en série jeta ses armes et vénéra le grand Maître.
« Viens bhikkhu » lui dit le Bouddha, et c’est ainsi qu’Angulimala fut ordonné.

Alors que le vénérable Angulimala était à la recherche journalière d’offrandes de nourriture, il surprit les cris d’une femme en couches. Bouleversé par cette épreuve, il en parla au Bouddha. Sur ce, le Bouddha lui demanda d’aller au chevet de cette pauvre femme et de réciter l’Angulimala Paritta bien connue :

Yatoham bhagini ariyaya jatiya jato
Nabhi janami sancicca
Panam jivita voropeta
Tena saccena sotthi te
Hotu sotthi gabbhassa.

« Ma sœur, depuis ma Noble Naissance, c’est-à-dire depuis que je suis Arhat, je n’ai pas tué consciemment un être vivant. En vertu de cette Vérité puisses-tu être en sûreté et puisse l’enfant que tu portes l’être aussi. »

Le Bouddha attachait beaucoup d’importance à la non-violence (Ahimsa) et à la non-destruction de la vie. Le sentier de la pureté impose le respect du caractère sacré de la vie en pensée, en paroles et en actions. Ce principe est mis en évidence dans ce court sutta parce que ce n’est qu’Angulimala lui-même, le fameux meurtrier en série, qui a déclaré avoir cessé d’être un tueur après son Grand Eveil.

Agissant en accord avec les ordres du Bouddha, le Vénérable Angulimala s’assit aux pieds de la femme et prononça ces paroles. Dès que la paritta a été récitée, elle donna sans difficultés vie à un bébé.

Ainsi commença une pratique religieuse qui se poursuit encore de nos jours. Pendant que la paritta est récitée, un ou plusieurs moines bénissent un bol d’eau que la femme enceinte boit ensuite. Voici une vieille coutume bouddhiste qui consiste à réciter l’Angulimala Paritta pour faciliter l’accouchement.

Angulimala est vénéré dans le monde bouddhiste en dépit de son terrible passé. Il devint non seulement un des premiers disciples du Bouddha mais aussi un Arhat remarquable, c’est-à-dire un saint libéré spirituellement.

Le message est très clair. Personne ne doit craindre d’être condamné à la damnation éternelle. La chaîne du karma peut se rompre n’importe quand. Même le meurtrier le plus endurci qui a touché le fond de la dégradation peut s’élever au sommet de la spiritualité pendant cette vie même.

Références

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

Angulimala : A Murderer’s Road to Sainthood, by Hellmuth Hecker
Kandy : Buddhist Publication Society, 1984

The Seeker’s Glossary : Buddhism. 2nd edition
New York : Sutra Translation Committee of the US and Canada, 1998
4. La doctrine bouddhiste du karma

L’application de la loi du karma dépasse souvent l’entendement humain. On peut cependant réfléchir à cette loi de cause et effet ; on peut aussi observer ses effets sur notre vie quotidienne. La première étape pour empêcher son influence sur nous c’est d’être vivement conscient de la manière dont le karma dirige notre esprit. Nous ignorons sa présence puissante et dominante à nos risques et périls.

Le mot « esprit » traduit le résultat direct des pensées et actions passées qui, à leur tours, aboutissent à de nouvelles pensées et actions. Cette suite apparemment sans fin de causes et effets est la loi du karma dont, hélas, très peu de gens parviennent à se libérer.

Dans la première strophe du Dhammapada, le Bouddha déclare :

« Nos vies sont conditionnées par notre esprit ;
Notre nature est déterminée par ce que nous pensons.
Comme la roue qui suit un char à bœufs,
La souffrance suivra toute pensée impure. »

Le karma est formé des conséquences de nos pensées, paroles et actions passées. Le karma détermine donc les caractères spécifiques de la vie actuelle et des vies futures. Nous créons donc notre propre karma qui est le moteur responsable de nos réincarnations successives. Il n’y a qu’une échappatoire à ce cycle de renaissances : la réalisation du Nirvana.

Comme la sénilité, la maladie et le chagrin ont toujours été le lot de nos nombreuses vies passées, sommes-nous vraiment prêts à nous dissocier de cette chaîne de karma ? Pourquoi acceptons-nous passivement notre conscience conditionnée par notre karma, au lieu d’essayer de nous libérer de cette étreinte embrouillée ?

Nous allons être récompensés ou punis selon la nature bonne ou mauvaise de nos pensées, paroles et actions. Mais prenez garde, il n’y a ni récompenseur ni punisseur car la loi du karma mène sa propre existence indépendante. Le karma est une loi per se dans le sens qu’aucun Etre Suprême ne l’applique ou ne l’annule. Ne laissons pas notre imagination fertile s’emballer en supposant qu’un agent puissant, invisible et puritain est responsable de l’application stricte des règles du karma.

Bien que le jaïnisme et le bouddhisme partagent un même point de vue sur le karma, les deux religions diffèrent fortement sur un point contesté. Alors que le bouddhisme doute de l’existence d’une âme éternelle, le jaïnisme considère le karma comme une forme de matière subtile qui, en s’attachant à l’âme, en diminue et en salit la pureté essentielle : l’âme doit donc être nettoyée de toute matière karmique, autrement cette substance prolongera inutilement la période de souffrance et de peine qui fait partie du samsara.

Beaucoup de philosophes bouddhistes pensent que le karma est synonyme de pensée : karma et pensée sont semblables. Bien que nous connaissions la présence continuelle du karma et de la pensée dans notre conscience, aucune d’elles n’est tangible. Il est raisonnable de considérer le karma comme une énergie puissante et insaisissable existant en nous-mêmes. Comme cette énergie naît de nos motivations, nous nous empêtrons dans le filet du samsara dont il est difficile de s’échapper. Hélas, toutes nos actions sont entachées de motivations, c’est-à-dire de karma. Seules les actions sans motivation sont pures et sans karma. Ce thème sera discuté ultérieurement.

Nos pensées jouent un rôle décisif dans la création de karma qui influe à son tour sur notre façon de penser. Le karma a pour effet de diriger, de conditionner, d’influencer notre vie actuelle et toutes les réincarnations subséquentes jusqu’à l’arrêt du cycle douloureux des naissances et des décès.

« Vous récoltez ce que vous semez » telle est la vérité évidente qui résume la doctrine du karma. Quelle est la portée de ce principe ?

« Atta hi attano natho
Ko hi natho paro siya »

« L’homme est son propre sauveur
Qui d’autre pourrait l’être ? »
Dhammapada 160

L’homme façonne sa destinée. En d’autres termes, l’homme est son propre sauveur, ce qui veut dire que personne ne peut le sauver, sauf lui-même. Le fait de voir que cette idée est sensée fortifiera bientôt la confiance en soi et nous fera cesser de blâmer les autres ou d’autres évènements pour nos malheurs. Shakespeare, le sage, vit avec une grande perspicacité que « the fault, dear Brutus, is not in our stars, but in ourselves, that we are underlings ». A proprement parler, même les Bouddhas des âges anciens ne peuvent aider personne : les maîtres illuminés nous montrent seulement la voie vers l’autre rive. Malgré leur illumination ils ne peuvent nous y conduire en personne. Mais c’est à nous de nous libérer complètement du karma et d’atteindre ainsi la rive sacrée.

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi quelqu’un qui abuse du tabac, de l’alcool ou de la drogue est condamné à souffrir de diverses maladies physiques et mentales. Ici la relation de cause à effet est évidente. De même les étudiants sérieux et studieux qui passent leurs examens haut la main, attribuent souvent leur réussite à des facteurs étrangers tels qu’une intervention ou une assistance divines, ignorant qu’ils étaient seuls responsables de leur succès. Ils récoltaient seulement le fruit de leurs efforts académiques. Comme ils se sont donné beaucoup de mal en veillant fort avant dans la nuit (la cause), ils ont justement réussi l’examen (l’effet), démontrant ainsi le bon fonctionnement de la loi karmique.

Si quelques-uns souffrent de douleurs angoissantes sans raison apparente, c’est qu’ils ont commis collectivement dans un groupe un crime atroce. Quand, par exemple des gens sont écrasés pendant des catastrophes naturelles telles que des tremblements de terre, ou quand des milliers de victimes de guerre sont assassinés sans pitié, quelle est l’explication la plus claire ? Leurs grandes souffrances pourraient remonter à leurs mauvaises actions collectives perpétuées pendant des incarnations passées dont ils ont peu ou prou perdu le souvenir.

En dépit du fait que le terme « karma » est compris par le peuple comme une action, il serait mieux de préciser que le karma signifie volontés. Elles sont de deux types : les volontés salutaires et saines (kusala chetana) et les volontés malsaines (akusala chetana). Le Bouddha l’explique comme suit :

« Je déclare que la volonté, moines, c’est le karma.
Ayant voulu, on agit au moyen du corps, de la parole ou de l’esprit »
Anguttara Nikaya VI 63

En ce qui concerne évidemment le karma, ce n’est ni l’action en soi, ni son résultat, mais uniquement la volonté fondamentale impliquée dans toute pensée, parole ou action. Donc, en fonction de la qualité de la volonté qu’elle soit salutaire, saine, positive ou bénigne, le karma mûrit et fructifie au ciel ou en enfer, dans le monde humain ou animal, dans la vie actuelle, dans la naissance future ou dans les vies futures.

Les volontés des philanthropes vains et complètement égocentriques ont une valeur douteuse. En voulant se faire connaître, un philanthrope construit de nombreuses écoles, hôpitaux et orphelinats à ses frais pour pouvoir les montrer à la société. Malgré que son action charitable enrichisse les pauvres et les non-privilégiés, il reste le fait assez laid qu’elle était égoïste. Son œuvre soi-disant charitable était motivée par un désir de renommé et de reconnaissance sociale. Ces actions soi-disant munificentes étaient-elles nées d’un cœur plein d’amour pour les pauvres, les sans-abri affamés ou les sous-alimentés ?

On peut raisonner sur le résultat des activités égocentriques des piliers de bonnes oeuvres. Puisque leurs motivations sont mélangées, ils acquerraient probablement un peu de bon karma. Par conséquent ils pourraient renaître dans des circonstances très favorables, bénéficiant d’une bonne santé parmi les riches, en paix et dans la joie. Néanmoins les actions égoïstes, amenant un bénéfice social, tendent à fortifier l’ego, prolongeant inutilement la servitude samsarique.

En contradiction avec l’homme riche qui attirait l’attention au moyen d’une générosité préméditée, considérons un cas classique d’altruisme. Un écolier pauvre prend en pitié un mendiant maigre et affamé vêtu de haillons qui mendie sa nourriture dans les rues. L’enfant est très ému par la misère de l’homme, alors il décide spontanément de se passer de déjeuner. Ensuite il offre la nourriture au mendiant. Il le fait sans regret, sans idée préconçue, car il ne se dit pas « Je fais une bonne action rémunératrice ». Traitant cette bonne action avec indifférence, le garçon compatissant n’en parle à personne, pas même à sa mère qui lui avait préparé le casse-croûte. Loin d’entretenir le souvenir de l’événement, l’enfant l’ignore. Quelques-uns pourraient prétendre qu’il a acquis un bon karma, dans un sens il l’a fait, mais comme l’action n’a pas marqué durablement son esprit, elle peut à juste titre être considérée comme sans karma, spécialement parce que cet appel à rendre service a jailli d’une source altruiste, signe de pureté sincère..

Comme ce n’est jamais l’action extérieure mais l’intention intérieure que l’on considère comme le facteur de formation de karma, il s’ensuit qu’aucun mauvais karma se forme lorsque par exemple on blesse ou on fait du mal à un être vivant par mégarde, involontairement ou innocemment. Cependant la malveillance envers les autres augmente certainement le mauvais karma, même dans des situations où une telle aversion ou répugnance ne cause pas préjudice physique ou moral aux autres. Toute animosité envers quiconque constitue du mauvais karma. Pourquoi être antipathique à quelque chose ou quelqu’un ?

Les sages s’assoient calmement, ne font rien et irradient la compassion envers tous les êtres dans toutes les directions, qu’ils soient visibles ou invisibles, près ou loin. Aussi longtemps que l’on irradie de la bonne volonté et de la bonté affectueuse (metta), ce noble état d’esprit et de cœur conduit par lui-même à du bon karma, en dépit du fait qu’il n’aurait pu avoir d’actions socialement bénéfiques ou de bonnes œuvres pendant cet état d’exaltation. On pourrait ne pas vouloir s’occuper de bienfaisance et aider directement la société, préférant la solitude et la paix du foyer, néanmoins en rayonnant de compassion pour l’un ou l’autre ainsi qu’en menant une vie vertueuse et irréprochable, il y aurait une accumulation de bon karma.

Les personnes détachées de ce monde sont critiquées fréquemment à cause de leur indifférence envers les choses terrestres. Quelles marchandises fabriquent-elles ? Il faut reconnaître qu’elles ne contribuent pas beaucoup à l’amélioration économique de la société, mais on peut dire que les ermites et les renonciateurs sont des foyers d’illumination dans notre monde dégénéré qui devient de plus en plus matérialiste ; ils aident indirectement la société en vertu de leur vie exemplaire. En outre, leur quête spirituelle sert à rappeler à l’humanité souffrante la vérité éternelle qu’on ne trouve la joie et la paix perpétuelle qu’en pénétrant dans le cœur, au lieu d’amasser simplement des richesses et qu’en améliorant le niveau de vie en espérant le bonheur.

D’importants aspects du karma se trouvent dans les extraits suivants de mon ouvrage Major Religions of India :

La métempsycose et la doctrine associée du karma étaient déjà connues avant la naissance du bouddhisme. Il a adopté ces doctrines, les a adaptées et harmonisées avec son caractère unique et spécial. Le karma est une loi naturelle entièrement indépendante de toute puissance extérieure, qu’elle soit humaine ou Divine. C’est une loi d’origine inconnue n’ayant pas été promulguée par une autorité. Ce n’est pas qu’on devrait « obéir » à la loi du karma, mais plutôt reconnaître son existence et vivre intelligemment à la lumière de sa compréhension.

D’après la théorie du karma, les malheurs de l’homme remontent directement aux actes immoraux de sa vie ou d’une vie antérieure. L’existence de cet élément moral a probablement rendu la théorie si acceptable par la pensée bouddhiste. La raison pour laquelle une personne est assassinée brutalement est probablement parce que l’assassiné a été coupable de meurtre dans une autre vie. Lorsque A tue B, B ne fait que supporter la conséquence d’un crime moral qu’il avait commis auparavant. Si nous soupçonnons que cela est vrai, nous pouvons soutenir que la société n’est pas obligée de punir A parce que la loi du karma assurera la punition de A pour ce qu’il a fait. Pareillement, pourquoi faire la bienfaisance et améliorer les conditions de vie des pauvres et des opprimés parce qu’ils ont mérité ces souffrances dues à leur mauvais karma ? Si nous aidions ces gens malheureux, ne les priverions-nous pas de l’occasion d’éprouver des privations et ainsi d’annuler les conséquences de leur mauvais karma causé par leur inconduite passée ? Nous voyons pourquoi la théorie du karma est si populaire dans les pays bouddhistes car elle convient bien pour justifier l’apathie et l’inaction contre l’injustice sociale et la misère.

Une telle indifférence impitoyable à l’état misérable des autres provient d’une incompréhension grossière du bouddhisme. Déclarer que ceux qui souffrent « n’ont que ce qu’ils méritent » est tout à fait contraire à la compassion du bouddhisme. Les actions d’un bouddhiste authentique ne sont jamais privées de considération, de bienveillance et de générosité ; il ne devrait jamais rester indifférent aux pauvres, aux affamés, aux souffrants. Au contraire il essayera avec un altruisme compatissant de soulager toute détresse en agissant personnellement ou en tant que membre d’une association.

Beaucoup d’écrivains égalent faussement la doctrine du karma et la prédestination. Quoiqu’il soit vrai que karma signifie la loi de cause à effet, il ne s’en suit pas que la relation entre la cause et son effet est immuable. De l’aveu général le présent a été formé par le passé et le futur le sera par le présent, mais il ne s’en suit pas que ni le présent, ni le futur ne puissent être changés. La force du karma est variable ; en effet la chaîne du karma peut être rompue. Illustrons ce point en étudiant l’exemple d’une graine comme un gland de chêne qui ne peut germer que sous la forme d’un chêne. La relation entre le gland de chêne (la cause) et le chêne (l’effet) est prédéterminée. Le gland de chêne est conditionné par la botanique pour produire un chêne et rien d’autre. Cette forme de fatalisme ne s’applique pas au karma. Car n’importe qui peut tourner une nouvelle page en abandonnant une fois pour toute tout le poids du karma et découvrir l’Illumination.

Le plus bel exemple de métamorphose spirituelle d’Illumination dans la littérature bouddhiste est le cas du meurtrier notoire Angulimala. Son but étrange était d’assassiner les gens dans l’intention de collectionner leurs doigts. Il terrorisait les villages et était craint dans tout le pays. Lorsque le Bouddha entendit parler des activités sanglantes d’Angulimala, il émit le désir de le rencontrer en personne. Ses disciples l’implorèrent de n’en rien faire. Malgré cet avertissement le Bouddha le rencontra sans crainte et lui fit comprendre la folie de ses crimes. Angulimala écouta les paroles du Maître et comprit la Vérité. En conséquence de cette prise de conscience, il fut libéré de tout le fardeau de son karma passé de mauvaises actions et découvrit ensuite l‘Illumination.

Qu’est-ce qui renaît ? D’après la théologie hindoue une matière subtile, vaguement appelée « âme » quitte le corps à la mort et s’installe dans un nouveau corps, tout comme un voyageur se déplace d’un hôtel à un autre.

Cependant pour les Bouddhistes il n’existe pas d’âme immortelle qui transmigre d’un corps à un autre. C’est plutôt le désir ardent ou les traits psychologiques encore actifs à l’heure de la mort d’un corps qui entraîne ces mêmes traits psychologiques dans un autre corps. Ainsi, l’esprit d’un nouveau-né n’est pas pur et innocent mais il est fortement conditionné par cet héritage de traits psychologiques (karma).

L’ensemble de ces traits forme notre « personnalité » ou « ego ». Parmi les traits les plus puissants se trouvent nos ambitions, nos frustrations, nos craintes, nos espoirs, nos désirs, nos aversions, notre colère et autres défauts. L’idée que ces traits se manifestent dans un corps nouveau est basée sur les hypothèses suivantes :

Primo. Nous savons que nos traits sont enregistrés et conservés dans les cellules du cerveau et qu’ils y restent aussi longtemps que le cerveau est en vie, sauf si un accident au cerveau les efface. Les traits disparaissent-ils avec le cerveau au à la mort ? On suppose qu’ils peuvent exister hors du cerveau mort.

Secundo. On suppose que ces traits sont transférables. Des biens matériels peuvent certainement passer d’une personne à l’autre, mais est-ce aussi vrai pour les traits psychologiques dont on suppose qu’ils se déplacent mystérieusement des morts aux vivants ?

En d’autres termes, la théorie de la renaissance est basée sur l’hypothèse que les traits psychologiques, probablement sous forme matérielle, peuvent quitter les cellules du cerveau à la mort et se déplacer d’eux-mêmes vers un autre cerveau, faisant ainsi éventuellement partie de la conscience d’un nouveau-né ou de tout autre être vivant.

La délivrance des souffrances samsariques n’est obtenue qu’après l’épuisement total des karmas accumulés durant les nombreuses vies passées. Le prarabdha karma ne peut en fin de compte être dissipé qu’en vivant toutes ses conséquences ; autrement dit en éprouvant douloureusement les résultats du parabdha karma et par cela payant toutes les dettes de ses vies antérieures. Deux incidents de la vie du Bouddha illustrent ce point.

Primo. Le Bouddha fut faussement accusé du meurtre d’une femme fervente des ascètes nus. Il fut insulté parce qu’il avait insulté lui-même un Pacceka Bouddha dans une vie antérieure.

Secundo. Lors de la tentative d’assassinat du Bouddha par son ennemi Devadatta, son pied fut légèrement blessé. C’était la conséquence du meurtre de son beau-frère dans une autre vie. Le Bouddha avait l’intention de le déposséder de son bien.

Les habitants des sphères célestes célèbrent selon la légende, la venue du Bouddha sur notre terre. L’apparition d’un Bouddha ou d’un Arhat est un fait extrèmement rare. Ce sont des êtres éminents qui sont parvenus à cesser de créer du karma. Ils ne sont plus plongés dans la cupidité (lobha), la haine (dosa) et l’illusion (moha). Comme les fleurs colorées du printemps qui remplissent l’air de leurs parfums et qui sont une joie à voir, leur compassion altruiste remplit l’Univers et entoure tous les êtres vivants. Le parfum de la bonté imprègne leurs actions qui sont toutes faites dans leur intérêt sans motifs ultérieurs, exemptes du désir de récompense, de reconnaissance ou autres. Saluons le peu de personnes qui ont trouvé leur salut en se libérant une fois pour toutes des fers du karma.

Références :

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

The Buddha and His Teachings, by Narada
Colombo : Vajirarama, 1973

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

Major Religions of India : New Insights into Hinduism, Jainism ,Buddhism
and Sikhism, by Susunaga Weeraperuma
Delhi : Motilal Banarsidass, 1998

5. Réflexions sur la pratique de la méditation

Il n’y a rien de plus important dans la vie que la méditation. Une vie dépourvue de méditation devient terne et superficielle. A moins que la méditation soit tout dans la vie, le risque est grand de dégénérer dans une existence primaire orientée vers la nourriture, la boisson et le sexe. Ceux qui ne méditent pas ont tendance à surévaluer les biens matériels et à sous-évaluer la spiritualité. Mais ceux qui méditent se rendent compte des améliorations qui se produisent dans leur nature intérieure. En progressant spirituellement ils observent que leurs difficultés journalières ne sont plus aussi lourdes à supporter qu’elles ne l’étaient dans le passé. Surtout, en méditant correctement ils commencent à ressentir le bien-être d’une détente physique et psychologique.

J’ai rencontré beaucoup d’hommes et de femmes adversaires de la méditation. Ils prétendent être trop occupés par des affaires pratiques et ne pas être en mesure de méditer. Quelle excuse ! Un matérialiste endurci me fit remarquer qu’il n’y a que les esprits simples qui méditent parce que « la méditation est juste un moyen agréable d’échapper aux chagrins et aux épreuves de la vie. » Il faut comprendre que la méditation n’est pas nécessairement une échappatoire car elle a prouvé être le chemin le plus rapide vers l’Illumination. En ce qui concerne les personnes qui s’entêtent à refuser de méditer, elles méritent la pitié. Elles ignorent ce qu’elles perdent ! De plus la méditation est sûrement un des meilleurs moyens d’employer son temps, en particulier parce que la naissance comme être humain est un événement tellement rare dans notre cycle attristant samsarique des naissances et des décès. Inutile de dire à ceux qui pour n’importe quelle raison négligent de s’impliquer dans le but supérieur de la vie, c’est-à-dire la méditation juste, gaspillent leur précieuse vie. Il est temps maintenant de méditer.

Je suis né au Sri Lanka où les gens donnent beaucoup d’importance à la méditation. J’ai heureusement étudié le bouddhisme dans deux des meilleurs collèges où les étudiants pratiquent la méditation. Les méthodes de méditation sont trop nombreuses pour être citées. Qui suis-je pour juger ces techniques ? J’ai néanmoins découvert par expérience que je ne peux souscrire à aucun système de méditation. Mais je suis sûr que d’autres peuvent les trouver utiles pour obtenir une certaine tranquillité intérieure. Cependant, un calme intérieur conduit-il nécessairement à la Libération ?

Pendant mes études, j’ai fait la connaissance d’un moine bouddhiste hollandais appelé Bhikkhu Dhammapala (Henri van Zeyst), un ancien prêtre catholique bénédictin. Dhammapala, un homme grand et mince avec un visage ascétique, m’a raconté un incident révélateur de sa vie de moine : « Je fus invité avec une vingtaine d’autres moines à une distribution d’aumônes à Kandy où nous participâmes à une fête. A la fin du somptueux repas les donateurs m’ont demandé un prêche. ‘Entre autres choses, dis-je, il n’y a pas de mal à faire des dons charitables. Vous gagnerez du mérite en donnant de la nourriture aux moines, mais si vous voulez atteindre le Nibbana, vous devez méditer.’ Au retour dans le temple cet après-midi là, quelques moines m’ont grondé : ‘Tu avais raison dans ce que tu as dit, mais si nous disons tous la même chose, qui nous donnera à manger ?’ »

Dans presque toutes les méthodes de méditation, hélas, il y a un auteur qui médite. L’existence de cet auteur ou je est ce qui nous garde en servitude samsarique. Plus le « je » est activé, plus il devient fort. Le « je » se rendra-t-il jamais complice de sa propre destruction ?

Quand, par exemple on pratique la bonté affectueuse (metta) en croyant rayonner des pensées et des sentiments de bienveillance dans toutes les directions vers les êtres visibles et invisibles, en leur souhaitant naïvement du bonheur, ces actions n’émanent-elles pas subtilement de l’ego ? L’ego s’est-il adonné à faire tout ce qui n’est pas égocentrique ? En outre les personnes envieuses, haineuses et méchantes sont-elles jamais capables de traiter les autres avec une véritable bonté affectueuse? En d’autres termes, considérant ma nature mauvaise et bestiale, suis-je jamais capable de me conduire avec compassion?

Quoi que je fasse, le « je » ou l’ego est toujours là. C’est comme l’ombre inséparable à laquelle on ne peut jamais échapper. Maintenant, y a-t-il une pratique spirituelle (sadhana) dans laquelle le « je » est totalement absent ? Comme l’auteur est toujours présent dans toutes ses pensées, paroles et actions, il est clair que ne rien faire, c’est-à-dire l’état d’inaction, est certainement préférable à l’état égocentrique de l’action. Toutes nos pensées, paroles et actions non seulement sont-elles fortement influencées par les demandes égoïstes de l’ego, mais elles proviennent de l’ego lui-même. Par conséquent toute soi-disant pratique spirituelle qui est entachée même légèrement d’ego doit être considérée comme très suspecte et non-fiable.

Toutes les pratiques pieuses de l’auteur de méditation ne sont-elles pas vouées à un lamentable échec puisqu’il est incapable de perception impartiale et non déformée ? L’esprit a-t-il la possibilité d’observer sa propre nature avec désintéressement parce que, étant donné ses désirs subtils et ses tendances latentes (vasanas), l’esprit est inévitablement intéressé ? Notre psychisme conditionné est condamné dans le sens qu’il ne peut réellement rien faire en soi à progresser spirituellement. Maintenant, que se passe-t-il lorsque notre malheureuse conjoncture est clairement comprise ? On est naturellement impuissant et on se rend compte que l’état d’inaction est le seul sadhana possible. Alors, il y a la tranquillité. C’est une tranquillité naturelle, non une tranquillité artificielle provoquée par une discipline qui est temporaire. Dans le passé l’auteurs hyperactifs a essayé assidûment de devenir tranquille, tandis que maintenant il y a l’état suprême d’être tranquille puisque l’auteur dangereux est mort. Cette transformation intérieure arrive sans effort.

C’est la discipline sans discipline, la méthode sans méthode, le sentier sans sentier, le système sans système, la manière sans manière de se tourner vers l’intérieur et de découvrir l’Absolu et d’y demeurer éternellement.

Que se passe-t-il dans le Royaume suprême de la Conscience Pure ? Toutes les activités de l’esprit seront vues comme une simple série de scènes changeantes sur l’écran immuable de la conscience pure. Ce sera une surprise complète de réaliser que tous les problèmes et les souffrances passés étaient le résultat de l’erreur terrible d’avoir compté sur l’esprit pour le bonheur au lieu de découvrir cette source pure et sans tache — la conscience pure — et d’y demeurer une fois pour toute.

Les manières décevantes de l’esprit ne se comprennent que du point de vue de la conscience pure — le substrat sans tache sur lequel l’esprit naît et dans lequel il doit se fondre éventuellement. Alors que l’esprit est juste un habitant provisoire et fièrement gênant dans ce Royaume de la Conscience Pure, ce royaume sacré reste hors de la sphère de l’esprit. L’esprit demeure dans le Royaume mais non l’inverse.

La lumière brillante de la conscience pure est la Libération elle-même. Cette lumière peut-elle être enclenchée par un effort déterminé de l’ego ? Le « je » serait-il désireux ou coopératif dans ce domaine ? Cela arrive à peine parce que l’existence du « je » constitue l’obstacle majeur pour remarquer la lumière. En réalité cette lumière était toujours présente dans toute sa splendeur. Nous avons simplement et bêtement été ignorants de sa présence perpétuelle ces dernières années.

Quand la torche de la conscience pure se focalise sur les activités de l’esprit, il y a immédiatement une perception non déformée et un éclair d’intelligence. On verra alors que les pensées et les sentiments sont comme des vagues éphémères mourant sur la grève, montrant clairement que « la conscience » ou « l’esprit » n’est qu’une collection hétéroclite de pensées, souvenirs, sensations et autres éléments. Le contenu de l’esprit continue à changer. Une combinaison de pensées, de sentiments et d’autres est bientôt suivie d’une nouvelle combinaison. L’esprit semble certainement exister mais en réalité, il y a seulement des flots d’images qui apparaissent rapidement et qui disparaissent bientôt. En conséquence, une des découvertes les plus importantes de ceux qui méditent est la conception nette et étonnante qu’il n’y a pas une chose telle que « l’ esprit » qui est juste un concept ou une création de l’ imagination. De la même manière, ceux qui méditent ont commencé à se rendre compte qu’il n’y a pas de « je » non plus. La croyance entretenue en l’existence d’une « personnalité » provient d’une fausse impression dans le processus de la pensée qu’il y a une entité perpétuelle appelée le « je » existant à part des autres choses. Mais comme déjà décrit, il n’y a rien dans le domaine de la conscience qui est constant ou inchangé.

Nombreuses sont les théories relatant l’émergence de l’ego. Certains prétendent que la pensée « je » était la première. D’autres affirment que compte tenu de l’instabilité kaléidoscopique de l’esprit qui conduit à un sens de l’insécurité et de malaise, l’esprit invente astucieusement le « je » qui aide à créer un sentiment de sécurité tranquille et de continuité confortable. Quoi qu’il en soit, il est plus important de dissiper l’ego que de spéculer sur ses origines.

Pourquoi n’arrivons-nous pas à voir que la pensée déforme la perception de la réalité ? L’asservissement de l’homme aux pensées est la cause primordiale de ses souffrances. Passer toute sa vie avec un esprit encombré est une chose, n’utiliser la pensée que quand la situation l’exige et après se désengager de la pensée, est autre chose. Les sages n’usent de la pensée que quand c’est nécessaire, c’est-à-dire dans le but de communiquer, mais ils retournent immédiatement après à leur état naturel et primordial de conscience pure.

Le sage libéré, observant impartialement tous les phénomènes qui naissent des sens, ne disant ni « ceci est bon » ni « cela est mauvais », voyant simplement comment les pensées et les sentiments apparaissent et se traînent comme les nuages passagers dans le ciel de la conscience pure, demeure pour toujours dans cet état de méditation profonde. Cette sphère silencieuse est absolument bienheureuse car il n’est plus dérangé par les actions de l’auteur. Ayant découvert cet état permanent et exaltant d’absence d’ego, le sage possède une compassion illimitée pour tous sans exception.

Des moments de calme dominent dans l’intervalle de temps entre deux pensées. Ce sont nos secondes sacrées. Alors que quelques êtres humains ont occasionnellement un aperçu de la conscience pure, vivant quelques instants fugaces de calme bienheureux, les sages émancipés spirituellement sont en permanence dans ce domaine rare. En conséquence la paix, la joie, l’absence de douleur et de dépression est pour eux la règle plutôt que l’exception.

Aujourd’hui, c’est la mode de dire que l’on pratique la méditation. En conséquence, on trouve une variété étonnante de méthodes de méditation attribuées toutes au Bouddha. J’ignore si ces techniques sont authentiques. Peut-on en être sûr ? J’ai entendu dire que le Bouddha ne préconisait pas de méthode particulière, mais recommandait celles qui convenaient le mieux aux besoins particuliers des individus. Le sujet est confus et peu clair ; quoi qu’il en soit, ce que le Bouddha fit lui-même a beaucoup plus de poids que les exercices qu’on dit qu’il a enseigné aux autres. Je suis sûr que ses actes expriment la vérité avec plus de précision et d’éloquence que n’importe quelles paroles. Comment le Bouddha méditait-il lui-même ?

Vers la fin de sa vie, le Bouddha déclara à son plus cher disciple Ananda :

« C’est seulement aux occasions où le Parfait arrête de porter son attention à tout ce qui est extérieur, en annihilant ses sensations, en demeurant fermement dans l’état détaché et sans objet, que le corps du Parfait est confortable »
Mahaparinibbana Sutta — Digha Nikaya ii 100

On peut conjecturer que dans cet état de pureté, il ne restait pas influencé par le corps et d’esprit, ni entaché d’émotions ni par des images mentales. Comme il était complètement soustrait à toutes les expériences des sens, il n’y avait probablement pas de connaissance dans son propre corps non plus. Il y avait de paix intérieure parce que, aussi paradoxal qu’il paraît, l’état suprêmement éveillé du Bouddha était plein de vitalité et néanmoins calme et détaché de tout. Il était actif, mais pourtant passif dans cet état non-dualiste.

Si ce que le Bouddha a dit à Ananda n’est pas à oublier, on peut conjecturer que l’état de sans-objet est sans pensée, un état de néant dans lequel on n’attire l’attention sur rien. Ni on est sous pression pour observer le mouvement apparemment incessant du flot de pensées et de sentiments ni le mouvement de la respiration. Il est aussi notable que l’état de détachement n’a pas du tout de points de vue ; il n’y a pas de point de vue spécifique tel que l’ego pour penser, juger et observer, justement parce qu’il n’y a pas de « penseur » (ego) qui pense des pensées. A proprement parler, il n’y a pas de pensées non plus car on est dans un état sans objet comme on l’a déjà mentionné. En conséquence la méditation la plus profonde se produit seulement, façon de parler, quand l’état de vide sans ego regarde le vide prédominant lui-même.

Une jeune journaliste américaine m’a posé la question suivante : « Quelles pratiques spirituelles faites-vous, si tant est que vous faites ? »

Après une vie de plusieurs pratiques spirituelles (sadhanas) j’ai arrêté d’en faire !

Je me suis rendu compte un jour que le désir d’essayer cette pratique-ci ou cette pratique-là faisait partie de l’état turbulent de l’esprit. Aussi les ai-je arrêtées toutes ensemble. Je sais maintenant que le fait de ne pas faire de pratique spirituelle est en réalité la plus grande pratique spirituelle ! Ce que j’ai bien compris était essentiellement l’enseignement d’un saint remarquable du Sri Lanka.

Il disait Summa Iru ce qui signifie NE FAIS RIEN.

Inutile de dire que je suis profondément reconnaissant à Saint Yogaswami du Sri Lanka pour sa profonde perspicacité.

Je vais essayer d’être plus clair. Le processus de la pensée est dans un état de changements perpétuels. La caractéristique principale de l’esprit est l’agitation. La compréhension de la nature agitée de l’esprit n’est pas facile du tout, mais quand on se rend compte de cette réalité, on peut voir clairement que le désir de faire diverses pratiques spirituelles provient de cette agitation même. L’esprit se referme alors sur lui-même et un état de sérénité apparaît spontanément. La fin de l’agitation est le début du bonheur céleste.

6. L’art de la méditation véritable

« Les disciples de Gotama sont toujours vigilant
et bien réveillés, prenant grand plaisir
A la méditation pure jour et nuit »
Dhammapada 301

L’homme a inventé de nombreux systèmes de méditation à travers les siècles. Ces méthodes de méditation ont été conçues dans la croyance et l’espérance que son effort puisse d’une manière ou d’une autre conduire au salut spirituel. Il apparaît, dans la quête religieuse de l’homme, qu’il avait la croyance profonde que la méditation était le chemin vers la Réalité. Ayant ainsi imaginé l’Absolu, l’homme a lutté en vain pour trouver des moyens de le « découvrir ». On s’est rarement rendu compte que l’Absolu imaginaire ainsi que les chemins supposés y conduire étaient tous l’œuvre astucieux de l’esprit humain.

L’étude de chacun des systèmes de méditation est très laborieuse. Elle prend beaucoup de temps. Heureusement les systèmes de méditation anciens et modernes se divisent en catégories facilement reconnaissables. Ce que l’on présente souvent comme le dernier système de méditation en vogue n’est qu’une modification d’une ancienne pratique par un nouveau gourou sous un nouveau nom! Une seule méthode représentative de méditation de chaque type suffira pour être étudiée dans cette discussion. On devrait être capable de connaître les caractéristiques frappantes et les limites de toutes ces méthodes à la fin de l’étude.

Les systèmes de méditation trompeurs sont si nombreux qu’au début on est tellement étonné et que l’on ne sait que faire. Il est néanmoins possible de commencer en découvrant les tromperies dans n’importe quel des systèmes de méditation. La découverte des éléments erronés d’un système n’est pas une perte de temps et d’énergie. De telles découvertes éveillent l’esprit et ainsi on est averti de toute implication future dans des pratiques erronées ; en même temps, en découvrant la tromperie comme telle, on possède une vision fugitive de la vérité. Beaucoup des complications psychologiques de l’homme proviennent de l’erreur de prendre le faux pour le vrai, de substituer l’illusion à la réalité. En conséquence, l’approche de la méditation véritable est nécessairement négative dans le sens où l’on commence par éliminer un par un tous les systèmes de méditation qui nous ont égarés et maintenus dans l’obscurité.

Certains systèmes de méditation ont été conçues pour apaiser l’esprit et l’endormir dans une tranquillité artificielle. De tels systèmes sont surtout critiquables car tout effort pour apaiser l’esprit, non seulement stimule l’ego ou le « je » dans l’homme, mais le renforce aussi.

Les partisans de ces systèmes se posent rarement, si jamais, la question très importante : Qui essaye d’apaiser l’esprit ? Un esprit apaisé artificiellement est rempli du sentiment de réussite et d’accomplissement de l’ego.

Le Mantra Yoga est la technique la plus connue d’apaisement de l’esprit. Le candidat spirituel reçoit de son gourou ou choisit lui-même une syllabe ou un mot sacré, parfois même un son sans signification qu’il doit répéter inlassablement. Soit dit en passant, un mot n’est ni sacré, ni profane, mais c’est un autre sujet. Les gens ont répété pendant des siècles des mots et des phrases comme « Ave Maria », « Hare Krishna », « Allah » et « Om ». La répétition mécanique comme le fait un perroquet d’un mot, d’une phrase à voix haute ou silencieusement est enfantine et facile. Après un certain temps l’esprit est hypnotisé par ce qui est répété et ensuite le mot ou la phrase résonne dans la conscience. Les couches superficielles de l’esprit se relâchent et s’apaisent provisoirement. Mais derrière la façade de paix se trouve l’ensemble de l’inconscient avec toute sa gamme de conflits, d’exigences et de problèmes. Devient-on plus intelligent en apaisant artificiellement et temporairement l’esprit turbulent ? En effet tout le processus de calmer l’esprit dénote un manque d’intelligence véritable. Un esprit intelligent n’est pas celui qu’on a bercé dans l’inaction, mais celui qui est plein de vie et de vigueur. N’ayant pas été drogué par des mots, un esprit intelligent est vivement éveillé, digue, rapide et perspicace.

On a débattu qu’un des avantages supposés de calmer l’esprit, est la possibilité de permettre à l’inconscient refoulé de se vider de son contenu. Même si cette revendication est vraie quelle serait l’utilité de libérer l’inconscient au moment où l’on n’était pas tout à fait éveillé pour l’observer ? De toute façon l’inconscient se révèle quand on ne l’attend pas. L’inconscient peut être comparé à un voleur rusé qui se cache lorsqu’il est poursuivi, mais qui réapparaît quand on l’attend le moins. Donc la méditation véritable ne consiste pas dans une poursuite délibérée de l’inconscient. L’inconscient ne se dévoile qu’à celui qui est continuellement dans un état de méditation véritable, en d’autres mots un état où l’esprit est à la fois passif et éveillé.

Pour beaucoup la méditation n’est rien d’autre qu’une analyse rigoureuse du moi, ce que l’on appelle parfois l’introspection. L’esprit s’analyse lui-même. Hélas l’esprit fortement conditionné est conçu pour opérer sur lui-même. Dans ce procédé une partie de l’esprit tente vainement d’analyser son autre partie. Il en résulte seulement un réarrangement de pensées anciennes suivant un nouveau schéma. En conséquence, on n’a jamais de nouvel aperçu de la nature et de la structure de l’esprit. Puisque l’esprit est déjà conditionné, il est incapable d’introspection véritablement objective et impartiale. Le fait que l’analyse du moi sera nécessairement influencée par l’état de l’esprit conditionné avec toutes ses craintes, obsessions, aspirations, frustrations, impulsions psychologiques et d’autres, ne peut être négligé. La base psychologique sur laquelle on pense, on sent et agit est si énorme et puissante qu ‘elle fausse inévitablement et déforme toute espèce d’analyse, sans compter l’analyse du moi.

L’analyse du moi stimule le zèle de l’esprit et l’amène à un état de forte activité mais non de clarté. Plus il y a d’intellect plus l’analyse du moi devient attirante car on lui lâche la bride.

A ce point, il faut se poser encore une fois la question importante : Qui est « l’analyste » dans l’analyse du moi ? Il y a une entité illusoire qui s’engage à faire l’analyse. Cette entité est une invention de l’esprit conditionné dans son désir de permanence et de sécurité. Cette notion fausse du « je suis » est source de contestations interminables non seulement en nous-même mais aussi dans le monde extérieur. C’est un peu ironique quand « l’analyste », s’affirmant fièrement, essaye d’explorer son esprit, car « l’analyste » est autant un produit de, et en effet de la même nature que, l’esprit tordu, compliqué et conditionné qu’il veut analyser.

Il y a d’autres traquenards dans l’analyse du moi. On s’attend à découvrir les diverses couches de l’esprit par l’analyse du moi, en enlevant les couches les unes après les autres, jusqu’à ce que la structure entière de l’esprit se révèle. Mais l’esprit est un mécanisme trop complexe pour être considéré sous forme de couches comme s’il s’agissait d’un gâteau fait de plusieurs couches nettement visibles. Et même si l’on admet que l’esprit se compose de telles couches, il est possible d’être mal dirigé dans ce processus. Après avoir découvert chaque couche, les données sont rassemblées, les conclusions sont tirées et avec leur aide on essaie de découvrir les couches suivantes. Si par erreur, on tire des conclusions erronées à n’importe quel stade, tout ce processus de quête intérieure dorénavant mène dans la mauvaise direction.

Une autre limite sérieuse de l’analyse du moi est qu’elle empêche la perception totale et instantanée, perception qui se produit en un éclair et non graduellement par étape. Par exemple, la perception globale d’une maison se fait instantanément. On ne divise pas analytiquement une maison en ses parties d’abord, et ensuite remarque son existence dans sa totalité après. On ne voit pas séparément les fenêtres, les portes, les murs et le toit et dit peu après « ah oui, je vois une maison » ! Au contraire, on perçoit toutes les parties de la maison ensemble. De même ce n’est pas par un processus long et lassant de dissection et d’analyse que l’on comprend la nature et la structure de l’esprit. Cette perception profonde se passe dans un éclair instantané de conscience pure quand l’esprit, ayant cessé de bavarder et d’analyser, est devenu tout d’un coup extraordinairement calme.

Certaines écoles de méditation préconisent la concentration qui est censée donner à l’esprit agité les qualités rares de stabilité, puissance et d’un peu de ténacité. Le support de concentration est habituellement un symbole, une image ou une idée choisi à son gré. Le choix est fait parfois par le gourou dans sa soi-disant grande sagesse. L’exercice de concentration commence par s’efforcer de concentrer toute son attention et son énergie sur un objet déterminé d’avance, soit l’objet A. La personne essaye fort de diriger son esprit uniquement vers l’objet A pour constater que son esprit change pour l’objet B. Elle lutte alors pour ramener son esprit de l’objet B à l’objet A, mais alors l’esprit a changé ses centres d’intérêt vers d’autres objets X, Y, Z. Peu après l’esprit se transforme en un véritable champ de bataille de pensées conflictuelles qui tirent dans diverses directions. Cette confusion réduit la personne à un état d’épuisement nerveux.

C’est dommage que les adeptes de la concentration se posent rarement la question principale : Qui essaye de se concentrer ? L’entité qui lutte pour se concentrer n’est-elle pas notre vieux compagnon malin et presque inséparable, l’ego ou le « je » ? La pratique de la concentration n’est-elle pas un moyen subtil de soutenir, en l’exerçant, l’existence de l’ego qui essaie toujours de survivre de toutes manières ?

Au lieu d’essayer de contrôler le processus psychologique par la concentration ou par d’autres espèces d’ingérence, pourquoi ne pas le laisser seul ? Le flux de la conscience appelé parfois le processus de la pensée peut se comparer à une rivière au courant rapide. Le cours d’une rivière ne peut certainement pas être découvert en le bannant ou en le dérivant. On en comprend mieux le cours en suivant le courant, où qu’il aille. En conséquence, comme l’esprit va de A à B et de B à C et ainsi de suite, n’est-il pas plus sage de suivre son cours sans provoquer sans ingérences quelles qu’elles soient ? Le cours d’un ruisseau est clairement vu en suivant simplement le courant où qu’il aille. Lorsque l’attention erre, pourquoi ne pas la laisser errer librement ? Lorsque l’esprit devient distrait, que gagne-t-on en recourant aux méthodes brutales de soumission du processus de la pensée, comme l’est l’analyse ou la concentration ? Pourquoi ne pas découvrir tout à propos des facteurs causant la distraction ? Chaque distraction raconte une histoire ; chaque distraction offre une occasion magnifique d’ouvrir la porte de la connaissance du moi ; chaque distraction montre l’existence d’un centre d’intérêt dont on n’a jusqu’à présent pas été conscient en partie ou en totalité. La distraction est aussi causée par l’existence de zones sombres et inexplorées de l’esprit.

L’esprit vide et non-conditionnée n’a jamais à se battre. Car dans cet état sans intentions et sans karma, l’esprit peut facilement se concentrer sur n’importe quel sujet sans aucun effort.

La méditation véritable consiste à se rendre compte passivement de toutes ses pensées et ses sentiments d’un instant à l’autre.

Elle est l’observation non-discriminatoire et impartiale de toutes ses réactions psychologiques aux personnes, aux évènements, aux situations, aux idées et autres. La méditation est une activité passive parce qu’on n’essaye pas du tout de s’ingérer dans le processus psychologique. Je dis qu’elle est une activité passive parce qu’il n’y a pas de répression, condamnation ou justification de ce qu’on remarque en soi.

Cette observation passive et sans jugement de l’esprit peut se comparer à l’observation du trafic routier. On regarde passer le trafic dans la rue, sans y faire quelque chose. Mais une telle observation n’est pas facile parce que nous sommes habitués à juger, à évaluer, à condamner, à comparer, à approuver ou à justifier nos pensées et nos sentiments. Ce sont ces penchants profondément ancrés qui ont rendu notre esprit si terne et si mécanique. Mais l’esprit pur — celui qui n’est pas mécanique et qui est complètement non-conditionné, celui qui est sans karma et créatif — ne déforme pas la perception. Il observe simplement et innocemment toute chose dans le monde intérieur et dans le monde extérieur. L’esprit pur voit les choses comme elles sont en Réalité.

Il n’y a de méditation véritable que quand on est dans l’état sublime d’être sans désir. C’est seulement quand l’esprit n’a plus de volonté qu’il ne crée plus de karma. Un tel esprit est pur.

L’observation constante et non déformée de soi-même fait apparaître les profondeurs cachées de l’inconscient. Une telle observation ou conscience est la flamme pure qui seule brûlera tous nos problèmes psychologiques. Si l’observation superficielle de nos pensées et de nos sentiments est relativement facile, il est bien plus difficile d’être conscient des forces cachées au-dessous d’elles, ces peurs, espoirs, ambitions, impulsions inconnues qui font notre conduite quotidienne. La méditation est alors le moyen sublime par lequel l’esprit conditionné devient non-conditionné. Une vie qui n’est pas consacrée à la méditation devient bientôt superficielle, misérable et terne ; d’un autre côté, la personne qui s’adonne à la méditation se nettoie psychologiquement. C’est seulement dans cet état de pureté interne que l’on éprouve le bonheur de la Libération.

« Ceci, moines, est la présence attentive et la compréhension claire de Nanda.
Ici, moines, pour Nanda, les sentiments sont compris dès qu’ils grandissent, dès qu’ils restent présents, dès qu’ils disparaissent ; les perceptions sont comprises dès qu’elles grandissent, dès qu’elles restent présentes, dès qu’elles disparaissent ; les pensées sont comprises dès qu’elles grandissent, dès qu’elles restent présentes, dès qu’elles disparaissent.
Ceci, moines, est la présence attentive et la compréhension claire de Nanda. »
Anguttara Nikaya VIII 9

Références

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

The Dhammapada translated from the Pali by P. Lal
Calcutta : Birla Foundation, 1997

7. Le « je » existe-t-il réellement ?

La doctrine bouddhiste d’Anatta ou le sans-âme est unique, elle n’existe pas dans d’autres religions. Le Bouddha attire l’attention sans équivoque sur cet enseignement :

« Que des Bouddhas apparaissent dans ce monde ou non, il reste toujours un fait que les parties constituantes d’un être manquent d’âme. »

L’insistance du Bouddha sur la non-existence d’une âme permanente ou atman était un rejet de la pensée hindoue traditionnelle qui avait maintenu son existence. Qu’est-le moi ou l’âme ?

D’après le Brhadaranyaka Upanishad cette atman est insaisissable, indestructible et sans attache ; elle n’est pas liée, ne tremble pas et n’est pas blessée. Les hindous croient que bien que le corps se détruit chimiquement à la mort, l’âme reste immortelle et émigre alors dans un autre corps sauf si elle s’est déjà fondue dans Brahman, la Réalité Suprême ou l’Absolu. Les notions d’atman et de Brahman sont très proches : en fait ils sont deux aspects de la même idée car atman n’est que l’aspect subjectif de ce qui est appelé objectivement Brahman.

Pourquoi l’homme se fait-il des illusions en croyant en une âme ou un moi immortel ? N’est-ce pas à cause d’avoir failli à se rendre compte que son moi ou sa personnalité psychologique n’est qu’un ensemble temporaire de parties différentes, un simple paquet d’attributs qui peuvent se désintégrer à tout moment? Comment une agrégation temporaire de qualités puisse être jamais permanente? Ce qui est considéré à tort comme étant le moi est fait de cinq attributs appelés skandhas. Ils sont la forme (rupa), la sensation (vedana), la perception (sanna), la volonté (sankhara) et la conscience (vinnana). Comment pourrait-il y avoir quelque chose de permanent puisque ces skandhas sont constamment en mouvement, changeants comme les eaux rapides d’un torrent ?

L’impermanence des choses est la doctrine cardinale du bouddhisme. Ceux qui ne comprennent pas cette vérité vont se rendre inutilement malheureux et peu sage. Voici un extrait d’un verset bien connu récité aux funérailles bouddhistes :
Anicca vata sankhara
Uppadavayadhammino
Uppajjitva nirujjhanti

« Toutes les choses conditionnées sont impermanentes
Leur nature est de grandir et de disparaître
Etant advenues, elles doivent alors cesser. »

Ce qu’on appelle l’esprit résulte d’une combinaison éphémère de diverses influences corporelles, psychologiques et sociales. Il y a la nature raciale et biologique héréditaire, et les dispositions, les préjugés et les croyances acquises. On est aussi conditionné par les nombreuses expériences d’une vie entière. Toutes ces influences ont fait l’homme ce qu’il est, elles lui ont donné un sens de la personnalité. Donc je suis conscient de mon moi. En conséquence je me sens différent de mon voisin et lui aussi se sent détaché de moi parce que nous nous berçons de l’illusion du moi. Quand il essaie de favoriser son propre intérêt et que j’essaie de favoriser le mien, une relation amicale est gâtée par des sentiments hostiles et soupçonneux. La croyance en un moi indépendant nous rend égoïstes, cause principale de douleur. Mais si l’on débarrassait l’esprit de toutes ces influences nombreuses, ne serait-ce pas la fin du moi qui est l’excroissance collective de ces influences ? En démolissant le mythe du moi le Bouddha nous montrait aussi la cause principale de tous les affrontements sociaux.

Le moi que l’on présente comme l’ego, l’âme, l’expérimentateur, le centre, le penseur, l’observateur ou le je est une prison dans laquelle nous usons nos précieuses vies. Nous demeurons confinés dans les limites étroites de cette terrible cellule, oublieux du monde sans frontières de la perception qui attend la personne s’étant libérée de cette coquille psychologique.

Envisageons l’état d’esprit du pauvre époux qui est grondé sans cesse, insulté et humilié par sa femme. Il était jadis très attiré par sa jeune épouse mais maintenant il accumule des sentiments de haine envers elle. Il déteste sa présence même et désire la tuer. Pourtant la voix de sa conscience lui dit : « N’aie pas de mauvaises pensées. Aime ton épouse au lieu de la haïr ». Ce que l’on appelle « conscience », ici, est le résultat de son conditionnement moral et de son éducation religieuse. Il se rend aussi compte que des sentiments de mauvaise volonté ne provoqueront que le discorde dans ce qui pourrait être une relation harmonieuse. Donc la partie cultivée de son esprit lui dicte le message « Aime ta femme » en contradiction avec l’autre partie de son esprit qui bout de colère. On pourrait décrire la partie de son esprit pleine de colère comme l’état de ce qui est, tandis que l’autre partie qui le presse de réprimer cette colère on pourrait la décrire comme l’état de ce qui devrait être.

Le je illusoire naît du conflit entre ce qui est et ce qui devrait être. La partie conditionnée de son esprit ne crée pas d’elle-même le je aussi longtemps qu’elle reste en sommeil. Mais dès que la partie conditionnée essaie de maîtriser et dominer le reste de l’esprit comme s’il était une entité puissante et permanente, alors on s’aperçoit que le je émerge. Dans l’exemple ci-dessus, si l’époux était conscient de sa haine sans désirer la faire cesser, si en d’autres termes, il était simplement attentif à l’état de ce qui est sans aucune ingérence de quelque nature que ce soit, le je grandirait-il alors ?

Le je est aussi l’image que je me fais de moi-même. Comme je me réjouis facilement quand d’autres font mon éloge ou me félicitent ! Rien n’est plus doux que d’entendre ses louanges ! Comme mon amour-propre souffre quand on me critique, censure ou me condamne ! Mais s’il n’y avait jamais eu d’image de moi-même, ne répondrais-je pas alors avec équanimité à l’éloge et au blâme ?

Le je ou centre psychologique n’est pas un point fixe et immuable car l’esprit possède beaucoup de tels centres d’où il réagit aux situations, aux gens, aux idées, aux objets matériels et autres. A tout moment donné le centre le plus autoritaire devient le je temporaire. Même la pensée est potentiellement capable de devenir un tel centre. Quand l’esprit se trouve coincé dans un centre, il se déplace peureusement et sans défense vers un autre centre. Infatigable l’esprit peut ainsi changer d’intérêt d’un centre à l’autre, mais compte tenu de son état conditionné il ne semble être jamais capable de fonctionner sans centre. Ces centres donnent à l’esprit un certain sens de stabilité dans le flot toujours changeant, versatile et coulant de la conscience. Donc on comprend pourquoi l’esprit porte un grand intérêt à ses centres qu’il sauve, protège et défend vigoureusement. Toutes les tentatives des moines, des yogis et d’autres, s’ils sont malavisés, de supprimer le je, sont vaines parce qu’un centre disparu est aussitôt remplacé par un autre.

Les souvenirs sont toujours ajoutés au moi aussi bien qu’être effacés, néanmoins le moi fictif est une entité vivante : ses composants changent mais il réapparaît sous des formes nouvelles qui aide à créer l’illusion d’une continuité éternelle. Le moi se reconstitue et se rétablit tout le temps.

Etant donné la grande tendance de l’esprit à se faire des illusions au moyen d’explications et de théories réconfortantes, on se demande si l’origine de la théorie de la réincarnation du moi ne se trouve pas dans son désir ardent d’existence perpétuelle. On a prétendu erronément que le moi se réincarne et évolue pendant des vies innombrables jusqu’à ce qu’il atteigne l’illumination. Le moi est supposé, par un procédé d’affinement graduel, réaliser la divinité quand il se fond dans le Moi Cosmique. Mais le moi peut-il jamais perdre sa petitesse caractéristique tout en restant lui-même ? De l’aveu général le moi peut grandir et se glorifier mais ses limites essentielles restent inchangées. A quoi sert un ego « sublime » et « divin » s’il reste toujours un ego ? L’ego peut être comparé à une blessure infectée de l’esprit qui peut donner de temps en temps la fausse impression de guérir un tout petit peu ici et là, mais même ainsi ne reste-t-il pas une blessure ? En conséquence, il semblerait que rien moins que l’abandon total et absolu du moi est nécessaire pour une révolution fondamentale de la conscience. Cette croyance malsaine où l’on va trouver la libération spirituelle dans une vie future crée certainement un espoir consolant et un optimisme joyeux ce qui, à son tour, aide à surmonter les chagrins et les problèmes de la vie. Comme l’engagement important de l’esprit astucieux dans cette croyance permet de s’évader du présent, de l’éternel maintenant ! Comme l’esprit paresseux retarde indéfiniment le besoin d’action immédiate et ignore l’urgence d’abandonner le moi ici est maintenant !

Il semblerait que la pensée unique Je suis constitue seul le moi. Une telle opinion néglige le fait que cette pensée représente seulement la surface de tout le contenu de l’esprit inconscient ainsi que de l’esprit conscient. Car la personnalité psychologique de chacun c’est-à-dire le je est constituée et déterminée par les nombreuses pensées qui se dissimulent dans l’esprit. La conduite du je est dirigée par des facteurs tels que ses espoirs, ses craintes, ses frustrations, ses attentes ainsi que tous ces penchants hérités malheureusement de notre passé animal vieux de millions d’années. C’est ainsi souvent le cas où derrière la façade d’un je « aimant » se cache une nature cruelle.

Dans le courant de la conscience la pensée « je » n’est qu’une pensée parmi de nombreuses autres, mais pourquoi la pensée « je » se place-t-elle en dehors des autres pensées et joue-t-elle un rôle dominant ? Pourquoi la pensée « je » se comporte-t-elle comme si elle n’était pas une pensée insignifiante et solitaire mais plutôt une entité puissante ? Pourquoi en d’autres mots, le je essaie-t-il de diriger le cours des autres pensées de manière dictatoriale ?

Le je n’est qu’une construction subtile et habile de la pensée. Il semble y avoir une collusion étrange et maline entre le je et la pensée qui déforme notre possibilité d’une perception claire. Le je et la pensée sont faits d’une même substance qui est la pensée. La pensée est évidemment une espèce de matière sans relation avec l’état libéré. Si le je était fait d’une substance céleste ou éthérée qui n’est pas la pensée, alors peut-être, il pourrait réussir dans ses efforts pour contrôler, soumettre et corriger les déviations de la pensée. Après avoir réalisé, à son grand étonnement, que le je n’est rien de plus qu’une simple pensée et aussi qu’il y a une relation étroite entre le je et la pensée, on découvre la futilité d’activer le je pour guider et contrôler la pensée. En conséquence le je cesse de lutter, de contrôler, de réussir et de dominer ; exprimé avec plus de précision, le je cesse d’être et ainsi finit le processus du devenir.

On ne peut éviter de s’attacher profondément au moi inventé par l’esprit dans son besoin d’un hâvre de sécurité. On s’accrochedonc passionnément au moi, car sans cette bouée de sauvetage on se sent très solitaire, perdu et misérable. Une peur accrue est la conséquence inévitable de cet attachement. Parmi les nombreuses craintes qui hantent la conscience de l’homme, la crainte de perdre son moi prédomine facilement. En fait, toutes les autres peurs se rapportent beaucoup à cette peur centrale, élémentaire et primordiale. La reconnaissance de l’existence précaire et fictive du moi tend à rendre cette crainte de le perdre d’autant plus contraignante.

On peut méditer sans fin sur la raison pour laquelle la pensée « je » qui n’est après tout qu’une partie de tout le processus de la pensée, s’est attribué arrogamment un tel pouvoir supérieur sur les autres pensées. La spéculation est une activité amusante pour beaucoup, mais parce qu’elle implique seulemnt le réarrangement de vieilles pensées en de nouvelles relations, comme de battre les cartes, la pensée spéculative ne peut jamais mener à transcender l’état conditionné de l’esprit. La découverte des causes d’un problème psychologique n’amènera pas nécessairement à sa solution. On ne réussira jamais à découvrir comment le je est né. Le plus important c’est d’observer attentivement et objectivement l’esprit au travail, en particulier quand l’ego s’affirme parce qu’une telle observation intensive au moins révèlera, parmi d’autres choses, le soulagement et la consolation sans oublier le sens de sécurité que nous tirons constamment en raison de l’existence du je. Ce n’est pas la spéculation intellectuelle qui mènera à l’extinction du je mais l’observation non-intéllectuelle et attentive.

L’esprit ne peut apparemment fonctionner sainement et efficacement s’il ne repose pas sur une certaine fondation stable, ordonnée et sûre. Voilà pourquoi un esprit troublé, désordonné et agité est incapable de percevoir profondément et encore moins d’éprouver la joie de la paix et de la sérénité. En conséquence dans son désir suprême et obsessionnel d’un havre calme de sécurité, l’esprit se joue un tour en inventant le moi qu’il considère dès lors comme une citadelle invincible de stabilité, d’ordre et de sécurité. Comme il est intéressant que l’esprit n’est pas adversaire de se faire des illusions aussi longtemps qu’il est récompensé par le sentiment de sécurité ! Pourtant l’esprit doit-il avoir recours à un moyen si retors dans sa quête de sécurité ? Si l’on était seulement conscient des subtiles actions intérieures de l’esprit et particulièrement de la façon dont la structure entière du moi se construit, cette observation n’introduirait-elle pas dans l’esprit un ordre sincère et la sécurité ? N’est-ce pas cette clarté de perception la seule sécurité permanente ?

Faites ce que vous voulez, le moi est toujours là, caché à l’arrière-plan avec ses mauvaises intentions. Le moi, hélas, est comme une ombre inséparable qui jette un voile d’obscurité sur toutes nos activités. L’homme qui ambitionne de devenir multimillionnaire est autant égoïste que le dévot qui aspire à réaliser Dieu. Le désir de grimper à l’échelle sociale de la respectabilité n’est pratiquement pas différent du désir pieux de se distinguer dans la hiérarchie spirituelle en devenant un saint, car dans les deux cas les motivations remontent à une source commune — la passion de l’auto-glorification.

Quand ses ambitions diverses sont contrariées, on remarque que le moi frustré commence à envisager la possibilité de s’autodétruire. Mais le sérieux et la sincérité du désir du moi de se suicider mérite d’être approfondi. Car en-dessous du désir de destruction se trouve l’espoir secret de trouver ailleurs, peut-être bien dans un autre domaine d’existence, une sûreté, sécurité et une permanence plus grandes du moi. Le désir que le je n’existe plus ne peut provenir que du je lui-même et non de l’état d’émancipation dans lequel le moi a cessé d’exister. Le moi est d’une nature telle qu’il est seulement capable de se déplacer d’un état de servitude à un autre. Le moi ne peut jamais prendre son envol dans les cieux vaste de la liberté spirituelle. Le moi ne peut jamais chercher et atteindre l’Illumination. Il est par conséquent très important de distinguer entre la liberté du moi et le fait d’être libre du moi. La liberté du moi est une contradiction et une absurdité pour la simple raison que le moi ne peut jamais être libre, compte tenu de sa nature qui est par inhérence limitée.

Le petit moi ne peut s’empêcher de s’isoler dans toutes ses activités à cause de son étroitesse. Le cercle dans lequel il fonctionne définit les limites de son petit monde, et dans cette zone restreinte le moi se considère comme « libre ». Mais quand l’esprit n’a pas de centre, il n’aura pas de cercle non plus : il est sans limites comme l’espace vaste et illimité.

Comme c’est caractéristique du moi d’aimer réclamer même la divinité pour lui-même en s’identifiant au Divin ! Nombreuses sont les théories qui revendiquent qu’une étincelle du Divin est cachée dans chacun d’entre nous comme si la divinité authentique était compatible avec les éléments bestiaux de notre nature comme la haine, l’agression, la jalousie, le dépit et la violence! Il y a une croyance répandue qu’un état inviolable, incommensurable, éternel existe qui peut d’une manière ou l’autre intervenir et éliminer le moi : la main invisible de la grâce effacerait le moi turbulent pour le bon. Un tel état extraordinaire peut exister ou non, on n’en est pas certain, mais n’est-ce pas plus important de découvrir la raison de la popularité de cette croyance que d’y adhérer ? En croyant à la grâce l’esprit en tire beaucoup de satisfaction et d’assurance ; cette croyance aide à transférer à une source inconnue la responsabilité de se libérer du moi. En outre de quelle valeur sont les croyances, même celles se rapportant à l’élimination du moi puisque tôt ou tard toutes les croyances pénètrent le moi et ont pour résultat de le renforcer et de le soutenir ?

L’homme s’est efforcé pendant une éternité de trouver l’Illumination suprême par l’ascétisme, des disciplines, des vœux et par la soumission de la pensée (erronément appelée « méditation »). L’histoire du voyage spirituel de l’homme est un récit pitoyable d’efforts sans fin, de luttes douloureuses et d’exercice incessant de sa volonté. La résolution « je serai cela » s’oppose nécessairement à « je ne serai pas cela » : l’action de sa volonté dépend directement de la façon dont son esprit a été conditionné. La puissance cachée derrière la volonté c’est l’esprit conditionné : autrement dit, la volonté est la manifestation du moi. Toute manifestation de volonté est nécessairement une affirmation du moi. Ainsi en essayant de se libérer de l’esclavage psychologique, ce qui mettait en cause inévitable l’exercice de la volonté, l’homme ne parvenait pas à éliminer le moi mais il le renforçait !

Le moi est dans son élément quand il s’exprime par l’exercice de la volonté, de l’effort ou de la volition. Le moi accueille joyeusement des occasions de lutter pour qu’il puisse grandir et se fortifier; le moi aime agrandir, et consolider ses fondations branlantes. En conséquence, il est aisé de comprendre pourquoi toutes les méthodes, tous les systèmes et toutes les techniques de la soi-disant méditation ont toujours été passionnément appliqués. Chaque fois qu’on s’ingère dans le courant de la conscience, que l’ingérence soit sous la forme d’une répression ou sous le contrôle de la pensée, l’auteur qui guide et dirige tous ces activités n’est autre que le moi féru de pouvoir. Ainsi par son implication ingénieuse dans le processus du devenir, la force du moi commence à grandir.

Quand une personne supposée religieuse « pratique la vertu », n’est-ce pas le moi qui se manifeste astucieusement sous le couvert de la bonté et de l’amour, comme le loup proverbial déguisé en brébis ? Le moi incarne tout ce qui est bas, mesquin, méchant et vicieux en nous. Le moi est le diable en nous. L’amour et le moi peuvent-ils coexister, ne s’excluent-ils pas mutuellement ?

Si le moi était dépouillé de ses attributs et de ses parties constituantes, existerait-il encore ? C’est cette peur d’être réduit à l’anéantissement ou au néant qui oblige le moi à s’engager dans toutes sortes d’activités religieuses, sociales, politiques et autres par lesquelles il acquiert ce sentiment de vie intense et vigoureuse. C’est le moi qui circonscrit la vie en lui attribuant un but ou un objectif particulier.

Compte tenu de son caractère essentiellement illusoire et de son existence précaire, le je fait des efforts énormes pour assurer sa survie en ayant recours à des ruses et des tromperies. Comme le moi est en réalité une non-entité, n’étant rien d’autre qu’une simple création de notre imagination dérangée, il aspire à devenir une entité éternelle. Il tente ainsi indirectement d’acquérir une certaine importance en s’identifiant avec des groupes de personnes tels que la famille, la race, la caste, le parti politique, la secte religieuse, la nation et ainsi de suite.

Le moi essaie de se faire remarquer en société en s’attachant à de nombreuses causes nobles et dignes. Quand un politicien par exemple défend les droits des opprimés et des démunis, il poursuit aussi sa gloire personnelle par un chemin détourné. En s’identifiant avec de bonnes actions, le moi enfile l’habit de reconnaissance sociale, d’approbation et de respectabilité.

L’appétit apparamment insatiable du moi pour la puissance, la position sociale, le prestige donne naissance à une hiérarchie sociale et au snobisme qui pousse à améliorer sa situation dans ses rangs. Rares sont ceux qui sont satisfaits de mener une vie anonyme !

Le moi se régale d’affirmation de soi. Ceux qui la pratiquent reconnaissent rarement que le fait d’imposer de leurs idées, croyances, opinions et attitudes aux autres est aussi une forme d’affirmation de soi. Le missionnaire qui convertit les païens s’adonne simplement à imposer son petit ego aux esprits des gens sans défenses. De même, parmi les exemples les plus grossiers de l’affirmation de soi sont les actions terribles de combat, d’agression et de violence qui causent tant de souffrance. Les pacifistes se rendent-ils compte que la violence sociale est due à la nature du moi ?

L’origine de nombreux conflits entre pays et de guerres sanglantes entraînant des pertes en vies humaines et des souffrances, est attribuée directement aux actions restrictives et agressives du je.

Le moi est la source de tous les maux individuels et sociaux parce que le moi ne peut agir qu’égoïstement ; il ne peut faire autrement car l’altruisme est étranger au caractère fondamental du moi.

Le facteur le plus discordant qui sépare des personnes par ailleur vivant en harmonie, est l’antagonisme inévitable qui naît de la notion hostile provenant du mien contre le tien ou du nôtre contre le vôtre. Quel merveilleux paradis serait le monde si les esprits de tous ses habitants étaient guéris du cancer du moi ! Si cela se réalisait, le besoin irrésistible d’identification du moi avec une race, une secte, une religion ou une nation particulière ne se ferait plus sentir ; les gens ne penseraient plus en terme de mon pays et ma race, mais se conduiraient plutôt pacifiquement en authentiques citoyens du monde. Quand les conflits d’intérêt personnel entre ma propriété et votre propriété se termineront, tous pourraient avoir part aux abondantes ressources de notre planète dans un nouvel esprit d’une authentique fraternité universelle. Cela semble peut-être outré mais il est absolument vrai que l’élimination du moi est la condition essentielle requise pour l’élimination de la mesquinerie du racisme et du nationalisme, les ravages causés par les guerres ainsi que la grande souffrance due à la pauvreté abjecte.

Le plus grand bond en avant de l’histoire humaine se produira, si jamais il se fait, lorsque l’homme abandonnera le moi, une fois pour toutes, introduisant ainsi une nouvelle ère de spiritualité dans le monde.

Bien que nous soyons obsédés par nous-mêmes, il existe cependant des merveilleux, rares et précieux instants dans notre vie où le moi est temporairement absent : en voici quelques exemples.

En escaladant les Alpes suisses couvertes de neige, l’auteur aperçut soudain un paysage d’une beauté si touchante dans le lointain que pendant un instant le moi fut effacé. La machine de l’esprit avec son bavardage incessant s’arrêta. Pendant ces instants passagers d’oubli du moi, ce qui occupait si complètement l’esprit n’était que le spectacle majestueux d’une cascade gigantesque dévalant au milieu des pins verts et luxuriants.

Parfois étant profondément endormi la nuit, on se réveille soudain dans un état vide, sans pensées. Alors pendant quelques secondes dans cet état libre, sans entraves, sans racines, où le moi a complètement cessé de fonctionner, on ne sait pas réellement où l’on est ou ce que l’on fait, ou même qui on est ; cela peut décrire aussi un état d’oubli du moi dans lequel on se sent mal à l’aise car l’esprit semble avoir perdu accidentellement ses repères stables et sûrs. Mais avant peu certaines pensées prévalent, telles que « ah, je suis dans mon lit » et « je suis à Adelaïde maintenant et non à Londres ou à Colombo », qui aident à rétablir ses repères et ainsi le processus du moi renaît.

Un jour quand l’auteur avait failli être renversé fatalement par une voiture sur la route, l’esprit fut si stupéfié que ses facultés de raisonnement s’arrêtèrent et que le moi disparut un instant. En conséquence la clarté de l’esprit le rendit si intensément conscient du danger que le corps réagit rapidement et spontanément en faisant un saut à côté, évitant le véhicule en mouvement.

Après avoir entrevu cet état mienheureux de non-moi, l’esprit tente avidement d’en enregistrer une impression qui commence alors à faire partie intégrante de la conscience. Puisque l’esprit thésauriseuse commence à chérir ce souvenir, une envie grandit de revivre maintes et maintes fois cet état. La nostalgie est la peste de l’esprit. Comme l’esprit ne s’était pas renouvelé en laissant mourir en lui cette expérience remarquable et de ce fait en l’abandonnant une fois pour toute, il se trouve maintenant moins ouvert à la possibilité d’entrer encore dans cette dimension extraordinaire du non-moi.

Ces périodes d’une sensibilité et d’une créativité intensifiée qui jaillissent quand le moi a cessé de fonctionner et qui trouvent leur origine dans certaines circonstances diverses et accidentelles, sont très rares ; de plus elles sont en tout cas de courte durée. Donc, en conclusion, il faut répéter la vérité que c’est seulement en comprenant la complexité trompeuse du moi que son élimination complète peut avoir lieu.

8. Quel est l’objet du Dharma ?

« Comme le puissant océan, oh moines,
a un goût — le goût du sel,
de même, oh moines,
cet Enseignement et cette Discipline
a un goût —
le goût de la Libération. »
Vinaya II 239

Les paroles ci-dessus expriment merveilleusement l’objet essentiel du Dharma. Il est bien et bon que les enseignements sublimes se répandent partout et spécialement en Occident, mais ce serait dommage qu’ils soient considérés purement comme une source d’une simple stimulation intellectuelle.

C’était devenu commun parmi certain philosophes de s’adonner à de vaines spéculations concernant l’Absolu et d’autres sujets. Mais le Bouddha décourageait de telles spéculations car elles n’avaient pas d’utilité. Le Bouddha refusait catégoriquement d’exprimer un avis quand Potthapada le confrontait avec les Dix Indéterminés :

1. Le monde est-il éternel ?
2. Le monde est-il non-éternel ?
3. Le monde est-il infini ?
4. Le monde est-il non-infini ?
5. L’âme est-elle la même que le corps ?
6. L’âme est-elle différente du corps ?
7. Y a-t-il la vie après la mort ?
8. N’y a-t-il pas la vie après la mort ?
9. Vit-on à la fois de nouveau et non de nouveau ?
10. Vit-on ni de nouveau ni pas de nouveau ?

De telles questions, dit le Bouddha, ne concernent ni la Vérité ni contribuent à une bonne conduite, au détachement, à la purification et à la tranquillité. Elles ne conduisent pas à l’Illumination.

Le sage a-t-il réagi évasivement aux questions de Potthapada parce qu’il n’en connaissait pas les réponses ? Comme il le disait, il les considérait probablement comme une perte de temps et d’énergie précieuse, d’être entraîné dans des problèmes qui dépassent la compréhension de l’intelligence limitée de l’homme. Ces problèmes, si on les résout jamais, rendraient peut-être plus instruite la personne qui aurait la solution mais non pas plus sage ni supérieure moralement. Ce n’était pas que le Bouddha était adversaire de la contemplation, car il avait lui-même abandonné le confort de la vie princière pour mener une vie contemplative. Ce qui l’avait motivé à cette époque pour franchir ce pas n’était certainement pas une curiosité intellectuelle stérile qui manquait de sérieux et d’engagement personnel. Au contraire, il brûlait de la passion de découvrir les mystères de la douleur, ses origines et sa nature aussi bien que son élimination totale. Quand la maison est en flammes pourquoi spéculer sur l’origine de l’incendie alors que la seule préoccupation devrait être de l’éteindre immédiatement ? Compte tenu de cette attitude, il désapprouvait naturellement toutes les questions philosophiques qui n’avaient pas de rapport avec l’Emancipation ultime.

Le Bouddha en connaissait évidemment beaucoup plus qu’il choisissait d’enseigner. Ce qu’il exprimait n’était qu’une petite partie de son vaste entendement. Il aurait été très intéressant pour la postérité s’il avait fait connaître ses vues sur un plus grand nombre de sujets, mais il avait sagement limité son enseignement aux sujets fondamentaux de la liberté spirituelle. Un jour qu’il résidait dans la forêt Simsapa Grove, il prit quelques feuilles de simsapa en main et demanda :

« Frères, qui sont les plus nombreuses, les feuilles que je tiens
ou celles de la forêt ? »

La réponse fut que les feuilles qu’il tenait étaient très peu nombreuses en comparaison avec celles de la forêt. Sur ce il parla :

« Justement, frères, les choses que je vous ai révélées sont peu, très peu nombreuses en comparaison avec les choses que j’ai connues et comprends mais que je ne vous ai pas révélées … J’ai révélé qu’il y a partout de la douleur, que le désir est la cause de la douleur …
J’ai révélé seulement ce qui conduit à l’état parfait, seulement ce qui concerne la vie sacrée, seulement ce qui résulte en la cessation de l’asservissement et qui conduit au calme parfait, à la parfaite sagesse —
Le Nirvana »

Il n’y a pas dans l’enseignement du Bouddha de dogmes doctrinaux qui doivent être acceptés aveuglement et qui, s’ils ne sont pas acceptés, conduisent à l’excommunication et à la damnation éternelle. Il n’est pas prévu non plus d’avoir une autorité ecclésiastique centrale qui a le droit de décider quand une interprétation particulière de l’enseignement est une hérésie ou non.

Il n’y a pas de principe du bouddhisme basé sur une « révélation Divine » ou un « décret Divin ». C’est seulement quand l’exactitude d’une vérité est vérifiable par l’intelligence humaine qu’elle est acceptable. La Vérité se prouve d’elle-même. Cette approche scientifique de la quête spirituelle est une des caractéristiques éminentes du bouddhisme ; c’est une caractéristique qui est d’autant plus inestimable car elle est rarement, presque jamais trouvée dans d’autres systèmes religieux.

Les systèmes théistes insistent sur le fait que l’homme doit démontrer sa soumission absolue à Dieu par le sacrifice, la prière et la dévotion (puja). Dans le bouddhisme par contre il n’existe pas de Dieu qui s’attend à ce qu’on l’apaise, prie ou soudoye pour qu’on puisse s’attirer les bonnes grâces de Lui. A quoi sert de faire des prières s’il n’y a pas d’Etre Divin qui écoute nos prières ? Il incombe entièrement à l’homme de se nettoyer jusqu’au bout de toutes traces de karma et ainsi de réaliser le Nirvana. La doctrine bouddhiste ne force l’homme jamais à se transformer en une créature docile reconnaissant craintivement l’omnipotence de Dieu mais elle souligne plutôt l’importance du travail ardu en prélude à l’Illumination. Ceux qui se reposent sur des aides extérieures deviennent des faibles, alors qu’avec l’indépendance absolue on devient de plus en plus fort.

Quand le Bouddha demandait à chacun « de faire son salut avec zèle » il sous-entendait évidemment que le salut était dans la compétence de l’homme, autrement dit, le salut peut se trouver sans aide comme il l’avait fait lui-même. Le salut n’est pas une bénédiction confiée par Dieu ; c’est le résultat de l’introspection et de la méditation. Mais peu nombreux sont ceux qui se donnent du mal de cette manière. La grande majorité trouveraient plutôt le réconfort et la consolation dans des croyances et des dogmes promettant un « salut » facile par procuration, comme la croyance que Jésus avait racheté les péchés de l’homme par sa crucifixion.

Considérer le Bouddha comme le « Sauveur du Monde » est lui faire une grande injustice, car rien n’est plus étranger à son Enseignement que l’espoir d’être libéré par l’intervention d’un autre. Ne sommes-nous pas nos propres sauveurs ? Si un Etre Suprême a le pouvoir de donner le salut, de même il peut aussi bien l’ôter. Mais le Nirvana est au-delà de l’enchaînement karmique de cause et effet, il n’a pas de cause dans le sens qu’il ne peut être donné d’une personne à une autre ni enlevé par personne.

Le Bouddha a renoncé à toute forme de dépendance et a insisté sur l’importance de l’indépendance. Si ses paroles du Maha Parinibbana Sutta étaient prises sérieusement, il incombe à l’homme de se libérer du désir de se faire aider par des gourous, des prêtres et des intercesseurs :

« Soyez des lumières pour vous-mêmes.
Soyez un refuge pour vous-mêmes.
N’ayez pas recours à un refuge extérieur.
Accrochez-vous à la Vérité comme une lumière.
Accrochez-vous à la Vérité comme à un refuge.
Ne cherchez pas de refuge chez personne d’autre
que vous-mêmes. »

Aujourd’hui nous possédons beaucoup de connaissances de sujets variés. L’homme moderne est constamment bombardé d’informations mais notre compréhension de nous-mêmes tend à être très superficielle. A l’époque du Bouddha les gens qui le questionnaient, étaient probablement moins instruits que nous, mais, à en juger par leurs questions subtiles et qui vont au fond des choses, ils étaient bien plus enthousiastes pour découvrir les vérités éternelles que nous le sommes aujourd’hui. D’une manière ou d’une autre leur enthousiasme pour l’émancipation spirituelle avait une certaine intensité qui est rare dans le monde moderne. Tous ceux qui étudient les discours et les dialogues du Bouddha en tirent cette impression.

Dans bien des discours du Bouddha ses auditeurs étaient en majorité des moines vivant dans les forêts qui menaient une vie austère. Ces renonciateurs reclus portaient de simples toges composées de morceaux de tissu et d’étoffes rejetées. Ils mendiaient leur nourriture humblement. Evitant les joies du contact social ils consacraient leur vie dans le but de fouiller minutieusement leur esprit et d’extirper ce qui était impur en eux.

Les moines vivant à l’écart de la société disposent de plus de temps et d’énergie pour étudier le fonctionnement interne de la psyché que ceux qui participent à la société.

Quel est l’objet principal du Dharma ? Ceux qui se familiarisent avec le Dharma verront bientôt l’importance d’ôter tous les obstacles vers le Nirvana, ce qui n’est évidemment pas facile. Vaincre les obstacles est plus facilement dit que fait. On peut se libérer de toutes souillures par l’observation purificatrice de soi. Nous devons nous purger de notre fardeau lourd des tendances psychologiques dont beaucoup de souillures sont transmises de nos vies antérieures à notre vie actuelle.

Le Dharma cite clairement les obstacles principaux. Qui sont-ils ?

Nous sommes happés par les tentacules de la cupidité ou du désir (lobha), la haine et la colère (dosa) et l’obscurité trompeuse du « je » (moha). Que nous soyons des renonciateurs ou non, nous devons d’une façon ou d’une autre réussir à nous arracher de ces forces karmiques. C’est le plus grand défi de notre vie.

9. La croyance en un Dieu – Créateur

Les créationnistes croient qu’un Dieu transcendent a créé hors du néant, l’Univers entier, y compris la matière et les différentes formes de vie. Tous et tout, disent-ils, a été créé ex nihilo par cet Etre. L’histoire de la Création relatée dans la Genèse débute avec : « Au début, Dieu créa les cieux et la terre… » Il est nécessaire de demander : « qu’est-ce qui existait avant le début » puisque ce dernier a été avancé. De même nous pouvons jusqu’à demander « qu’est-ce qui existera après la fin » si on avance que l’univers a une fin. Y a-t-il jamais un commencement ou une fin au temps ? Les théologiens essaient de tourner le problème en créant le concept ingénieux que Dieu est la Cause Première. Quoi qu’il en soit, on voit que les créationnistes sont prêts à aller jusqu’au bout pour justifier leur attachement à la croyance en Dieu. Ceci a une grande signification psychologique.

La doctrine de la création a été exprimée différemment pendant bien des siècles avec des variations intéressantes. Par exemple, le cosmos a été créé par une Divinité, un Esprit ou un principe à partir d’une matière préexistante. La croyance inébranlable en un Dieu-Créateur est le centre de tout dogme créationniste, ce qui est très notable psychologiquement.

On peut s’interroger sans cesse sur la façon dont l’Univers et l’homme sont nés. Mais qui est absolument sûr de savoir comment tout cela s’est passé en réalité ? Si, par hasard, nous arrivions à acquérir cette connaissance bien particulière, s’en suivrait-il que nous atteindrions pour cette raison la Libération ?

Il y a quelques années, j’ai vécu une période théiste. Pendant cet épisode de courte durée, j’ai remarqué que j’étais exceptionnellement heureux et toujours joyeux à cause de mon engagement et de mon dévouement pour un Père invisible, simple invention de mon imagination, en qui j’avais sincèrement confiance. J’avais la certitude que j’étais confié à Ses soins affectueux à tout moment. Je me sentais protégé contre toutes les catastrophes terrestres. C’était si agréable de me réfugier chez « Big Daddy ». Rétrospectivement, je me réfigiait dans l’illusion !

Le Bouddha a déclaré :

« Moines, aussi loin que s’étend cet univers
de mille mondes, Mahabrahma occupera là
le plus haut rang. Mais même pour Mahabrahma
le changement se produit, la transformation se produit.
En voyant cela, moines, un disciple noble et instruit
est repoussé par cela ; étant repoussé, il devient sans passion envers le plus haut, sans parler de ce qui est bas. »

Anguttara Nikaya X 29

En se rendant compte de la nature éphémère de la vie, en observant comment tout passe comme la brume matinale, l’homme a toujours eu un penchant secret pour quelque chose qui est immuable, indestructible et immortel. C’est l’explication psychologique de l’origine de l’idée de Dieu. Si ce que nous considérons avec respect comme l’Absolu est aussi sujet à la décomposition et au changement tel tout mortel, homme, femme ou enfant, il s’ensuit que le pauvre Mahabrahma est impermanent lui aussi. La loi de l’impermanence universelle est le point crucial de l’enseignement bouddhiste. De plus, pourquoi ressentir de l’attachement à Mahabrahma ou à d’autres dieux d’ailleurs, sachant bien qu’aucun d’entre eux n’est éternel. Cette question de l’impermanence a été un casse-tête continuel pour beaucoup de théistes. Pour circonvenir cette difficulté les théistes ont soutenu clairement que le Tout-Puissant n’a ni commencement, ni fin, attribuant ainsi l’éternité à leur Dieu-Créateur créé par leur esprit. Quand les théistes spéculent sur Dieu, ils voient rarement qu’ils agissent prétentieusement, car un esprit limité est-il capable de sonder l’Infini ?

L’affirmation biblique que Dieu a créé l’homme à son image est au mieux pure conjecture, tandis qu’en vérité c’est l’esprit de l’homme qui crée et recrée Dieu à sa propre image humaine, fondée sur son besoin pressant de sécurité psychologique dans un monde peu sûr et changeant. L’ego aspire constamment à la permanence et à la stabilité à cause de son existence précairement illusoire.

Il y a dans le Brahmajala Sutta (Digha Nikaya) un texte fascinant sur l’origine de la croyance en un Dieu-Créateur.

La croyance en un Dieu-Créateur a-t-elle une quelconque valeur ? La déclaration suivante du Bouddha nous éclaire vraiment sur ce sujet :

« Je me suis approché de ces ascètes et brahmanes… et je leur ai dit : ‘Est-ce vrai, comme on le dit, que vous, vénérables, enseignez et exprimez l’opinion que tout ce qu’une personne éprouve … tout cela est la création de Dieu ?’

Après qu’ils l’eurent affirmé, je leur dis : ‘Si c’est ainsi, vénérables, alors c’est à cause de la création de Dieu que les gens tuent … et ont des opinions fausses. Mais ceux qui recourent à la création de Dieu comme facteur décisif manqueront d’impulsion et d’efforts pour faire ceci et ne pas
faire cela. Comme ils n’ont pas de motif réel valable pour affirmer que ceci ou cela devrait être fait ou ne devrait pas être fait, le mot ‘ascètes’ ne s’applique pas à eux puisqu’ils vivent sans présence attentive et sans maîtrise de soi. »

Anguttara Nikaya III 61

Dieu mérite-t-il des dévotions compte tenu des injustices effroyables et des souffrances terribles dans ce monde soi-disant merveilleux ? Est-il digne d’adoration, compte tenu du fait que des « actes de Dieu » (causes naturelles) comme les tremblements de terre, les inondations et autres catastrophes naturelles sont tous douloureux et déchirants?

Quand les gens se reposent bêtement sur un Dieu-Créateur, pour autant qu’il existe, pour assurer leur salut, ne prolongent-ils pas inconsciemment et inutilement leur période d’embrouillement samsarique, particulièrement parce que leurs efforts et leur énergie sont dirigés vers une source extérieure ? Au lieu de se purifier indépendamment en vue de l’Illumination, pourquoi chercher un Dieu Extérieur qui, au dire de tout le monde, est très vindicatif et assez méchant, et a en conséquence besoin de se purifier Lui-même ?

Les aspirants spirituels qui se tournent vers Dieu vont sûrement dans la mauvaise direction. Notre quête spirituelle ne doit-t-elle pas avancer vers l’intérieur et jamais vers l’extérieur ?

A cause de leur désarroi les théistes sont comparables aux réfugiés sans foyers qui, en désespoir de cause, s’abritent dans le château de Dieu, sans se rendre compte que Dieu et Son château n’existent nulle part, sauf dans leur imagination fertile. Mais ceux qui sont indépendants et par conséquent réellement intelligents ne feront jamais cette erreur. Il n’y a rien de mieux que d’être suprêmement éveillé, car un esprit qui brille comme une lampe et est par conséquent source de lumière spirituelle, est moins sujette à la déception. De telles personnes vraiment indépendantes qui ont éveillé leur intelligence latente, n’ont pas besoin de guide puisqu’ils ne sont plus dans les griffes des forces obscures. De plus, ceux qui ont allumé leur lampe intérieure de la présence attentive ou de la prise de conscience continuelle, découvrent bientôt qu’ils n’ont pas besoin de lampe extérieure, ainsi ils ne peuvent être trompés par de soi-disant prophètes qui prétendent les porte-paroles du Seigneur. Ceux qui croient en Dieu sont exploités facilement par ceux qui prétendent représenter le Divin.

Pendant ses derniers jours, le Bouddha conseilla à son disciple favori Ananda d’être extrèmement indépendant. Il y a un récit émouvant dans le Maha Parinibbana Sutta :

« Ananda, vous devez vivre comme si vous étiez des îles pour vous-mêmes, vous considérer comme votre propre refuge, voir le Dhamma comme une île, c’est votre seul refuge. Un moine vit comme s’il était une île pour lui-même en contemplant le corps comme un corps, en étant conscient et attentif, en rejetant le désir du monde. Ceux qui vivent comme cela deviendront les êtres les plus grands »

Les enfants aiment les jouets. Les filles ont plaisir à jouer à la poupée et les garçons reçoivent des petits soldats. Les enfants considèrent naturellement ces jouets comme leurs proches compagnons, et même une courte séparation de l leurs amis est pour eux déplaisante. Certains enfants ne peuvent s’endormir à moins qu’ils serrent leur ours en peluche dans leurs bras. Cela les endort dans un sentiment de fausse sécurité. En général, les enfants perdent avec le temps leur ancienne passion pour les jouets. Mais, même adultes, il arrive souvent qu’il est difficile à des théistes et des théologiens éminents, si souffrants qu’ils soient de solitude et d’isolement, d’abandonner leur profond attachement à un Nounours géant de Dieu avec pour résultat qu’il n’y a en eux presque pas d’épanouissement spirituel.

Références

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

Pourquoi croire en Dieu ?

« C’est dans ce corps d’un mètre quatre-vingt,
avec ses perceptions et ses pensées
que je décris le monde
l’origine du monde
la fin du monde
et le chemin menant à cette fin. »

Anguttara Nikaya IV 46

Des nombreuses croyances dont l’homme se nourrit depuis des temps immémoriaux, la croyance en Dieu a toujours été particulièrement sacro-sainte. Les personnes religieuses vont jusqu’à soutenir que la seule action valable dans la vie, est la poursuite de ce qu’ils considèrent sacré. Pour eux, tout intérêt autre que la recherche et l’adoration de Dieu est secondaire. Cette croyance en une divinité a pris différentes formes d’expression à travers les âges, depuis le culte des idoles grossières par les hommes primitifs jusqu’à l’adoration des concepts très raffinés de Dieu par certains théologiens et philosophes modernes. Le mot « Dieu » est employé ici dans le sens le plus large incluant des divinités telles que celles du panthéon hindou. Toutes les controverses métaphysiques relatives à l’idée de Dieu dépassent clairement les limites de cet essai. Cette enquête se rapporte principalement à la découverte des fondements psychologiques de la croyance en Dieu, spécialement puisque la préoccupation de l’homme pour une telle force ineffable, appelée vaguement le Divin, est souvent à la frontière de la pathologie.

Quelques adages des Mahavakyas (Grands Adages) des Upanishads suggèrent que quelque chose du Divin soit inhérente à nous tous :

« La conscience pure est Dieu » —– Prajanam Brahma
Aitrareya Upanishad
« Je suis Dieu » —– Aham Brahmasmi
Brihadaranyaka Upanishad
« Tu es Cela » —– Tat tvam asi
Chandogya Upanishad
« L’âme est Dieu » —– Ayam atma Brahma
Mandukya Upanishad

D’après ces fameuses dictions hindoues, l’homme n’est pas séparé du Divin, mais fait partie intégrante de lui. De façon générale, les savants se sont embrouillés dans des controverses futiles au sujet des significations ésotériques et philosophiques de ces aphorismes. La spéculation intellectuelle devient souvent un passe-temps envahissant. Mais la discussion ci-après a essentiellement pour but d’éclaircir les implications psychologiques du concept que le principe Divin ou l’essence Divine se trouve en nous.

Comment faire pour savoir si Dieu vit vraiment dans cette maison du corps et de l’esprit ? Il nous est absolument impossible de nous fier aux affirmations des livres sacrés parce qu’ils peuvent tous se tromper, ni se fier aux autorités spirituelles parce qu’elles pourraient entretenir des illusions. On en revient naturellement à son propre esprit, mais ce même moyen d’enquête n’est pas infaillible non plus. L’esprit est chargé du poids des traditions et d’influences innombrables et il en résulte qu’il n’est pas libre : sa composition même déforme inévitablement une perception juste. Comme il ne semble pas possible de sortir de ce dilemme, on est forcé de se poser une question fondamentale : l’esprit qui est fini, est-il jamais capable de comprendre l’Infini ? Il semble que l’esprit conditionné, aussi longtemps qu’il reste empêtré dans le conditionnement, ne peut jamais répondre correctement à une telle question.

La théorie que Dieu est déjà en nous repose sur l’hypothèse que le Divin peut coexister en harmonie avec l’esprit, qui est justement l’antithèse du Divin. Le Divin peut-il être invité par l’esprit, voire résider dans sa structure ? Car l’esprit avec tous ses vestiges bestiaux de haine et de violence est remplie d’égoïsme. La pureté est-elle compatible avec l’impureté ? La lumière est-elle compatible avec les ténèbres ? L’esprit peut-il être en même temps libre et prisonnier ? Le « je » n’a-t-il pas recherché sa propre gloire en réclamant pour lui-même la compagnie du Divin ? Croire qu’on est semblable à Dieu, en dépit de toutes ses propres limites, est la plus grande manière de se flatter.

L’idée que chaque personne se fait de Dieu est limiée par la frontière particulière de son imagination. Les savants imaginent Dieu en termes très abstraits, tandis que les illettrés le voient comme un être simple et bienveillant. Les poètes dont l’imagination est inventive Le conçoivent naturellement en termes grandioses. Plutôt que d’accepter l’impossibilité de concevoir l’inconcevable, l’homme a commis l’erreur de croire en un Dieu anthropomorphe. Les auteurs de l’Ancien Testament, par exemple, ont naïvement prêté à Dieu des défauts humains tels que la colère et la revanche : « Le Seigneur ne pardonnera pas un tel homme. Au lieu de cela, la colère brûlante du Seigneur s’enflammera contre lui, et toutes les catastrophes décrites dans ce livre s’abattront sur lui jusqu’à ce que le Seigneur l’ait détruit complètement » (Deutéronome 29 :20). A propos, comment Dieu qui est prédisposé à une telle colère et à une telle violence, peut-il être en même temps compatissant ? Dieu a-t-il une double personnalité schizophrène ?

Le concept de Dieu dans Le Nouveau Testament au contraire, révèle le grand besoin que l’homme éprouve d’un être protecteur paternel qui est bienveillant et aimable : « Quiconque n’aime pas, ne connaît pas Dieu, car Dieu est amour» ( 1 Jean 4:8). Les enfants privés d’amour pleurent. Ce désir d’amour perdure chez l’adulte. Ce concept d’un Père tout miséricordieux aux Cieux aide à apaiser ce besoin psychologique profond. Comme l’homme projette ses besoins psychologiques sur pauvre Dieu ! A travers l’histoire l’homme a adapté sa vision de Dieu conformément à son image de soi-même. Ainsi le Dieu inventé par l’imagination devenait un reflet exacte de l’homme lui-même. Etant donné que l’Univers est régi par des lois et des principes précis, quelques scientifiques ont supposé bizarrement que Dieu est un mathématicien pur. Les animaux ont-ils des croyances ? Si les ânes avaient de l’imagination, ils imagineraient eux aussi pareillement un Dieu qui ressemblerait un âne, complet avec quatre pattes, deux longues oreilles et une queue.

Puisque les théistes sont conditionnés par l’idée que tout doit avoir un commencement, ils ont conclu facilement que l’Univers avait un commencement bien déterminé à un instant précis. L’école créationniste considère toutes les formes vivantes et de matière comme l’œuvre merveilleuse de Dieu dans sa grande bienveillance. Si tout a une origine, alors logiquement le Créateur doit en avoir une aussi. Ceci amène une question intéressante : Qui a créé le Créateur ? D’autre part, est-ce le cas qu’il n’a pas d’ancêtres ? C’est une question provocante à poser. Les théistes sous-estiment commodément le sérieux de cette question en proposant la théorie plausible que Dieu est la Cause Première. D’un autre côté, l’insuffisance de cette explication est évidente à la lumière des questions suivantes : L’espace et le temps ont-ils commencé subitement avec cette Cause Première ? Qu’y avait-il avant la Cause Première ? En tout cas, qui ou quoi était responsable de l’existence de la Cause Première ? Dieu est-il apparu mystérieusement du néant ? En outre, plus fondamentalement, le véritable néant peut-il jamais donner naissance à quelque chose ? Nous pouvons spéculer toute une vie sur l’origine de l’univers, mais finalement, ne serions nous pas encore dans les ténèbres ? Le fait est que nous ne connaissons vraiment pas l’origine de la matière. Ne faut-il pas une honnêteté exceptionnelle pour admettre sincèrement son ignorance, plutôt que de prétendre au savoir comme la grande majorité des théistes le font malheureusement ?

Tournant notre attention du domaine des croyances religieuses vers celui de la science, la théorie du Big Bang est devenue populaire dans des milieux astronomiques. Il y a des milliards d’années, la matière a subi une terrible explosion et les galaxies ont commencé à se mouvoir vers l’extérieur. Mais l’Univers va de nouveau se contracter lors d’un nouveau cycle. Ce processus d’expansion et de contraction continuera à l’infini. Cependant, l’explication du Big Bang reste une hypothèse au mieux. Quelqu’un sait-il avec une certitude absolue comment l’univers a réellement pris naissance ? L’homme pourrait ne jamais connaître la réponse. Les croyances religieuses reposent sur et se nourrissent de nos besoins psychologiques. Par contraste, les théories scientifiques sont au moins soutenues par des évidences convaincantes.

Quelle est la psychologie de l’explication ? Les explications qu’elles soient scientifiques ou autres sont particulièrement chères à la psyché dont la nature propre est la recherche d’un havre de sécurité. Le processus de pensée toujours en mouvement et toujours changeant ne donne pas de fondation stable à l’esprit ; au contraire, il engendre un sentiment inquiétant d’insécurité. Il est troublant de se rendre compte que non seulement le monde extérieur mais aussi le monde intérieur de la conscience est dans un état de changement continuel. Etant donné cette situation, on comprend pourquoi l’esprit s’accroche désespérément aux explications. Les explications deviennent les points d’ancrage stabilisant l’esprit qui est constamment bousculé dans le flot houleux des pensées. Les explications « aplanissent » pour ainsi dire les problèmes embarrassants et de ce fait donnent à l’esprit agité un sentiment quelconque de sécurité paisible. Les explications aident à « éclaircir » les doutes cachés et aident l’esprit à jouir d’un certain sens d’accomplissement. Ce qui est le plus dangereux dans les explications est de donner un faux sens de clarté. L’esprit est mené à croire avoir obtenu une perspicacité profonde par son attachement à une explication, alors que ce pourrait être le contraire. Par conséquent, après avoir « compris » par une explication, l’esprit est susceptible de cesser arrogamment toute recherche ultérieure. Alors puisque l’esprit de recherche a été étouffé, le sens du merveilleux et la curiosité qui rend possible l’action d’apprendre, se détruit lui aussi.

La croyance en Dieu est pour beaucoup une patère commode pour y pendre tous leurs échecs et leurs défauts dans la vie. J’ai connu à Londres un prêtre chrétien qui aimait beaucoup chaparder. Bien qu’il eût des moyens, il commettait des actes interdits de petits vols « pour connaître la pure exaltation de ne pas se faire attraper ». Quand je lui ai demandé comment il pouvait réconcilier sa conduite malhonnête avec ses principes religieux, il m’a répondu « je ne peux pas m’empêcher de voler. C’est de cette façon que j’étais créé. »

Quelle explication ! Ce monsieur utilisait astucieusement sa croyance en Dieu pour nier la responsabilité personnelle de ses actions. Il sous-entendait que la question de se corriger était indépendante de sa volonté personnelle. Maintenant, qu’arrive-t-il à une personne assez intelligente pour couper complètement ses liens avec l’idée de Dieu ? Il s’aperçoit immédiatement qu’il est responsable lui seul de ses actions. Il ne blâme plus son Tout Puissant imaginaire de ses propres traits de caractère égoïstes. Dieu cesse d’être un bouc émissaire. Ce changement de centre d’attention qui regarde vers l’intérieur au lieu de l’extérieur, éveille dans l’esprit une nouvelle indépendance, qui à son tour enflamme une passion de l’enquête sur les traits de personnalité jusqu’alors inconnus, des attitudes et des inclinations cachées de l’esprit.

Si c’est le cas que le mystère de Dieu ne peut jamais être compris par l’intellect, alors ce mystère n’est-il pas faussée lorsque Dieu est réduit à un simple concept, une abstraction ou une définition ? Chaque fois qu’un théologien ou un philosophe tente de décrire Dieu en termes d’une idée, n’essaie-t-il pas de décrire l’indescriptible ? N’essaie-t-il pas également de ramener quelque chose d’infiniment vaste dans les limites de la pensée ?

Un des plus grands obstacles à la libération totale de la psyché de toutes formes de conditionnement est le fait que l’esprit continue à retenir tant d’ épithètes soi-disant sacrées concernant la nature de l’Absolu. On estime à 99 les noms différents d’Allah ou de Dieu cités dans le Coran sans parler des nombreux noms descriptifs de Dieu dans d’autres traditions religieuses. Un de ces noms trouvés dans le Coran et Al’Alim (l’Omniscient). Pourquoi devrait-on supposer que l’Absolu est omniscient ? En outre, il est inutile de prier et de solliciter Dieu pour résoudre nos problèmes, obstacles et souffrances parce que le soi-disant Omniscient devrait déjà connaître nos chagrins.

Pourquoi devrions-nous croire, à l’instar des chrétiens, que l’Absolu a l’attribut d’omnipotence. L’esprit avec un sens de puissance trouve-t-il Dieu, ou c’est l’esprit qui est altruiste et qui n’est pas sûr de soi qui Le trouve-t-il ? L’ego a un désir insatiable de puissance et de gloire. Le « je » illusoire aime imposer son importance constamment par l’exercice de la puissance. L’homme médite sur Dieu avec un esprit assoiffé de puissance. Pour cette raison, inutile de dire que, bien que sa conception de Dieu soit subtile ou sophistiquée, cette conception n’est inévitablement rien d’autre qu’une réplique raffinée de sa propre soif grossière de puissance. Il n’est pas surprenant alors qu’il déclare que Dieu est « omnipotent » ! Dieu a un nom qui sent la puissance ! Encore et encore, on observe que les caractéristiques attribuées à Dieu se rapportent directement à nos propres besoins psychologiques.

L’homme n’a-t-il pas donné en vain des noms à ce qui est probablement sans nom ? N’a-t-il pas insulté Dieu en lui collant ses propres petites étiquettes ? En conclusion, n’est-ce pas une solution sensée de ce problème que l’esprit reste dans un état de vide absolu sur cette question de l’Absolu ?

L’athée qui nie l’existence de Dieu est aussi dogmatique que le théiste qui affirme son existence. Ils ont tous deux pris des positions idéologiques arrêtées. Des athées libres-penseurs — incidemment, penser est-il jamais libre ? — aiment se considérer comme des esprits plus lucides que leurs homologues théistes, oubliant que leur adhésion à la croyance négative que Dieu n’existe pas n’est pas du tout, d’un point de vue psychologique, différent de la position des théistes envers la croyance positive que Dieu existe.

Les juifs, les chrétiens et les musulmans, y compris quelques Hindous, croient sincèrement que Dieu réside perpétuellement au Ciel. L’aspiration spirituelle de chaque théiste est d’aller au Ciel et de rencontrer Dieu et d’arriver à mieux connaître le type personnellement. Bonne chance !

Toute croyance, qu’elle soit négative ou positive, doit forcément limiter le libre fonctionnement de l’esprit. Les croyances faussent notre façon de voir les choses et empêchent la perception directe et fidèle de la Réalité. Or, après avoir rejeté les positions théiste et athée, l’esprit se retrouve perdu pendant quelque temps mais l’incertitude se termine bientôt quand il est attiré ensuite par l’opinion agnostique que Dieu est inconnaissable. Mais on se rend compte rarement que même cette opinion est basée sur une hypothèse, en ce sens que ce point de vue n’est pas prouvé. Comment peut-on postuler que Dieu est inconnaissable ? Peut-être Dieu est connaissable, après tout, si on dépasse les bornes de l’esprit. En conséquence, l’esprit qui est assez prudent pour éviter d’être séduit par n’importe quelle opinion rigide admet qu’il ne sait rien de Dieu. Donc il déclare : « Je ne sais pas ».

Dans certains cercles chrétiens ésotériques, l’opinion que Dieu est silence a gagné en popularité. Il peut être ou ne pas être silencieux : je n’en sais rien. Quelqu’un est-il sûr de cela ? Mais quand l’esprit déclare que Dieu est silence, l’esprit est-il silencieux ou ne continue-t-il pas une fois encore son habitude apparemment interminable de faire des commentaires sur ceci et cela ? L’esprit est un tel moulin à paroles incessant ! Dès que l’esprit avance que « Dieu est ce …-ci » ou « Dieu est ce …-là » ou n’importe quoi d’autre, ne se détourne-t-il pas du silence même, qu’il essaie vainement de décrire ?

Ce n’est qu’après une période de silence, qu’elle soit courte ou non, que l’esprit reconnaît qu’il a été silencieux. Car, dès que l’esprit reconnaît son propre silence, ne réveille-t-il pas ainsi le processus endormi de la pensée et donc brise son silence ? L’esprit peut-il reconnaître son silence et rester silencieux en même temps ?

Je ne suggère pas le moins du monde qu’un esprit silencieux est incapable de penser ou qu’il ne pense pas du tout. Au contraire, seul un esprit silencieux peut penser clairement et logiquement puisque sa perception n’est pas déformée ou aveuglée par les préjugés et les images survenues. Un tel esprit utilise la pensée quand c’est nécessaire de le faire, mais il n’en est pas l’esclave. La pensée est l’esclave docile de l’esprit mais non son maître dominateur. L’esprit silencieux est toujours libre de souvenirs psychologiques restants. L’esprit silencieux peut s’engager à penser, mais revient toujours au calme comme un pendule oscillant qui revient infailliblement à l’équilibre ; il reste ainsi à l’abri de toute forme de conditionnement.

Dans le contexte de notre discussion, reconsidérons l’ancienne question : Qu’est-ce que Dieu ? Un esprit qui est plein de l’immensité du silence ne répondra jamais à cette question à la manière d’un esprit conditionné. En fait un esprit silencieux ne réagira pas du tout, car il est dépourvu du fond psychologique qui sert de tremplin à toute réaction. En conséquence, un esprit silencieux ne cherchera jamais une réponse parce que toute recherche réveille le processus de pensée avec son mouvement incessant. L’esprit tranquille vit avec cette question au lieu d’essayer de s’en débarrasser de mille façons — par des idées, des explications, des croyances ou des suppositions. Alors, la question elle-même participera au silence.

Conversation du Bouddha avec un fermier

Le Bouddha conversait avec un fermier appelé Kasibharadvaja amicalement et de façon informelle. Le fermier n’était pas un simple paysan mais un brahmane ayant un esprit réfléchi. Il n’hésita pas à parler au Bouddha de manière provocatrice mais avec déférence.

Le Bouddha vivait au monastère Dakkhinagiri dans le village brahmane de Ekanala en Magadha. Comme c’était la saison des semailles, Kasibharadvaja employait autant que cinq cents charrues. Voilà l’atmosphère bucolique dans laquelle se passa un événement mémorable. A la fin de la matinée, le Bouddha s’étant habillé, emporta sa sébile et sa toge de dessus. Il se rendit ensuite là où le travail de Kasibharadvaja était en cours. C’était l’heure où la nourriture était distribuée. Le Bouddha attendait sur le côté. Remarquant sa présence, Kasibharadvaja lui parla et lui dit : « O moine, je laboure et sème et après avoir labouré et semé, je mange. Vous aussi, ô moine, vous devez labourer et semer et après avoir fait cela vous devriez manger. »

D’aucuns pourraient dire que l’éclat malvenu du fermier ne montrait que l’irrespect envers le Bouddha. D’autres pourraient ajouter qu’il vaut mieux ignorer ces grossières remarques qui donnent à entendre que l’Illuminé était un parasite social qui refusait de gagner honnêtement sa vie. A ce propos, cela me rappelle une citation qui paraît assez froide et brutale de la Bible : « Si un homme ne veut pas travailler, il ne mangera pas » (2 Thessaloniciens 3 :10). De la même façon, Kasibharadvaja montrait indirectement que seuls ceux qui labourent et qui sèment ont le droit de manger.

« O Brahmane, répondit le Bouddha, je laboure et je sème aussi, et après avoir labouré et semé, je mange. »

« Nous ne voyons pas l’attelage, la charrue, le soc, l’aiguillon et les bœufs du Vénérable Gautama, répliqua le brahmane. Cependant le Vénérable Gautama dit : ‘Je laboure et je sème aussi, et après avoir labouré et semé, je mange.’ Vous prétendez être laboureur, soutint le brahmane, cependant nous ne voyons pas votre charrue ! Expliquez-nous comment vous labourez, pour que nous nous y connaissions. »
Sur ce, le Bouddha récita en vers :

« Mes semences sont ma foi,
Ma pluie est l’austérité,
Mon attelage et ma charrue sont la sagesse
Ma hache est la modestie,
Ma sangle est l’esprit,
Mon soc et mon aiguillon sont la présence attentive.
Retenu en paroles et en conduite,
Maître de moi dans la nourriture,
Avec la vérité je coupe les mauvaises herbes.
Ma libération est la compassion.
Ma bête de somme est l’effort.
Sans se retourner, il m’emporte au Nirvana
Où l’on ne souffre pas.
Ainsi labouré, le fruit de l’Immortalité est produit
Et on est libéré des douleurs de toute sorte »

Alors Kasibharadvaja offrit au Bouddha un bol d’or rempli de riz au lait et lui dit : « Que le Bouddha mange cette offrande de riz au lait. Le Vénérable Bouddha est un laboureur dont le labourage apporte le fruit de l’Immortalité. »

Refusant le cadeau, le Bouddha lui dit :

« Je ne devrais pas manger ce qui est gagné en psalmodiant.
Ceci, ô brahmane, n’est pas la pratique de ceux qui ont l’esprit clair. Le Bouddha refuse ce qui est acquis en psalmodiant. Voici la conduite des Bouddhas aussi longtemps que le Dharma (l’enseignement) dure. »

Que déduire de la déclaration précédente de l’Illuminé ? Il est évidemment injuste de recevoir quoique ce soit en échange pour le Dharma. On ne devrait ni considérer le Dhamma comme une marchandise ni s’en servir comme telle. Jamais le Dharma ne devrait être acheté ou vendu. Au contraire, il incombe à tous fervents du Dharma de le rendre disponible gratuitement pour tous.

« Vous devriez offrir une autre nourriture et une autre boisson, dit le Bouddha, à un grand sage accompli libéré du désir et de l’inconduite, parce que c’est le champ d’une personne cherchant de bonnes œuvres. »

« Vénérable Gautama, à qui devrais-je donc offrir ce riz au lait ? » demanda Kasibharadvaja.

« O brahmane, il n’y a personne dans le monde des hommes et des dieux et des Maras et des Brahmanes, qui est composé de dieux et d’hommes et de moines et de brahmanes, qui peut manger et digérer ce riz au lait, sauf s’il était le Bouddha ou un de ses disciples. En conséquence, ô brahmane, vous devez jeter ce riz au lait là où il y a peu d’herbe ou le verser dans l’eau sans vers. »

Le brahmane jeta donc la nourriture, la versa dans l’eau sans vers. Dès qu’il l’avait jetée l’eau jaillit en éclaboussures, siffla et jeta de la vapeur. Effrayé et soucieux Kasibharadvaja se jeta révérencieusement aux pieds du Bouddha et s’exclama : « C’est merveilleux, ô Vénérable Gautama ! C’est merveilleux, ô Vénérable Gautama ! Comme on relève ce qui est tombé, ou on découvre ce qui est resté caché ou on montre le bon chemin à celui qui s’est perdu ou en étant comme un phare en tenant une lampe à huile dans le noir de façon à ce que ceux qui ont des yeux puissent voir, de la même manière et de plusieurs façons le Vénérable Gautama a expliqué et rendu clair le Dharma. Je me réfugie dans le Bouddha, le Dharma et le Sangha ; je désire être ordonné moine — l’ordination de novice et l’ordination supérieure. » Il reçut alors les deux ordinations du Bouddha.

Ce sutta montre qu’il serait très dangereux d’accepter un gain quelconque en exposant le Dharma. Autrement dit, ceux qui enseignent le Dharma ne doivent jamais en tirer profit.

Le Vénérable Kasibharadvaja mena une vie non seulement recluse et solitaire mais aussi une vie zélée, enthousiaste et énergique. Avant peu au moyen de sa propre intelligence, il devint un Arhat — la plus grande perfection spirituelle à la recherche de laquelle les gens quittent leur maison et deviennent des errants sans foyer. Il réalisa que « le cycle des naissances et des morts s’est terminé, la vie religieuse à été menée, ce qu’il faut faire a été fait, il n’y a rien qui reste à faire. » Ainsi le Vénérable Kasibharadvaja devint un des Arhats.

L’histoire extraordinaire de la manière dont cet ancien fermier se libéra de toutes les entraves et trouva la liberté finale, le Nirvana, est une source d’inspiration pour nous tous qui sont malheureusement empêtrés dans la misère de ce monde. Il a traversé la mer tempétueuse de la souffrance appelée Samsara et a atteint la sécurité sereine des rives sacrées du Nirvana.

Références

The Book of Protection, translated by Piyadassi Thera
Kandy : Buddhist Publication Society, 1999

The Life of the Buddha ,by Nanamoli
Kandy : Buddhist Publication Society, 1978

The Sutta Nipata : a Collection of Discourses 2nd ed. revised translated from the Pali by V.Fausboll (In Sacred Books of the East, vol. 10
Delhi : Motilal Banarsidass, 1980)

The Holy Bible New International Version
London : Hodder & Stoughton, 1995

Eloge d’ une vie solitaire

Beaucoup de moines, de nonnes, d’ermites, d’ascètes, de yogis et de mystiques ont choisi de mener une vie solitaire pour des raisons religieuses. Certaines personnes évitent la solitude craignant l’isolement. Ceux-là sont tellement attirés par la société d’amis et de la famille que l’idée même de vivre seul est leur bête noir.

Au début de cet essai il faut faire clairement la distinction entre « solitude » et « vie solitaire ». Le mot « solitude » suggère souvent l’état difficile de se sentir seul, délaissé et abandonné. Mais « Vie solitaire » a une signification tout à fait différente. D’une façon générale ce n’est que quelques-uns, une petite minorité, sont capables de mener une vie solitaire à cause de leur détachement envers les affaires du monde. En conséquence, ils préfèrent passer leur vie dans des endroits tranquilles, loin du tohu-bohu de la vie citadine. Nous devons nous poser plusieurs questions à ce sujet. Ceux qui poursuivent les plaisirs éphémères du monde sont-ils vraiment heureux ou s’imaginent-ils qu’ils mènent une vie heureuse ? Supportent-ils les hauts et les bas du samsara avec équanimité ? De plus, sont-ils plus près de la fin du cycle des naissances et des morts ?

Un ermite vivant dans une caverne de montagne éloignée pourrait aimer croire que sa vie est solitaire simplement parce qu’il se fait inaccessible au public, mais si son esprit est encore absorbé par des préoccupations terrestres, mène-t-il une vie solitaire ?

J’ai rencontré un jour plusieurs « renonciateurs » en robe safran vivant dans la forêt qui s’occupaient de politique ! Un moine confessait qu’il aimait gagner de l’argent en bourse pour financer la construction d’un centre de méditation ! Mais les personnes qui sont sincèrement attirées par la vie solitaire se divisent en deux catégories : primo, ceux qui se sont purifiés de leurs souillures ; secundo, ceux qui sont en train de se purifier sérieusement.

Un de mes suttas bouddhistes favoris est le Khaggavisanasutta du Suttanipata. Donc j’ai essayé du mieux que j’ai pu avec mes propres mots de répéter tous les 41 versets. Je l’ai fait avec enthousiasme. La profondeur de ce sutta est telle qu’il mérite d’être considéré comme un des grands classiques de la littérature religieuse.

Dans ce sutta la vie solitaire est comparée à la corne du rhinocéros. Le rhinocéros indien qui a la charpente énorme porte une corne proéminente sur le nez. Elle mesure près de trente centimètres. La corne paraît être séparée du corps de l’animal. Cette notion d’isolement se traduit dans les derniers mots de chaque verset — « on doit être seul comme la corne du rhinocéros ».

Défais-toi de la férule,
Ne blesse aucun être vivant.
Ne désire ni fils ni ami.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 1)

Des relations intimes avec d’autres
Amènent l’affection, alors la peine s’ensuit.
L’affection amène la souffrance.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 2)

Celui qui a de la compassion pour ses amis
Enchaîne son propre esprit et ne tient aucun compte du but.
L’amitié entraîne des conséquences funestes.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 3)

Comme un gros bambou aux branches emmêlées
On prend soin de sa femme et de ses enfants.
Mais soyez comme une pousse de bambou qui ne s’attache pas.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 4)

Dans la forêt un cerf délié est libre
D’aller n’importe où et s’alimenter.
De même, les sages ont la liberté.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 5)

Des exigences polies sont continuellement faites
Quand (on est) en compagnie des gens.
Mais si l’on recherche l’absence de désir et la liberté
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 6)

Quand des amis se réunissent il y a de la joie et des jeux
Et beaucoup de tendresse pour les enfants.
Bien que la séparation des amis soit désagréable
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 7)

On devrait être détendu n’importe où,
Sans êtres inamical envers personne,
Courageux et satisfait de tout.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 8)

Il y a du mécontentement chez certains ascètes
Et chez certains chefs de famille aussi.
Soyez indifférents aux enfants des autres.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 9)

Les marques d’un chef de famille sont rejetées,
Comme les feuilles d’un Kovilara qui tombent.
Les liens familiaux devraient être courageusement brisés.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 10)

Si l’on trouve un homme sage et brillant
Qui est bon et moralement juste,
Déjouez tous les dangers à vue,
Ensuite marchez ensemble, prenez plaisir à la présence attentive.
(verset 11)

Si l’on ne trouve pas un homme sage et brillant
Qui est bon et moralement juste,
Comme un roi vaincu perd sa puissance,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 12)

Ceux qui ont de bons amis sont sûrement fortuné.
Seuls les meilleurs sont dignes d’amitié.
Si cela n’est pas possible
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 13)

Sur un poignet deux bracelets d’or,
Travail habile et fin, frappent et brillent.
Regardez les bijoux, alors réalisez :
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 14)

Si je veux m’associer avec un autre,
Un discours inutile se fera alors.
On peut réfléchir sur ce risque.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 15)

Des plaisirs sensuels variés,
Doux et charmants nous troublent l’esprit.
Dans les plaisirs des sens la détresse prospère.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 16)

Les plaisirs sensuels causent des dommages, des destructions,
La malchance et des souffrances; des maladies en plus.
Voyez les dangers de cette situation douloureuse.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 17)

Le froid, la chaleur, la faim et la soif,
Le vent et le soleil, les taons et les serpents,
On soumet d’abord ces choses.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 18)

Comme un énorme éléphant des forêts
Qui abandonne son troupeau pour commencer
A exercer sa liberté d’aller partout,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 19)

Il ne peut trouver de libération même temporaire
Celui qui aime la compagnie des hommes.
Réfléchis aux mots et à l’esprit du Bouddha.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 20)

J’ai dépassé les idées philosophiques,
Maître de moi-même, j’ai atteint le chemin de la perfection,
Non conduit par les autres, la lumière s’est levée.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 21)

Dépourvu de tromperie, de cupidité, de désir, de dénigrement,
Purifié des passions et des actions folles,
Libéré du désir de toute possession terrestre,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 22)

Evite un méchant ami,
Qui aime tromper et qui est malhonnête.
Evite aussi celui qui s’est orienté vers les plaisirs sensuels.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 23)

Fréquente un ami érudit,
Sage adhérant du Dharma, spirituel,
Intelligent, aux idées claires.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 24)

N’aime pas les sports, les distractions, les plaisirs de ce monde,
Les ornements pour toi-même et les vêtements.
Dis la vérité tout le temps.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 25)

Romps tous les liens avec ton fils, tes parents, ton épouse,
Ta famille, tes richesses et tes grains, tous si agréables.
Abandonne aussi tous les désirs de la vie.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 26)

« Voici un obstacle pas trop heureux,
A peine délicieux, plus embarrassant,
Un hameçon » ainsi on voit avec la présence attentive.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 27)

Après avoir vaincu les obstacles,
Comme un poisson libéré du filet gênant,
Comme le feu qui ne reprend jamais sur les braises,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 28)

Les yeux baissés, sans être curieux de trouver,
Avec les sens refrénés, un esprit libre des passions,
Dénué de tous les désirs charnels,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 29)

Il enlève les marques du chef de famille,
Comme une erythrine sans feuilles,
Sans foyer, en toge safran, il se déplace.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 30)

Libéré de la gourmandise des choses douces,
Et non-chancelant,
Pas partisan des autres, il mendie chez chacun,
Sans préférence pour une famille quelconque,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 31)

Ayant vaincu les Cinq Empêchements,*
Ayant abandonné tous les défauts,
Indépendant, libéré des désirs,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 32)

*(cf. plus loin les notes explicatives sur les Cinq Empêchements)

Avec indifférence aux plaisirs et à la souffrance,
Ainsi qu’à la joie et aux dures contraintes,
L’équanimité, la tranquillité, la pureté sont le gain.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 33)

Avec acharnement essayez d’obtenir l’Illumination
Sans avoir d’attachement.
Travaillez dur, soyez forts pour atteindre le But ultime.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 34)

Continuez à méditer seul,
Dévouez-vous au Dharma,
Regardez notre triste situation samsarique,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 35)

Enthousiasmé que le désir soit vaincu,
Soyez attentif, pas sot, mais érudit,
Vigilant, plein d’énergie et maîtres de vous-mêmes.
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 36)

Comme un lion indifférent au bruit,
Comme le vent non retenu dans le filet,
Comme un lotus qui n’est pas sali par l’eau,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 37)

Comme un lion aux dents fortes qui vainc
Toutes les créatures, roi des animaux qui gagne
Et va dans des tanières lointaines et perdues,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 38)

Ayant de la compassion, de l’amabilité,
De l’équanimité et la libération au bon moment,
Alors avec allégresse et sans être entravé par les autres,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 39)

Ayant vaincu la passion, l’aversion et l’illusion,
Les chaînes brisées, c’est-à-dire leur destruction,
Ne craignant pas la fin inévitable de la vie,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 40)

Les gens servent et recherchent la société
Pour leurs propres intérêts,
On trouve difficilement des amis altruistes.
Puisque les hommes ne connaissent
Que leur propre profit et vivent dans l’impureté,
On doit être seul
Comme la corne du rhinocéros.
(verset 41)

Ce qui est intéressant, c’est que le refrain de ce sutta « on doit être seul comme la corne du rhinocéros » a été parfois traduit comme « errons seuls comme un rhinocéros ». Le mot « errant » évoque plusieurs images. Primo, le plus grand errant fut le Bouddha qui erra pendant quarante-cinq ans en Inde Centrale, exprimant ces vérités éternelles que nous chérissons, et que l’on appelle collectivement le Dharma. Secundo, il accentue la vie austère et exposée au danger du moine sans foyer qui, bravant les éléments, doit mendier sa nourriture pour survivre. Tertio, il nous rappelle que nous devons être attentifs à la tendance qu’a l’esprit à vagabonder sans but autour de ses désirs ardents : car le fait d’être attentif de cette manière est vraiment un aspect important de la méditation. Finalement, qu’on soit moine ou non, d’une certaine façon chaque être humain est un errant qui est pris dans le cycle douloureux d’innombrables naissances, décès et renaissances. En conséquence, en ne permettant pas à notre attention d’errer à l’extérieur, nous pouvons regarder le monde intérieur de la psyché avec son orgueil, ses préjugés, ses préoccupations et ses prédilections pour ceci ou cela. Observer comment l’esprit agité de l’errant centré sur le « je » est enclin à errer est une forme de méditation.

*Les Cinq Empêchements

Les cinq empêchements ou Nivarnas que voici sont présentés parfois comme des souillures ou obstacles, ce qu’ils sont en effet. Ces empêchements se mettent en travers d’une perception mentale non déformée. Ils aveuglent l’esprit. Ils réduisent aussi notre pouvoir de concentration.

Le désir sensuel (Kamacchanda)
Le franchissement de cet obstacle donne un cœur pur qui est sans sensualité.

La mauvaise volonté (Vyapada)
Le franchissement de cet obstacle donne un cœur pur qui est sans mauvaise volonté où fleurit l’amour et la compassion pour tous les êtres.

La paresse et l’apathie (Thina-middha)
Le franchissement de cet obstacle donne un esprit attentif dans lequel la conscience est claire.

L’inquiétude et le souci (Uddhacca-kukkucca)
Le franchissement de cet obstacle donne un esprit tranquille et un cœur paisible.

Le doute sceptique (Vicikiccha)
Le franchissement de cet obstacle fait disparaître les doutes au sujet du Bouddha, du Dhamma et du Sangha. Cet empêchement se rapporte également au doute sur la question si les choses sont salutaires ou non, et au manque d’empressement à réfléchir au fond des choses et à arriver à une conclusion.

Le Bouddha a exprimé éloquemment la vérité profonde que l’exploration de notre monde intérieur est indispensable à notre Illumination. Laissez-moi répéter que

« C’est dans ce corps d’un mètre quatre-vingt
avec ses perceptions et ses pensées
que le monde, l’origine du monde, la fin du monde,
et le chemin conduisant à la fin du monde, existent. »

« En marchant,
On ne peut jamais atteindre
La fin et les limites du monde,
Cependant il n’y a pas de libération de la souffrance
Sans atteindre la fin du monde.
En conséquence, le sage qui connaît le monde,
Celui qui a vécu la vie sainte,
Atteindra la fin du monde,
Connaissant la fin du monde, en paix.
Il ne désire plus ce monde
Et aucun autre »
Anguttara Nikaya IV 45

Les ermites religieux ressentent naturellement le besoin de s’éloigner des activités qui cherchent à fuir la réalité, et des attraits du monde extérieur avec son insistance sur l’argent, la puissance, la position, la politique et le plaisir. Quiconque tourne le dos à ce monde extérieur sait qu’il a soudainement trouvé plus de temps et d’énergie pour explorer entièrement le monde, caché jusque-là, de son propre esprit. Ensuite il vit seul. Alors que voit-il de la position avantageuse élevée de la montagne de l’isolement total ? Il commence à observer avec une plus grande clarté tous les vallons cachés de son subconscient. Imperturbable par les excitations transitoires, par les intérêts et les gens mondains, dans son environnement particulier où règne le silence intérieur et extérieur, il lui est possible de fouiller profondément en lui-même. Enfin le renonciateur se rend compte qu’il se consacre à des poursuites plus nobles.

Références:

The Paccekabuddha : a Buddhist Ascetic, by Ria Kloppenborg
Kandy : Buddhist Publication Society, 1983

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

The Sutta Nipata : a Collection of Discourses 2nd ed. revised translated from the Pali by V.Fausboll (In Sacred Books of the East, vol. 10
Delhi : Motilal Banarsidass, 1980)

Qu’ est – ce qu’ un brahmane authentique ?

Le Dhammapada est un des chefs d’œuvre de la littérature bouddhiste. L’essence de l’enseignement du Bouddha se trouve dans cet ouvrage qui est un recueil célèbre de ses aphorismes. D’une certaine façon, Le Dhammapada est au bouddhisme ce que Le Bhagavad Gita est à l’hindouisme. Parmi les nombreuses et excellentes traductions du Dhammapada, je me suis basé sur celle du Vénérable K. Sri Dhammananda.

« Lui, je l’appelle un Brahmana ». Voici le refrain résonnant des versets du Brahmana Vagga qui est le chapitre final du Dhammapada. Le Bouddha décrit dans chaque verset les qualités spirituelles d’un Brahmana authentique, ce dernier se termine par le refrain « Lui, je l’appelle un Brahmana ». Le terme «Brahmana » ne s’applique pas à la caste des prêtres hindous, il s’applique plutôt à ceux qui ont atteint l’Illumination. Nous pouvons méditer tranquillement sur les paroles profondes du Bouddha dans ces versets. Dans cet essai chacun des versets est introduit par un texte court qui explique les évènements qui ont conduit à ces paroles remarquables.

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Un brahmane qui demeurait à Savatthi devint un grand admirateur du Bouddha et de ses moines. Donc il invita les derniers chez lui pour partager son repas. Lorsqu’ils entrèrent dans sa maison il les accueillit avec beaucoup de respect en les appelant « Arhats ». Ces moines qui n’étaient pas des Arhats furent embarrassés d’être appelé « Arhats ». En conséquence, ils cessèrent leurs visites chez lui et le brahmane en fut attristé et déprimé. Il en parla au Bouddha qui demanda aux moines concernés s’ils avaient ressenti un faux orgueil et une exaltation injustifiée lorsqu’ils furent appelés par erreur « Arhats ». Les moines répondirent par la négative. « Bhikkhus, dit le Bouddha, ce brahmane utilise ce mode d’expression simplement par respect pour les Arhats et à cause de sa dévotion envers pour eux. Les moines doivent essayer d’atteindre l’état d’Arhat en transcendant le courant du désir. »

« O Brahmana, transcende assidûment le courant du désir et abandonne les désirs des sens. Après avoir compris la destruction du conditionnement, tu connaîtras le Non-conditionné. »
(Verset 383)

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Quelques moines rendirent visite au Bouddha pour lui rendre hommage. Voyant que ces moines étaient prêts pour l’état d’Arhat, le Vénérable Sariputta s’approcha du maître et lui posa une question par souci pour eux : « Quels sont les deux Dhammas que vous recommandez ? »

Le Bouddha répondit qu’ils étaient la tranquillité et la perspicacité.

« Lorsque le Brahmana a atteint l’autre rivage des deux états, alors toutes les entraves de ‘celui qui connaît’ disparaîtront »
(verset 384)

Il est intéressant de citer Jésus : « Vous connaîtrez la Vérité et la Vérité vous libèrera. » (Jean 8 : 32)

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Déguisé en homme, Mara rencontra le Bouddha. Mara n’est pas seulement celui qui utilise des tactiques d’obstruction pour dissuader les gens de trouver l’Illumination, mais aussi la personnification du mal et de la mort.

Mara : « Vénérable monsieur, que signifie ‘Param’ ? C’est un mot que vous employez souvent. »

Le Bouddha : « Oh méchant Mara ! Ce mot n’a rien à voir avec vous ! Il signifie ‘l’autre rivage’ qui ne peut être atteint que par les Arhats puisqu’ils sont purs moralement. »

« Il n’a ni ce rivage (les bases sensorielles) ni l’autre rivage (les objets des sens), ni les deux rivages, et celui qui est sans peur et dégagé des entraves — Lui, je l’appelle un Brahmana »
(Verset 385)

« Ce rivage » et « l’autre rivage » se réfèrent probablement aux sphères intérieures et extérieures. Les sphères intérieures (les bases sensorielles) sont l’œil, l’oreille, le nez, la langue, le corps et l’esprit ; les sphères extérieures (les objets des sens) sont l’objet visible, le son, le parfum, le goût, le contact et l’esprit objet. Evidemment les Arhats éprouvent ni « ce rivage » (les bases sensorielles) ni « l’autre rivage » (les objets des sens). Comme leurs bases sensorielles sont caractérisées par le détachement et par conséquent sont sans désirs et sans attachements, ils ne s’empêtrent pas dans les objets des sens. Cet état d’exaltation est probablement apparenté à celui de Pratyahara comme l’expose Patanjali (dans son chemin octuple) dans lequel on est soustrait entièrement à toute expérience des sens. Il n’y a plus la présence d’« ego » ou d’« expérimentateur », en conséquence plus d’expériences sensorielles basées sur l’ego. En fait, l’état de Pratyahara est dépourvu de toutes expériences basées sur les sens. Cet aspect du néant défie toute description.

F. Max Muller a interprété les deux termes comme suit : « l’autre rivage » se réfère au Nirvana tandis que « ce rivage » signifie la vie ordinaire.

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Un jour les pensées suivantes frappèrent l’esprit d’un brahmane, « le Bouddha appelle ses disciples ‘Brahmana’. Comme je suis de la caste des brahmanes, on devrait m’appeler moi aussi ‘Brahmana’. » Quand il posa la question à ce sujet au Bouddha, celui-ci répondit : « Je n’appelle personne Brahmana simplement à cause de sa caste ; seul celui qui est devenu Arhat — Lui, je l’appelle un Brahmana. »

« Celui qui est vigilant, pur et vit seul dans la forêt, respectueux et dégagé de toutes entraves, celui qui a atteint l’Illumination — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 386)

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Resplendissant dans ses habits d’apparat, le roi Pasenadi de Kosala rendit visite au Bouddha un jour de pleine lune. Aussi présent était le Vénérable Kaludayi dont l’absorption de l’esprit (Jhana) était si profonde que son corps émettait un halo doré profond. Le Vénérable Ananda remarqua que le soleil couchant et la lune lançaient des rayons de lumière. Tel était le beau cadre quand le Vénérable Ananda en voyant le Bouddha s’exclama : « Vénérable Sire ! La lumière qu’émet votre corps dépasse celle du roi, du Vénérable Kaludayi, du soleil et de la lune ! »
« Tous les Bouddhas, dit le Bouddha, brillent nuit et jour ainsi que leur quintuple brillance. »

Qu’est-ce qu’exactement leur quintuple brillance ? Le Bouddha extirpe l’immoralité par le pouvoir de la moralité (Sila), le vice par le pouvoir de la vertu (Guna), l’ignorance par le pouvoir de la sagesse (Panna), le démérite par le pouvoir du mérite (Punna) et le mal ou la malveillance par le pouvoir de la droiture.

« Le soleil brille le jour ; la lune luit la nuit ; le roi resplendit dans ses habits d’apparat ; l’Arhat brille dans sa méditation ; mais le Bouddha brille de toute sa splendeur jour et nuit. »
(Verset 387)

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Un ascète brahmanique à Savatthi remarqua que le Bouddha avait l’habitude d’appeler ses disciples Pabbajita ce qui signifie moine ou ermite. Ce mot s’applique à ceux qui ont abandonné leur famille et leur vie sociale pour devenir des bhikkus. Alors l’ascète posa au Bouddha sa question.
Le Bouddha répondit : « Je n’appelle pas Pabbajita un ermite. Seule la personne qui s’est purifiée de ses impuretés mentales est un Pabbajita. »

« S’il a abandonné le mal, il est appelé Brahmana ; s’il se déplace silencieusement, il est appelé Samana (ermite) ; s’il rejette ses propres impuretés, il est appelé Pabbajita — un ermite »
(Verset 388)

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« Personne ne devrait attaquer un Brahmana, un Brahmana ne devrait pas épancher sa colère sur son agresseur ! Quelle honte pour celui qui attaque un Brahmana ! Quelle honte plus grande pour celui qui épanche sa colère sur son agresseur en retour »
(Verset 389)

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Les gens louaient la patience et la longanimité du Vénérable Sariputta. Ses élèves disaient de lui qu’il ne se mettait pas en colère quand il était battu, mais qu’au contraire il restait calme. Or il advint qu’un brahmane qui avait des idées divergentes disait qu’il aimerait mettre Sariputta en colère. Alors quand Sariputta faisait sa tournée d’aumônes le brahmane frappa le dos de Sariputta de la main. Sariputta, sans même se retourner pour entrevoir son assaillant, continua à marcher comme si rien ne s’était passé. Honteux de lui-même, le brahmane tomba aux pieds de l’Arhat, lui demanda non seulement son pardon, mais l’invita chez lui pour un repas. Le même soir lorsque quelques bhikkus rapportèrent l’incident au Bouddha, ils firent aussi des observations sur la possibilité que l’ agresseur devienne plus audacieux et attaque d’autres bhikkus. Le Bouddha répondit : « Un véritable brahmane ne bat pas un autre véritable brahmane. Seul un brahmane ordinaire ou un homme ordinaire battrait un Arhat par colère et malveillance. »

« Se garder des plaisirs de la vie est très avantageux pour un Brahmana ; plus l’intention de faire du mal se termine, plus toute souffrance disparaît »
(Verset 390)

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Lorsque certaines nonnes ne voulurent pas pratiquer les cérémonies du Vinaya (Code de la discipline monastique) avec la Vénérable Maha Pajapati Gotami car elles doutaient de sa sincérité, le Bouddha fit la remarque qu’il ne fallait pas jeter des doutes sur elle à ce sujet car elle maîtrisait ses pensées, ses paroles et ses actions.

Sept jours après la naissance du prince Siddharta (le futur Bouddha) sa mère la reine Maya mourut. Sur ce Maha Prajapati Gotami devint la reine principale de son père le roi Suddhodana. C’est Pajapati qui éleva le petit prince. En d’autres mots, elle était la belle-mère du Bouddha qui s’occupait de lui avec beaucoup de tendresse. Elle permit même à son propre fils Nanda d’être élevé par une nourrice pour être la mère du prince Siddharta.

Quelques années plus tard, la requête de Pajapati pour que les femmes soient autorisées à entrer dans l’Ordre en qualité de Bhikkunis fut refusée par le Bouddha. Elle répéta la même requête à une autre occasion. Accompagnée de cinq cents dames à la tête rasée, habillées de toges teintes, Pajapati se rendit dans la forêt de Mahavana près de Vesali où séjournait le Bouddha. Le Vénérable Ananda plaida sa cause. Le Bouddha accepta sa requête, à condition qu’elle accepte les huit conditions spéciales qu’il énonça expressément et qu’elle agisse en conséquence. Quand elle consentit à les observer, Pajapati fut admise dans l’Ordre. Elle devint ainsi la première bhikkuni.

Lorsque certaines bhikkunis arrêtèrent de pratiquer les cérémonies du Vinaya en raison du fait que Pajapati n’avait pas de précepteur, le Bouddha prit sa défense en disant qu’il lui avait donné les huit garu dhammas qu’elle avait appris et qu’elle pratiquait. « Je suis son précepteur, dit-il, n’ayez pas le moindre doute sur les Arhats. »

« Celui qui abandonne le mal en pensée, en parole et en action, et qui maîtrise ces trois — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 391)

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Upatissa (appelé plus tard Sariputta) et Kolita (appelé plus tard Moggallana) sont beaucoup vénérés dans le monde bouddhiste parce qu’ils étaient les disciples principaux du Bouddha. Les deux petits brahmanes Upatissa et Kolita commencèrent leur recherche spirituelle dès leur jeune âge. Leur affection était si grande qu’ils s’aidaient mutuellement. Quand ils ne furent plus satisfaits de Sanjaya, ils cherchèrent un autre maître qui pouvait leur montrer le chemin de l’Immortalité. Lorsque Upatissa et Kolita se séparèrent, ils convinrent que celui qui découvre l’enseignement véritable en informe l’autre.

Un jour Upatissa rencontra le Vénérable Assaji qui faisait sa ronde d’aumônes. La prestance d’Assaji impressionna si fort Upatissa qu’il s’approcha avec déférence du moine et lui posa des questions : « Qui est votre maître ? Que vous enseigne-t-il ? » Assaji l’informa que le Bouddha résidait au monastère Veluvana à Rajagaha. Ensuite il récita le vers : « L’Illuminé a expliqué l’origine et la fin de tous les phénomènes. Voilà son enseignement. »
Dès que la moitié du vers était récité, Upatissa avait compris l’enseignement.

Upatissa tint parole et informa son ami Kolita qu’il avait trouvé l’enseignement vrai. Les deux amis, suivis de beaucoup d’autres, allèrent chez le Bouddha et lui demandèrent la permission d’entrer dans l’Ordre. Leur requête fut acceptée et avant peu Sariputta et Moggallana atteignirent l’état d’Arhat.

Sariputta n’oublia jamais que c’était grâce à Assaji qu’il avait non seulement rencontré le Bouddha mais avait atteint l’état d’Arhat, aussi faisait-il ses révérences dans la direction où se trouvait son maître Assaji. Ceci était un geste de vénération et de gratitude envers son maître. Donc Sariputta dormait toujours avec la tête tournée vers Assaji. Quelques moines du monastère se plainèrent auprès du Bouddha : « Vénérable Maître ! Sariputta continue à adorer les directions comme il faisait d’habitude étant petit brahmane ! Apparemment il n’a pas encore abandonné ses croyances anciennes ! » Sariputta expliqua qu’il ne s’agissait que d’une marque de respect envers Assaji.

Le Bouddha dit alors : « Ceci n’est pas un acte d’adoration des diverses directions, car Sariputta respecte simplement son maître qui l’a guidé vers le Bouddha. Rendre hommage à un tel maître est la chose juste à faire. »

« Si l’on devait comprendre le Dharma à cause de n’importe qui, ce dernier devrait être vénéré de la même façon qu’un brahmane vénère le feu du sacrifice. »
(Verset 392)

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Un certain ascète brahmanique pensait qu’on devrait l’appeler « Brahmana » compte tenu de la pratique du Bouddha d’appeler ses disciples « Brahmana ». Il rendit visite au Bouddha et lui exposa sa demande. Le Bouddha lui répondit : « Oh brahmane, ce n’est pas à cause de ses cheveux emmêlés ni de sa naissance (comme brahmane) que j’appelle quelqu’un un Brahmana. Seul, celui qui comprend à fond les quatre nobles vérités — Lui, je l’appelle un Brahmana. »

« On n’est un Brahmana ni par ses cheveux emmêlés, ni par sa lignée familiale, ni par naissance. Mais celui qui réalise la Vérité, et qui est droit et pur — Il est un Brahmana. »
(Verset 393)

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Suspendu la tête en bas à la branche d’un arbre, près de la porte de la ville de Vesali, un brahmane apostrophait la foule : « Je veux cent têtes de bétail, je veux de l’argent, je veux une esclave. Donnez-les-moi, O peuple ! Si je tombe de cet arbre et je me tue, cette ville tombera en ruine. » La foule effrayée implorait le brahmane de descendre de l’arbre. Les moines racontaient cet incident au Bouddha qui fit remarquer que seuls les ignorants, pas les sages, se laissaient prendre à cette ruse.

« A quoi servent vos cheveux emmêlés ? Oh insensé ! A quoi sert votre habit en peau d’antilope ? Vous vous embellissez à l’extérieur, mais à l’intérieur vous êtes rempli de désirs. »
(Verset 394)

Il est intéressant de noter que plusieurs siècles après le décès du Bouddha, Jésus fit une remarque citée dans la bible. Jésus avait accepté l’invitation à déjeuner d’un pharisien. Après s’être assis à table, le pharisien fut surpris de voir que Jésus ne s’était pas lavé avant le repas. Jésus dit alors, « Vous les pharisiens vous nettoyez l’extérieur des tasses et des plats, mais à l’intérieur vous êtes pleins de cupidité et de méchanceté. Vous, peuple insensé ! » (Luc 11 : 39-40)

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Quand Sakka, le roi des êtres célestes et sa suite rendirent visite au Bouddha et se mettrent à lui présenter leurs hommages, il se trouvait que Kisa Gotami apparut soudain en lévitation. Remarquant la présence de Sakka, elle se retira. Alors Sakka désira savoir qui elle était. « Oh Sakka, répondit le Bouddha, c’est ma fille Kisa Gotami. Elle fut jadis folle de douleur à cause du décès de son fils et je lui ai fait bien comprendre la vérité que toutes les choses composées sont soumises au changement et à l’impermanence. En conséquence, elle comprit le Dharma, entra dans l’Ordre et devint un Arhat. Kisa Gotami est une de mes éminentes disciples. »

On l’appelait Kisa à cause de sa minceur (« Kisa » signifie en pali, mince, hagard et émacié). Son austérité était telle qu’elle portait des robes de bure.

« Celui qui porte des toges faites de chiffons rejetés, qui est mince, dont les veines sont saillantes et qui médite solitaire dans la forêt — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 395)

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Un brahmane de Savatthi prétendait que parce que le Bouddha appelait ses disciples « Brahmana » il devrait être appelé de la même façon; en outre ses parents étaient des brahmanes. Quand il rencontra le Bouddha, il lui posa la question. Le Bouddha lui expliqua qu’il n’appellerait personne « Brahmana » simplement parce qu’il était né de parents brahmanes. Seule la personne qui s’est débarrassée de ses souillures et a cessé tout attachement mérite de s’appeler « Brahmana ».

« Je ne l’appelle pas un Brahmana parce qu’il est issu d’une matrice brahmanique ou qu’il est né d’une mère brahmanique. En vérité, il est fier et riche. Mais celui qui ne possède rien et n’a aucun attachement — Lui, je l’appelle un Brahmana.
(Verset 396)

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Uggasena était l’époux d’une danseuse appartenant à une troupe de baladins. Son beau-père lui apprit le métier d’acrobate dans lequel il excellait. Une fois quand il faisait ses tours de force acrobatiques, le Bouddha apparut. Pendant qu’il balançait encore au sommet d’une longue perche de bambou, il entendit le prêche du Bouddha et atteignit l’état d’Arhat. Peu après, Uggasena descendit de sa perche et demanda à être accepté comme disciple. Il fut admit dans l’Ordre.

Répondant à une question posée par quelques moines, Uggasena répondit qu’il n’avait pas eu peur quand il était au sommet de cette perche de bambou. Les bhikkus demandèrent au Bouddha, « Est-ce que la prétention d’Uggasena à être un Arhat est vraie ? »
Le Bouddha déclara : « Celui qui a rompu toutes les entraves comme l’a fait Uggasena, devient courageux. En vérité, il est un Arhat. »

« Celui qui s’est libéré de toutes les chaînes est sans peur, celui qui a transcendé l’attachement et est dépourvu d’impuretés morales — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 397)

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Deux brahmanes de Savatthi se disputaient. Ils avaient chacun un bœuf. Chacun se vantait que son bœuf était meilleur que celui de l’autre. Chaque brahmane dit que des deux bœufs son propre bœuf était plus fort et plus vigoureux que celui de l’autre. Puisqu’ils avaient l’intention de régler leur dispute ils décidèrent de soumettre leurs animaux à une épreuve de force. Alors, près d’une rivière chaque bœuf devait tirer à son tour une charrette chargée de sable. Chaque bœuf tirait et tirait la charrette à son tour, mais elle restait immobile. Après un certain temps les courroies cassèrent.

Quand les moines racontèrent cet incident amusant au Bouddha, il fit la remarque : « Bhikkus, les courroies visibles à l’œil se cassent facilement, mais on devrait casser en soi les courroies intérieures telles que la colère et les désirs. »

« Celui qui a brisé la courroie de la haine, la lanière du désir, la corde de l’hérésie avec l’appendice des tendances cachées, qui s’est défait de la barre transversale de l’ignorance, qui est Illuminé — Lui, je l’appelle un Brahmana. »

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La femme d’un brahmane lâchait brusquement « Namo tassa bhagavato arahato samma sambuddhassa » ( Hommage à l’Exalté, l’Honorable, le Pleinement Illuminé). Elle exprimait de cette façon ses hommages en présence de quelques amis de son mari que le dernier avait invités à dîner. Le mari était en colère en entendant ces paroles. Donc il visita le Bouddha et lui posa des questions provocatrices telle que: « Que devons-nous tuer pour vivre heureux et en paix ? »
Le Bouddha lui répondit : « Oh brahmane, il faut tuer la colère (dosa) pour vivre heureux et en paix. La destruction de la colère est fort approuvée par le Bouddha et les Arhats. » Impressionné par la réponse du Bouddha, il entra dans l’Ordre et devint plus tard un Arhat.

Furieux à la nouvelle que son frère aîné était entré dans l’Ordre, le frère cadet alla chez le Bouddha au monastère et commença à l’insulter.

Le Bouddha dit : « Oh brahmane, si vous offrez de la nourriture à vos invités et s’ils quittent la maison sans la prendre, à qui appartiendrait cette nourriture ? »
Le brahmane répondit que la nourriture lui appartiendrait.
« De la même façon, dit le Bouddha, comme je n’accepte pas vos injures, les injures vous appartiennent. »
Ressentant soudain un grand respect pour le Bouddha, il entra aussi dans l’Ordre et devint plus tard un Arhat.

Par la suite, ses deux frères cadets vinrent aussi au monastère dans l’intention de réprimander sévèrement le Bouddha, mais ils entrèrent aussi dans l’Ordre et finirent par être des Arhats.

Les bhikkus firent la remarque : « Que les vertus du Bouddha sont grandes et merveilleuses ! Ces quatre frères brahmane lancèrent des injures à notre Maître, mais il les aida à réaliser la Vérité ! »
Le Bouddha réponda alors, « Mes fils, comme j’ai de la patience et de la longanimité et comme je ne fais pas de tort à ceux qui m’en font, je suis un refuge pour beaucoup. »

« Celui qui, bien qu’innocent de tout méfait, supporte des injures de l’agression et de l’emprisonnement, dont la puissante armée est la patience — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 399)

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Un jour le Vénérable Sariputta accompagné de quelques moines se tenaient à la porte de la maison de sa mère au village de Nalaka dans le but de recevoir des aumônes. Bien que la dame invitât le groupe chez elle, elle gronda son fils Sariputta tout en lui offrant à manger. « Oh, toi, mangeur de rogatons ! Tu as abandonné tes biens pour devenir moine ! Tu nous as détruit ! » Ensuite offrant la nourriture aux autres moines, elle leur dit grossièrement : « Vous employez mon fils comme votre serviteur ! Mangez maintenant ! » Elle dédaigna son fils. Sariputta était injurié par sa mère, mais il l’écouta dans un silence digne. Lorsque les moines racontèrent la manière dont Sariputta avait supporté patiemment les injures de sa mère, le Bouddha déclara que les Arhats ne sont jamais irrités.

« Celui qui est purifié de la colère, respectueux, vertueux, libéré des désirs, maître de lui-même et qui vit dans son dernier corps — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 400)

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Quelques moines discutaient au sujet de l’Arhat Bhikkuni Uppala Vanna qui avait été violée par son ancien soupirant. Ils demandèrent au Bouddha si les Arhats appréciaient les plaisirs des sens comme le faisaient les gens ordinaires ou non.
« Les Arhats ne jouissent pas des plaisirs des sens, dit le Bouddha, comme ils ne s’accrochent pas aux objets des sens et aux plaisirs des sens. Ils sont comme l’eau qui ne s’accroche jamais à une feuille de lotus. »

«Comme l’eau sur une feuille de lotus, comme une graine de moutarde sur une pointe d’aiguille, de la même manière est celui qui ne reste pas attaché aux plaisirs des sens — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 401)

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L’esclave d’un brahmane s’enfuit de la maison de son maître et entra dans l’Ordre et plus tard atteignit l’état d’Arhat. Une fois quand il mendiait des aumônes avec le Bouddha, son ancien maître le remarqua et empoigna sa toge. Le Bouddha intervint en personne et déclara : « Ce moine a déposé le fardeau de sa vie. »

Lorsque le maître demandait si son ancien esclave était devenu un Arhat, le Bouddha confirma que c’était bien le cas.

« Celui qui même dans cette vie connaît la fin de la souffrance, qui a déposé le fardeau et est libre — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 402)

La phrase « qui a déposé le fardeau » est ouverte à la discussion. Elle signifie probablement l’abandon de l’illusion qu’il y a une chose telle que le moi permanent et immuable, la personnalité, l’ego ou le « je ».

Nous nous nourrissons de l’illusion que nous sommes des individus distincts et séparés alors qu’en effet nous ne sommes rien d’autre que des combinaisons constamment variables des Cinq Agrégats (c’est à dire des cinq éléments psycho-physiques), notamment,

Corps, forme, image (Rupa)
Sentiment, sensation, douleur (Vedana)
Perception (Sanna)
Formations mentales (Sankhara)
Le courant de conscience (Vinnana)

Une maison, si elle était capable de penser, pourrait penser « Je suis la maison la meilleure du pays », « je suis magnifique et confortable » et « Je suis indestructible », n’étant pas consciente qu’elle n’est qu’une construction temporaire faite de briques, de béton, de métal et d’un tas d’autres choses. Elle est un simple agrégat de beaucoup de choses. Un tremblement de terre peut réduire la maison en un tas de ruines en quelques secondes. De même, une bombe de terroriste peut la réduire en miettes. Alors où est la maison ? Existe-t-elle encore ? Il est cependant plus important de poser la question : La « maison » a-t-elle jamais existé ? Elle paraissait seulement exister car ce qui peut être démonté n’a pas de réalité inhérente. Une « maison » quelconque n’a que l’apparence extérieure d’une habitation, car elle n’est qu’un assemblage temporaire de choses différentes, mais en réalité, la « maison » n’est pas réelle pour deux raisons. Primo, la « maison » n’est pas une chose en soi ; secundo, elle ne peut exister éternellement.

Ce qui est vrai pour une maison, l’est aussi pour nos organismes psycho-physiques. Nos esprits et nos corps ne sont rien d’autre que des faisceaux d’agglomérations dans un état de changements continuels. Pendant les funérailles bouddhistes les moines psalmodient plusieurs versets, mais ceux qui suivent sont remarquables compte tenu de leur profondeur éternelle :

Sabbe sankhara anicca ti
Yada pannaya passati
Atha nibbindati dukkhe
Esa maggo visuddhiya.

TOUTES LES CHOSES CONDITIONNEES SONT IMPERMANENTES —
Quand, avec sagesse, on réalise ceci
On évite la souffrance :
Ceci est le chemin de la pureté.

Sabbe sankhara dukkha ti
Yada pannaya passati
Atha nibbindati dukkhe
Esa maggo visuddhiya.

TOUTES LES CHOSES CONDITIONNEES CAUSENT LA SOUFFRANCE —
Quand, avec sagesse, on réalise ceci
On évite la souffrance :
Ceci est le chemin de la pureté.

Sabbe dhamma anatta ti
Yada pannaya passati
Atha nibbindati dukkhe
Esa maggo visuddhiya.

TOUS LES ETATS SONT DEPOURVUS D’UN MOI —
Quand, avec sagesse, on réalise ceci
On évite la souffrance :
Ceci est le chemin de la pureté.

Nous ne sommes rien d’autre que des combinaisons psycho-physiques en changements continuels. Nous sommes comme les gouttes d’eau dans le vaste océan qui se fondent ensemble de temps en temps pour former des « vagues » qui s’écrasent sur la grève, qui ensuite redeviennent des gouttes d’eau et qui à leur tour tôt ou tard se rejoignent pour former d’autres « vagues ». Comme une vague n’a pas d’existence durable et est par conséquent irréelle ou illusoire, le moi est irréel et illusoire. Le « moi » n’est qu’une impression passagère. La compréhension de cette grande vérité ouvre automatiquement la porte à la vertu, car n’est-ce pas un fait que le moi décevant nous a jusqu’ici rendu très vaniteux, extrêmement égoïstes et autoritairement agressifs ? C’est seulement la lumière de l’intelligence, la lumière de la perspicacité ou la lumière de la clarté qui annule le moi une fois pour toute. Cette annulation, quand elle arrive, est naturellement la fin de tout égoïsme et le début de l’altruisme ou de la vertu.

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Le roi Bimbisara de Magadha est célèbre comme un des grands protecteurs du Bouddha qui lui avait offert la forêt de bambous. La reine Khema à la peau dorée, première épouse de Bimbisara était très jolie et extrêmement fière. Elle se rendait peu compte que s’enorgueillir de sa beauté était un mauvais trait de son caractère. Bien que Bimbisara fît de grands efforts pour persuader Khema de voir le Bouddha et de lui présenter ses hommages, elle l’évitait car elle avait appris que le Bouddha décriait la beauté, la considérant comme quelque chose d’éphémère et de sans valeur.

Bimbisara dressa un plan ingénieux pour atteindre son but. Les musiciens de sa cours eurent l’ordre de célébrer les louanges du monastère du Bouddha, donc, quand elle apprit l’atmosphère agréable et détendue, elle changea d’avis et décida de rencontrer le Maître.

Comme par hasard, le Bouddha faisait une conférence sur le Dharma dans le grand auditoire quand Khema se présenta au monastère. Le Bouddha fît voir à Khema la vision surnaturelle d’une jeune et très jolie femme qui l’éventait, assise à côté de lui. Tout son corps et tout son visage était exquis. Khema se rendit compte alors qu’elle était évidemment moins belle que cette jeune femme. Ensuite, comme Khema contemplait cette aimable jeune femme, la beauté de cette dernière commença à s’évanouir ! Probablement ses attraits disparurent comme la brume du matin dans les premiers rayons du soleil. Ensuite l’ancienne beauté vieillit beaucoup et devint peu attirante. Enfin, son corps âgé et fletrissant se changea en un cadavre puant mangé des vers ! Immédiatement après avoir eu cette vision, Khema comprit la nature éphémère de la beauté.

Découvrant l’état intérieur de Khema, le Bouddha lui dit :
« Khema ! Regardez ce corps en train de dépérir qui est maintenu par un tas d’os. Il est sujet aux maladies et à la putréfaction. Méditez sur le corps que les fous valorisent très fort. Méditez sur l’inutilité de la beauté juvénile. »

Après avoir réfléchi au conseil du Bouddha, Khema atteignit l’état d’Arhat. Elle entra plus tard dans l’Ordre et devint le disciple féminin principal du Bouddha.

Une nuit, Sakka, le roi des devas, accompagné de sa suite étaient en train de présenter leurs respects à l’Illuminé. Bhikkuni Khema faisait aussi son apparition dans le même but. Ils avaient tous voyagé dans le ciel en se servant de leur pouvoir surnaturel. Khema présenta ses respects et s’en alla peu après puisque Sakka était là.
« Qui est cette bhikkuni ? » demanda Sakka.
« Elle n’est pas seulement une de mes éminentes disciples, répondit le Bouddha, mais aussi celle dont la sagesse reste sans égale parmi les bhikkunis. »

« Celui dont la perspicacité est profonde, celui qui est sage, qui connaît le bon et le mauvais chemin, qui a atteint le But le plus élevé — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 403)

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C’était la saison des pluies, Bhikku Tissa entrait en retraite pour trois mois. Il avait choisi une grotte de montagne pour méditer. Chaque matin, il avait l’habitude de descendre au village voisin où une dame âgée et dévouée lui donnait des aumônes.

Il se fait qu’un esprit féminin vivait aussi dans la même grotte et elle était mal à l’aise de devoir partager la grotte avec un moine d’un si haut niveau moral. Comme elle ne pouvait se résoudre à demander au moine de quitter la grotte, elle imagina un moyen ingénieux pour atteindre son but sinistre. Elle voulait accuser le moine de méfaits et de cette façon faire subtilement pression sur lui pour qu’il s’en allât.

L’esprit non seulement possédait le cadet de la dame qui donnait régulièrement des aumônes à Tissa, mais aussi fit tourner la tête et rouler les yeux du garçon. Effrayée par la conduite de son fils, la pauvre femme se mit à crier. Là-dessus l’esprit dit : « A présent je possède votre fils mais je le libérerai à condition que votre moine se lave les pieds à l’eau et en asperge la tête de votre fils. » Le jour suivant lorsque le moine vint lui demander une aumône, les instructions de l’esprit furent exécutées et le garçon resta calme et paisible.

Quand Tissa regagna sa grotte il trouva l’esprit qui l’attendait à l’entrée de la grotte.
« Je suis l’esprit qui garde cette grotte, dit-elle revendiquant ses droits sur la grotte, Oh vous, exorciste, vous ne pouvez pas y entrer. »
Tissa déclara qu’il avait toujours été un moine vertueux et qu’il n’avait jamais violé le vœu qui le liait à l’abstention de la pratique de l’exorcisme ou de la sorcellerie. Elle prétendait que Tissa avait traité le garçon possédé ce qui équivalait à pratiquer l’exorcisme. Toujours debout devant la grotte, le moine savait au fond de lui-même qu’il était absolument innocent de tout méfait. Cette réalisation même le remplit de bonheur et il atteignit l’état d’Arhat. Tissa poursuivit son séjour dans la grotte jusqu’à la fin de la saison des pluies et rentra au monastère de Jetavana.

En ce qui concerne la fourberie égocentrique, on voit que les esprits sont fondamentalement les mêmes que certains humains.

Quand Tissa relata son expérience insolite, les autres moines lui demandèrent s’il s’était fâché avec l’esprit. C’était une question embarrassante. Ils essayaient peut-être de mesurer s’il était totalement libéré ou non. Alors quand Tissa déclara qu’il ne s’était pas mis en colère, les moines qui furent plutôt sceptiques allèrent voir le Bouddha pour lui soumettre la question.
Le Bouddha dit : « Tissa dit la vérité. Il est vraiment un Arhat. Il n’a ni attachements ni colère. »

« Celui qui a soin de se tenir éloigné aussi bien des propriétaires que des mendiants, qui erre sans foyer, qui est sans désir — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 404)

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Après avoir consacré son temps et son énergie à la méditation en forêt et avoir ainsi atteint l’Illumination, un Arhat se rendait chez le Bouddha pour lui exprimer toute sa gratitude du fond du cœur.

Comme le moine traversait un village, une femme qui s’était querellée avec son mari, commença à suivre le moine. Nous ignorons pourquoi elle marchait derrière le bhikku. Faisait-elle cela simplement par dépit ou était-elle captivée par l’aura de l’Arhat ? Quand son mari comprit son manège il arriva à la conclusion que le moine lui volait sa femme. Evidemment, il avait mal compris la situation. Quand le mari injuria le moine et menaça de le battre, la femme pria sérieusement son mari de ne pas toucher le moine. Ses paroles eurent un effet contraire. Alors qu’elle priait son mari d’éviter de molester le moine, cela ne fit qu’augmenter sa colère. Il battit sévèrement le moine qui poursuivit son voyage vers le monastère de Jetavana où le Bouddha résidait.

En voyant les blessures que le moine avait sur tout son corps, les autres bhikkus le soignèrent. Quand les autres moines demandèrent au moine blessé s’il nourrissait de la colère contre son agresseur, il répondit par la négative. Cependant ces moines rapportèrent l’incident au Bouddha, lui demandant si le moine avait réagi avec colère ou non.

Le Bouddha dit : « Les Arhats sont ceux qui ont déposé le sabre et le bâton. Même quand ils sont battus les Arhats ne se mettent pas en colère. »

« Celui qui s’est abstenu de la violence contre tous les êtres qu’ils soient faibles ou forts, celui qui ne tue pas ni ne massacre pas — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 405)

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Dans le monde bouddhiste le don d’aumônes, en particulier aux moines et aux nonnes a toujours été considéré comme une action très méritoire. C’est la vertu du Dana — libéralité, générosité ou don.

Un jour, l’épouse d’un brahmane demanda à son mari d’aller chercher quatre moines du monastère de Jetavana car elle désirait leur offrir des aumônes. Elle spécifia que seuls quatre moines supérieurs qui étaient des brahmanes véritables devraient être invités. Cependant le brahmane revint chez lui avec quatre novices (Samaneras) qui étaient par hasard des Arhats. Sa déception fut grande quand elle s’aperçut que ses invités étaient de jeunes novices. Furieuse de ce que son mari avait fait, elle lui demanda de retourner au monastère et de ramener seulement des moines supérieurs. Elle était si ennuyée que pendant son absence, elle ne donna ni chaises hautes, ni nourriture aux novices.

Le Vénérable Sariputta que le mari avait rencontré au monastère fut ensuite invité. Sariputta vint à la maison. Y voyant les novices, Sariputta leur demanda s’ils avaient mangé. Apprenant qu’ils n’avaient pas reçu de nourriture et qu’elle ne serait suffisante que pour quatre, Sariputta rentra au monastère. Ensuite le brahmane retourna au monastère et invita le Vénérable Moggallana qui accepta l’invitation. Mais il rentra lui aussi au monastère après avoir compris ce qui s’était passé.

Les pauvres novices avaient terriblement faim. Cette situation émeut Sakka, roi des devas, qui, par la suite, visita la maison déguisé en vieux brahmane. Alors le couple (le brahmane et sa femme) traitèrent le vieux brahmane avec déférence et lui offrit un siège d’honneur, mais c’est alors que Sakka s’assit simplement sur le sol et présenta ses hommages aux novices ! Ensuite Sakka révéla son identité. Réalisant que Sakka lui-même présentait ses hommages aux novices, le couple offrit de la nourriture aux novices et à Sakka.

Quand il reçut le compte-rendu de la suite des évènements, le Bouddha dit : « les Arhats ne gardent pas rancune à ceux qui leur sont hostiles. »

« Celui qui reste amical parmi les inamicaux, pacifique parmi les violents, sans attachements parmi ceux qui ne le sont pas — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 406)

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Quand Cula Panthaka entrait dans l’Ordre, son frère aîné, le Vénérable Maha Panthaka était déjà un Arhat.

Ce qui suit est un exemple de la façon dont la loi du karma s’applique. Cula Panthaka était stupide de naissance et sans imagination parce que dans une de ses vies antérieures, il s’était moqué d’un moine très terne. En conséquence Cula Panthaka ne parvint pas à mémoriser un seul verset pendant quatre mois. Par la suite, son frère, qui était un Arhat, conseilla à Cula Panthaka de quitter le monastère. Malheureusement les moines eurent la mauvaise impression que la décision de l’Arhat était motivée par la colère. Donc ils posèrent au Bouddha la question suivante : Les Arhats se mettent-ils encore en colère ? Ont-ils encore des souillures telles que la malveillance ?

Sur ce, le Bouddha éclaira le sujet : « Maha Panthaka n’agit pas par malveillance puisqu’il voulait simplement aider son frère. Les Arhats n’ont pas de souillures de l’esprit telles que la malveillance. »

« Celui en qui la convoitise, la haine, l’orgueil et l’hypocrisie sont tombées comme la graine de moutarde qui tombe d’une pointe d’aiguille — Lui, je l’appelle un Brahmana. »

(Verset 407)

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Le Vénérable Pilinda Vaccha avait l’habitude de s’adresser aux gens de manière grossière, utilisant souvent des injures telles que « toi, misérable, viens ici » ou « toi, misérable, va là-bas ». A cette époque, ces épithètes étaient destinées aux parias. Quelques moines se plaignirent de sa conduite au Bouddha. Le Bouddha convoqua Vaccha et en parla au moine.

Le Bouddha découvrit que dans de nombreuses vies antérieures Vaccha n’était né que dans des familles brahmaniques. L’explication des manières condescendantes de Vaccha se trouve dans le sens de supériorité des brahmanes.

Le Bouddha dit : « Moines, ne soyez pas offensés. Vaccha appelle les autres ‘misérable’ par la force de l’habitude qui remonte à ses existences passées comme brahmane. Il n’en veut à personne. Il ne veut pas de mal. Les Arhats ne veulent pas de mal aux autres. »

« Celui qui parle gentiment, instructivement et sans mentir, évitant les injures — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 408)

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Un brahmane de Savatthi avait déposé son vêtement de dessus par terre pour l’aérer. Un Arhat rentrant au monastère de Jetavana remarqua le vêtement. Croyant que ce n’était qu’un pièce de rebut, le moine le ramassa. Alors le brahmane insulta le moine et l’accusa de l’avoir volé. « Vous, crâne rasé, vous êtes un voleur ! » Le moine rendit le vêtement aussitôt au brahmane furieux.

Les autres moines du monastère se moquèrent de ce moine en lui demandant si le tissu était long, court, rugueux ou doux. « Qu’il soit long ou court, rugueux ou doux, dit le moine, est immatériel puisque je n’y suis pas attaché du tout. » Alors les autres moines demandèrent au Bouddha de lever les doutes de leur esprit au sujet de la déclaration du moine qu’il n’était plus attaché à rien.

Le Bouddha déclara : « Ce moine dit la vérité. Les Arhats ne prennent rien qui ne leur est donné. En outre, ils ne sont pas attachés aux choses matérielles. »

« Celui qui ne prend rien dans ce monde qui ne lui est pas donné, que ce soit long ou court, grand ou petit, bon ou mauvais — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 409)

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Le Vénérable Sariputta et les nombreux moines qui l’accompagnaient se rendaient au monastère pour y séjourner pendant la saison des pluies. Cependant les disciples laïques ne purent satisfaire tous les besoins des moines bien qu’au début ils eurent promis de le faire. Ils ne leur avaient donné que quelques uns de leurs accessoires. Alors Sariputta dit : « S’ils vous offrent des toges, envoyez-les-moi. Même s’ils ne vous offrent rien, tenez-moi au courant. Mais les moines qui oubliaient probablement que Sariputta était un Arhat se plaignirent au Bouddha que Sariputta était encore attaché à des choses terrestres telles que des toges.

Le Bouddha fit remarquer que « Sariputta avait cessé de désirer. Quand il vous demandait de lui remettre les tuniques, son intention était double : empêcher une perte de mérite aux disciples laïques et assurer quelque bénéfice aux moines et aux novices. »

« Celui qui ne désire rien de ce monde ou de l’au-delà, qui est libéré du désir et des impuretés morales — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 410)

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Au cours d’un évènement qui est remarquablement semblable au précédent qui avait inspiré le verset 410, quelques moines sceptiques s’étaient plaints que le Vénérable Moggallana avait encore des attachements de ce monde. Mais le Bouddha les assurait que Moggallana s’était libéré du désir.

« Celui qui s’est libéré du désir, qui ne demande pas dubitativement Comment ? Pourquoi ? puisqu’il a Compris, et qui a atteint l’Immortalité du Nirvana — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 411)

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Un groupe de moines informa le Bouddha, et on croirait qu’ils se plaignirent, que les laïcs faisaient beaucoup d’offrandes au novice Revata qui avait trouvé aussi la renommée et la fortune. Ermite des forêts, menant une vie solitaire, Revata, grâce à son pouvoir surnaturel, avait construit beaucoup de monastères pour les moines.

Pour justifier Revata, le Bouddha dit : « Moines, Revata s’est débarrassé des désirs. Il est a atteint l’état d’Arhat. »

« Celui qui, dans ce monde, est allé au delà des liens du bien et du mal, qui est joyeux, sans tâches et pur — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 412)

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Dans une vie passée le Vénérable Candabha avait fait des offrandes de bois de santal pour un stupa contenant les reliques du Bouddha Kassapa. A la suite de cet acte méritoire, il était rené avec un trait distinctif dans une famille brahmanique de Savatthi. Son trait distinctif était un cercle lumineux qui irradiait de son nombril, d’où le nom de Candabha (Canda = lune). Quelques brahmanes l’exhibaient fièrement en ville. Seuls ceux qui payaient, avaient la permission de le toucher. Un jour il se trouvait exhibé près du monastère de Jetavana où résidait le Bouddha. Les brahmanes disaient aux pèlerins en route vers le monastère : « Pourquoi allez-vous chez le Bouddha écouter son enseignement ? Personne n’est plus puissant que Candabha. Quiconque le touche deviendra riche. Pourquoi ne venez-vous pas voir par vous-même ? » Mais les pèlerins répliquèrent : « Seul, le Bouddha est puissant et il est incomparable. »

Dans le but de favoriser la rivalité entre Candabha et le Bouddha, les brahmanes conduirent Candabha au monastère. Oh surprise ! Quand Candabha fut en présence du Bouddha le cercle lumineux disparut tout à coup. La lumière s’arrêta toute seule. Mais, en dehors de la présence du Bouddha le cercle lumineux réapparaissait automatiquement. La lueur mystérieuse disparut quand il fut ramené devant le Bouddha. Candabha pensa « Je suis certain que le Bouddha a un tour de main pour faire disparaître cette lueur. » Aussi quand il demanda au Bouddha de lui apprendre le tour de main, le Bouddha demanda à Candabha de devenir d’abord moine avant qu’il ne lui apprenne le tour de main.

En sa qualité de moine, Candabha commença à méditer sur les 32 impuretés du corps et avant peu il atteignit l’état élevé d’Arhat. Quand les brahmanes lui rendirent visite, il lui demandèrent s’il avait appris le tour de main. Candabha répondit : « Je vous prie de quitter cet endroit. Je vais y rester. »

Après avoir appris cette conversation par les moines, le Bouddha fit remarquer : « Ce qu’a dit Candabha est vrai. Il a, en fait, éliminé complètement toutes les souillures de son esprit. »

« Celui qui est sans taches comme la lune, qui est pure, serein et calme, qui a détruit le désir des états délicieux — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 413)

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Pendant sa grossesse, anormalement longue, la Princesse Suppavasa avait l’habitude de méditer sur l’unité de la Triple Gemme — le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Elle demanda à son mari de rencontrer le Bouddha et de rendre hommage au grand Maître de sa part. Donc lorsque le Bouddha l’apprit, il dit : « Puisse Suppavasa être hors de danger et sans crainte : puisse-t-elle avoir un fils noble et sain. »

De manière étrange, dès que le verset a été psalmodié, en fait elle donna naissance à un fils sain appelé Sivali. Le Bouddha et quelques moines furent invités chez elle pour célébrer l’heureux événement. Ils reçurent aussi des aumônes.

Suite à la suggestion du Vénérable Sariputta, le garçon était d’accord de devenir moine à l’âge tendre de sept ans. Sa tête fut rasée en vue de son ordination. Immédiatement après que la tête du garçon était rasée, il devint un Arhat.

Dans une vie passée Sivali avait pratiqué le plus possible une des dix Paramitas (Perfections) qui sont considérées comme les dix conditions préalables pour devenir un Bouddha. Il avait accompli la Dana Parami (la Perfection du Don ou de la Libéralité), et devint ainsi « le Prince des Receveurs » ou le plus grand bénéficiaire d’offrandes.

Une fois, les moines posèrent la question : Pourquoi Sivali resta-t-il si longtemps dans le sein de sa mère ? Une tradition rapporte que sa naissance avait été retardée de sept ans au lieu de neuf mois. Le Bouddha donna la raison pour laquelle Sivali et sa mère durent souffrir tant pendant la grossesse et l’accouchement. Dans une de ses vies passées, Sivali avait été un prince. En voulant reconquérir son ancien royaume qui avait été alors entre les mains d’un autre souverain, Sivali avait, suivant le conseil de sa mère, assiégé une ville et il en résultait que les habitants étaient privés d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours. En conséquence, les souffrances de la mère et de l’enfant furent les répercussions karmiques de leur mauvaise action dans une existence passée.

« Celui qui a traversé cette route marécageuse des renaissances qui est difficile à traverser, et sa vanité, qui est passé à travers et a atteint l’autre rive du Nirvana, qui est méditatif, ferme, libéré des doutes et des attachements, et qui reste satisfait — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 414)

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La vie ascétique et austère des renonciateurs n’est pas sans tribulations. Si des moines ou des nonnes bouddhistes renient les vœux qu’ils ont faits de leur propre volonté, alors ils doivent s’en prendre à eux-mêmes. Il n’y a pas de source divine qui leur demande des comptes pour leur mauvaise conduite. Tandis que le non-respect des règles est un pas régressif, l’adhésion aux règles est un pas progressif qui jalonne le chemin vers l’excellence morale. Tôt ou tard chaque moine ou nonne doit décider si oui ou non il cède à la tentation. Leur sérieux et leur sincérité sont souvent mises à l’épreuve au cours de leurs pérégrinations.

Sundara Samudda, fils d’une riche famille de Savatthi entra dans l’Ordre et commença à mener la vie contemplative d’un moine à Rajagaha. Cependant ses parents versaient des larmes car il leur manquait beaucoup. Une courtisane qui avait remarqué leur chagrin s’approcha d’eux et leur dit : « Si je réussis à persuader votre fils de renoncer à l’Ordre et à le ramener à la vie d’un laïc, comment me récompenseriez-vous pour mes services ? » Les parents assurèrent la courtisane qu’ils la rendraient riche. Elle réclama une forte somme d’argent et se rendit à Rajagaha.

La rusée courtisane loua une maison à Rajagaha qui était située sur la route qu’empruntait Sundara dans sa tournée d’aumônes. Elle prenait l’habitude de préparer de bons petits plats et de les offrir à Sundara sur le seuil de sa maison : elle lui faisait ainsi l’aumône. Le moine s’habitua à recevoir régulièrement la nourriture d’elle. Plus tard elle l’invitait dans la maison. Ensuite, elle donna de l’argent à quelques enfants pour qu’ils viennent jouer bruyamment devant sa maison. Elle savait que les enfants feraient du bruit quand ils y joueraient.

Un jour, elle dit au moine que comme il y avait beaucoup de bruit et de poussière au rez-de-chaussée, il serait préférable qu’il prenne son repas au dernier étage où il faisait plus calme. Dès qu’il monta dans la chambre du haut, elle en ferma la porte. Là, elle commença à le séduire. Elle déclara son amour : « Vénérable Maître, je vous en prie, soyez mon mari et je serai votre femme. Après notre heureuse vie de mariés, nous pourrions éventuellement entrer dans l’Ordre et faire l’impossible pour atteindre le Nirvana. » Alors Sundara réalisa qu’il avait fait une erreur. Immédiatement, le Bouddha connut la situation de Sundara.
« Ananda ! dit le Bouddha, il y a un conflit en ce moment entre Sundara et une courtisane à Rajagaha. Le moine en sortira vainqueur. »

Le Bouddha envoya son rayonnement surnaturel et essaya très fortement de dissuader Sundara de faire le mal : « Mon fils ! Abandonne le désir des richesses et les plaisirs des sens et débarrasse-toi de la convoitise ! »

Sundara médita sur le message de son Maître et atteignit l’état d’Arhat.

« Celui qui, dans ce monde, rejette les désirs des sens, renonce à la vie du monde et devient un mendiant errant en qui tout désir pour l’existence est éteint — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 415)

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Dans une vie passée, Jatila, l’orfère, avait fait un acte méritoire. Pour exprimer sa dévotion et sa piété, Jatila avait fait plusieurs fleurs en or qu’il gardait dans trois vases d’or. Il les offrit ensuite au stupa de Kassapa Bouddha (le prédécesseur de Gautama le Bouddha).

Dans sa dernière vie, Jatila eut la surprise agréable de trouver dans la cour de sa nouvelle maison une grande quantité d’or. Il obtint cette richesse peu après son mariage dont il eut trois fils. Les théistes voudraient croire que cette bonne fortune est le résultat d’une intervention divine, la considérant purement comme le don d’un Etre imaginaire. Au contraire, cet événement est l’illustration de l’adage « On récolte ce qu’on sème ». Dans sa dernière vie Jatila ne faisait que récolter ce qu’il avait semé dans une vie passée. Il n’avait pas été « récompensé » par un « Créateur » imaginaire. Ceux qui comprennent le dessous de la loi karmique peuvent aussi voir très clairement la relation entre les trois vases d’or offerts au stupa (la cause) et ses trois fils (l’effet).

Jatila entra dans l’Ordre dans sa dernière vie et il devint un Arhat en temps voulu.

Quand les moines demandèrent à Jatila s’il était toujours attaché à son or et à ses fils, Jatila répondit négativement. La réponse de Jatila fut rapportée au Bouddha qui confirma que Jatila était libéré du désir et de l’orgueil. Il avait en vérité atteint l’état d’Arhat.

« Celui qui, dans ce monde, rejette le désir, renonce à la vie terrestre et devient un mendiant errant, qui s’est débarrassé de tout désir de devenir — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 416)

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Beaucoup de personnes trouvaient l’Illumination après avoir écouté les discours du Bouddha. Le danseur Nata Puttaka était un de ceux qui profitaient énormément d’une conférence donnée par le Bouddha. Après avoir entendu un discours l’homme entrait dans l’Ordre et atteignit l’état d’Arhat.

Un jour le Bouddha et les moines mendiaient leur nourriture accompagnés de Nata Pittaka, l’ancien danseur. Chose curieuse, ils rencontrèrent en chemin un autre danseur. Ils remarquèrent tout en coup un jeune homme qui dansait. Cette situation mettait Nata Pittaka à l’épreuve.

Peut-être parce que certains doutes étaient apparus sur la valeur de son titre d’Arhat, quelques moines lui demandèrent s’il aimait encore danser. Quand il eut répondu « non » le Bouddha en fut informé.

Alors le Bouddha dit : « Moines, il a transcendé touts attachements et il est maintenant un Arhat. »

« Celui qui se libère des chaînes humaines et divines et a coupé totalement tous les liens — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 417)

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Se référant au danseur Nata Puttaka qui avait atteint l’état d’Arhat, le Bouddha dit : « Moines, Nata Puttaka ne prend plus plaisir à rien. »

« Celui qui a abandonné ce qui donne du plaisir et ce qui donne des souffrances, qui est serein et n’a pas les graines d’existence future, le héros qui a vaincu tous les mondes — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 418)

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« Celui qui comprend complètement à la fois la mort des êtres et leur renaissance, qui n’a pas d’attachements, qui est heureux et Eveillé — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 419)

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Vangisa, un brahmane de Rajagaha, avait un pouvoir extraordinaire. Seulement en frappant le crâne d’un cadavre, il pouvait dire si le mort était rené comme un dieu ou un être humain. Il pouvait aussi dire si le défunt était dans un état d’existence misérable ou non. Les brahmanes exploitaient son pouvoir en le promenant à divers endroits. Les gens donnaient beaucoup d’argent pour connaître les lieux où se trouvaient leurs défunts.

Un jour Vangisa et les brahmanes se trouvèrent dans les environs du monastère de Jetavana où résidait le Bouddha. Découvrant les foules nombreuses qui se précipitaient vers le monastère pour voir le Bouddha, les brahmanes tentèrent de persuader les gens de rendre visite à Vangisa au lieu de voir le Bouddha, utilisant ainsi au mieux son pouvoir. Alors les gens s’exclamèrent : « Vangisa, connaît-il quelque chose ? Notre Bouddha est sans égal et il est le seul Illuminé. » Les brahmanes se disputaient avec la foule. Ils argumentèrent beaucoup. Finalement ils décidèrent tous d’aller au monastère pour voir si c’était Vangisa ou le Bouddha qui savait plus. C’était apparemment une tentative de s’assurer si Vangisa était supérieur au Bouddha ou non.

Le Bouddha était au courant de ce qui se passerait. Devinant les intentions des brahmanes qui lui rendaient visite, le Bouddha demanda à un moine de lui apporter le crâne d’une personne renée en enfer, le crâne d’une personne renée dans le monde animal, le crâne d’une personne renée dans le monde humain, le crâne d’une personne renée dans le monde céleste et aussi le crâne d’un Arhat. Les cinq crânes furent alignés et Vangisa fut prié de dire où ces personnes décédées furent renées. C’était probablement l’épreuve la plus difficile de sa carrière.

En regardant les quatre premiers crânes, Vangisa fut capable de dire correctement où ces personnes décédées étaient renées. Cependant, Vangisa hésita et ne sut que dire au sujet du crâne de l’Arhat. Vangisa ne savait pas que les Arhats ne subissent jamais la renaissance; plus précisément, les Arhats ne peuvent renaître car ils ont épuisé leur karma. Les Arhats se sont extraits du cycle des naissances, des décès et des renaissances. Ils ne sont plus empêtrés dans le samsara.

Le Bouddha dit : « Vangisa, vous ne savez pas, mais moi, je sais où est le propriétaire de ce crâne. » Quand Vangisa insista pour que le Bouddha lui apprenne comment dire où cette personne était renée, le Bouddha lui demanda tout d’abord d’entrer dans l’Ordre.

Vangisa devint un bhikku et le Bouddha lui conseilla de méditer sur les trente-deux parties du corps. Il s’exécuta et avant peu Vangisa devint un Arhat. L’expression « les trente-deux parties du corps » se rapporte probablement à la méditation spéciale sur les trente-deux impuretés du corps (cf. ch. 2 Ambapali : une femme de plaisir).

Quand les brahmanes demandèrent à Vangisa s’il avait appris l’art de dire où l’Arhat était rené, il répliqua qu’il n’était vraiment plus nécessaire de l’apprendre.

En réponse à une question posée par les moines, le Bouddha dit à propos de Vangisa : « Il comprend la mort et la renaissance des êtres. Il a atteint l’état d’Arhat. »

«Celui dont le chemin est inconnu des dieux, des gandhabbas (une classe d’êtres célestes) et des hommes, dont les passions ont cessé et qui est un Arhat — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 420)

Dans le verset ci-dessus, pour F. L. Woodward, le mot « chemin » ou destinée s’applique à la renaissance suivante, s’il y en a une.

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Il existe quatre niveaux de sainteté — Sotapanna, Sakadagami, Anagami et enfin Arhat :

SOTAPANNA

Sotapanna désigne le vainqueur du courant ou celui qui entre dans le courant. Que signifie le mot « courant » ? C’est le courant libérateur qui coule infailliblement vers l’océan du Nirvana. Une personne de la plus grande moralité qui a une foi profonde en la Triple Gemme — le Bouddha, le Dhamma et le Sangha. Son esprit est clair comme du cristal parce qu’il n’est plus soumis à l’illusion folle qu’une âme permanente ou une entité immuable existe. Il n’est pas assez naïf pour croire qu’une chose appelée « je » ou « moi » , qui n’est rien de plus qu’une création mentale, existe. Il n’y a ni doute ni incertitude dans son esprit. Il s’est aussi libéré de tout attachement aux rites et aux cérémonies. Dans le but de vaincre les obstacles restant sur son chemin, il renaîtra sept fois au maximum. Comme ce n’est qu’une question de temps avant qu’il atteigne le Nirvana, il ne renaîtra pas dans un état de souffrance.

SAKADAGAMI

Un Sakadagami est un « revenant une fois ». A moins qu’il ait déjà atteint l’état d’Arhat, il ne renaît comme être humain qu’une fois seulement. Il affaiblit ou diminue la force des désirs des sens (Kamaraga) et de la malveillance (Patigha). Patigha signifie le ressentiment, la répugnance ou la colère et est synonyme de Vyapada (malveillance) et de Dosa (haine).

ANAGAMI

Un Anagami est un « ne-revient-jamais » parce qu’il a vaincu entièrement les deux obstacles cités ci-dessus — les désirs des sens et la malveillance. Il ne renaît pas dans ce monde, ni dans le monde céleste, car il a effacé chaque trace de sensualité. A la fin de sa vie, il renaît dans les Demeures Pures (Suddhavasa) où il atteint l’état d’Arhat et ne renaîtra jamais plus. Le saint Anagami doit rompre les cinq derniers entraves — l’attachement au domaine de la forme (Ruparaga), l’attachement au domaine informe (Aruparaga), l’orgueil (Mana), l’agitation (Uddhacca) et l’ignorance (Avijja) et par cela il atteint l’état d’Arhat.

ARHAT

Comme il ne crée plus de karma, l’Arhat ne renaît jamais. Dans l’introduction de sa traduction de l’Anguttara Nikaya, Bhikku Bodhi donne une excellente description des qualités principales d’un Arhat : « L’arahant a abandonné la convoitise, la haine et l’illusion, ‘les a coupées à la racine de façon qu’elles ne renaissent plus à l’avenir’. Pour une telle personne toute notion de ‘moi’ et ‘mien’ est éliminée, et ainsi il ou elle ne pense plus en fonction de la vanité triple ‘je suis meilleur, je suis égal, je suis pire’. Comme le disciple principal Sariputta, l’arahant reste ‘avec un cœur qui resemble à la terre, vaste, exalté et infini, sans animosité et sans malveillance’. Comme la montagne rocheuse qui ne peut être ébranlée par la tempête, l’esprit de l’arahant ne peut être perturbé par la suite changeante des objets des sens, agréables ou désagréables. L’arahant reste ici et maintenant dans la paix inébranlable de la délivrance, dans laquelle les trois feux de la cupidité, de la haine et de l’illusion sont éteints. »

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Visakha qui vivait à Rajagaha était un disciple laïque du Bouddha. Son épouse Dhammadinna rejoignit l’Ordre des bhikkunis avec sa permission. Elle médita, progressa rapidement et devint un Arhat en peu de temps. Un jour Visakha rendit visite à son ancienne épouse et la pressa des questions difficiles. Elle répondit à tout, mais quand il l’interrogea sur le Nirvana, Dhammadinna remarqua que Visakha n’était plus à sa hauteur. Comme il n’avait pas atteint le Nirvana, Visakha était incapable de comprendre l’Illumination. Alors elle lui demanda d’aller voir le Bouddha, s’il le souhaitait. Quand Visakha visita le Bouddha et lui raconta leur entretien le Bouddha ne déclara pas seulement qu’elle avait répondu correctement aux questions de Visakha mais il confirmait aussi que Dhammadinna était un Arhat.

« Celui qui considère que rien n’est à lui concernant le passé, le présent ou le futur, qui ne possède rien et ne désire rien dans ce monde — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 421)

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Les offrandes au Bouddha et aux moines faites par le roi Pasenadi et la reine Mallika étaient magnifiques. La splendeur de cette cérémonie était sans égale. Chaque moine invité était abrité sous une ombrelle blanche, tenue par un éléphant. Ces ombrelles étaient déployées apparemment comme une marque de respect envers les moines à l’occasion de cet évènement majestueux mais pourtant solennel. Quand il apparut qu’il manquait un éléphant dressé pour la cérémonie, un éléphant non dressé fut attribué au Vénérable Angulimala. On craignait que cet éléphant non dressé devienne dangereusement turbulent. A la surprise générale, l’animal resta docile en présence d’Angulimala.

Interrogé par les moines sur cet événement, Angulimala déclara qu’il n’avait pas été effrayé. Les moines rencontrèrent le Maître pour discuter le sujet.

Le Bouddha dit : « Des Arhats comme Angulimala sont sans crainte. »

« Le courageux, le noble, l’héroïque, le grand sage, le victorieux, le sans-désir, l’épuré, l’éveillé — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 422)

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Quand le Bouddha souffrait de mal d’estomac, il demanda au Vénérable Upavana d’aller chercher de l’eau chaude de Devahita. Très heureux d’avoir le privilège rare de pouvoir rendre service au Bouddha, ce dévot appelé Devahita offrit non seulement l’eau chaude demandée mais aussi de la mélasse. Après que le Bouddha eut pris un bain chaud, Upavana lui présenta une boisson faite d’eau chaude et de mélasse. Après que le Bouddha eut avalé la boisson, sa santé s’améliora. Devahita vint ensuite et posa la question suivante : « A qui devrions-nous offrir un cadeau pour qu’il nous soit plus bénéfique ? » Le Bouddha répondit que l’offrande nous est plus bénéfique quand la personne qui la reçoit est entièrement libérée du mal.

« Celui qui connaît ses vies passées, qui voit le ciel et l’enfer, qui ne renaîtra jamais plus, un sage qui a la connaissance parfaite et qui est pleinement accompli — Lui, je l’appelle un Brahmana. »
(Verset 423)

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CONCLUSION

Dans tous ces versets le Bouddha dit clairement que seulement l’homme ou la femme qui atteint l’état d’Arhat est le véritable brahmane. On en conclut que l’Arhat ou le véritable brahmane est la personne rare qui se libère de toutes les entraves, qui épuise son karma et qui trouve de lui-même la sagesse, la liberté, la paix et la compassion suprême du Nirvana.

Ce qu’un homme ou une femme empêtré dans le filet du samsara n’avait pu réaliser pendant les éternités qui ont précédé, il ou elle réussit à le faire en qualité d’Arhat. Ce qu’il fallait faire pendant son cycle de naissances et de morts et de renaissances, enfin, a été fait. Le pèlerin fatigué est arrivé au bout de son voyage long et ardu. C’est un pèlerinage dont aucun pèlerin jamais ne doit revenir. En fait, il ne revient jamais. L’Araht a accompli sa tâche dans le sens qu’il a remis de l’ordre en lui. Il n’y aura plus jamais de désordre car il a atteint le Nirvana inconditionné.

Références :

The Dhammapada, by K. Sri Dhammananda
Kuala Lumpur : Sasana Abhiwurdhi Wardhana Society, 1992

The Dhammapada, by E.W. Adikaram
Colombo : Gunasena, 1999

The Dhammapada, by Narada Thera 3rd edition
Kuala Lumpur : Buddhist Missionary Society, 1978

The Dhammapada,by S. Radhakrishnan
London : Oxford University Press, 1968

The Dhammapada, by F. Max Muller
Delhi : Motilal Banarsidass, 1980 (In Sacred Books of the East, vol.10)

The Pen Portraits of Ninety Three Eminent Disciples of the Buddha,
by C. De Saram
Colombo : Ceylon Readers Bookshop, 1971

Vandana : Buddhist Devotions
Washington : Buddhist Vihara Society, 1981

The Buddha’s Path of Virtue : A Translation of the Dhammapada ,
by F.L. Woodward
Adyar : Theosophical Publishing House, 1949

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
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The Buddha and His Teachings, by Narada
Colombo : Vajirarama, 1973

The Holy Bible New International Version
London : Hodder & Stoughton, 1995

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

Qui est un ami sincère ?

Quand j’étais écolier j’avais un ami proche qui me portait beaucoup d’affection. Notre relation était purement platonique. Ensemble nous parcourions l’île entière de Sri Lanka. Un jour nous admirions les rapides du Mahaveli, la rivière la plus longue du pays. Il y a une courbe gracieuse de la rivière brune en crue près de Peradeniya où la végétation tropicale luxuriante est ombragée par des bambous hauts et imposants. J’ai décidé de me baigner là. Malgré l’avertissement de mon ami de ne pas le faire, je me suis aventuré dans l’eau à mes propres risques.

« Si tu es en difficulté, cria mon ami, je plongerai dans la rivière pour te sauver. Je suis prêt à sacrifier ma vie pour toi. » De nombreuses années se sont écoulées depuis j’avais pris ce bain refraîchissant, mais les paroles prononcées par mon ami à cette occasion restent inoubliables. Hélas, ce bon ami n’est plus. Ce qui est intéressant, c’est qu’un jour, par chance, je découvris la citation suivante :

« Il n’y a pas d’amour plus grand que l’amour de celui qui perd sa vie pour ses amis. » (Jean 15 : 13)

Les amis fidèles, dévoués, loyaux et à l’esprit de sacrifice sont rares et difficiles à trouver, mais les soi-disant amis qui sont égoïstes, peu fiables et opportunistes sont faciles à trouver.

Un mendiant misérable, errant, sans le sous et vêtu de haillons dormait sur le trottoir d’une ville de plusieurs millions d’habitants. C’était un homme solitaire sans amis. La foule passait près de lui chaque jour sans même jeter un regard vers son visage triste. Mais quand ce pauvre gagna à la loterie nationale (sans doute à cause de ses actions généreuses dans une vie passée) et devint en un instant multimillionnaire, beaucoup de personnes déclarèrent être son ami. Un étranger alla même jusqu’à prétendre être son deuxième cousin !

Il est évidemment important d’étudier toutes nos soi-disant amitiés avec les gens et de s’assurer si ces relations sont basées sur l’altruisme ou sur l’égoïsme. Est-il encore un ami fidèle celui qui abandonne délibérément ses amis seulement parce que les derniers sont en difficulté ? Est-il un véritable ami celui qui ne fait des avances qu’à ceux à qui la fortune sourit ? Pourquoi aimons-nous à fréquenter les personnalités influentes et puissantes telles que les politiciens, acteurs, musiciens, écrivains, sportifs et magnats des affaires célèbres ? N’est-il pas important de réfléchir à ce qui se cache derrière une amitié ? En d’autres termes, que devrait être le critère pour évaluer la sincérité d’une amitié ? Sommes-nous amicaux avec quelqu’un dans le but de donner ou de recevoir ? De ces deux possibilités, la première montre qu’une amitié véritable existe, en particulier si on n’a pas la moindre arrière-pensée quand on donne ou on rend service aux autres.

Ce ne serait jamais un handicap mais toujours un bien d’avoir des amis sages et vertueux. Mais quiconque cherche des amis possédant à la fois la sagesse et la vertu rencontrera beaucoup de difficultés. Les sages préfèreraient probablement passer leur vie dans la solitude après avoir entièrement effacé le désir de compagnie humaine. En ce qui concerne les modèles de vertu, il est aussi impossible de trouver ces rares individus que de trouver des chevaux parlants ou chantants. Du point de vue bouddhiste, un ami parfait est nécessairement une personne parfaite et une personne parfaite est nécessairement un Arhat. La perfection est la qualité la plus importante des Arhats, car eux seuls ont éliminé leur karma une fois pour toute. Cela signifie-t-il que l’on devrait, en l’absence relative d’Arhats de nos jours, être entièrement sans amis ? Oui, cela pourrait être le meilleur moyen, à condition d’avoir la force intérieure de mener une vie totalement indépendante.

La solitude est souvent insupportable. Beaucoup de personnes aspirent à avoir des amis. Leurs besoins de s’épancher chez un ami sont grands. Quand il y a ce besoin désespéré de rencontrer d’autres gens, on peut et on devrait rejoindre des personnes pieuses qui suivent strictement le Dharma. Ceux qui observent intransigeamment le Pancha Sila ou qui essaient au moins de le faire serieusement, auraient déjà établi une base morale solide. Ceux qui obéissent à la lettre aux cinq préceptes moraux de base, en comprenant et appliquant aussi leur esprit, peuvent compter comme de véritables amis.

Des amis vertueux exercent une heureuse influence sur nous. Leur fréquentation permet de mesurer l’importance d’observer les Cinq Préceptes. Cette question mérite d’être développée. Que se passe-t-il quand on prend ces cinq résolutions ? Primo, on connaît l’existence de certains hauts niveaux moraux. Secundo, on devient douloureusement conscient de la difficulté d’atteindre les niveaux requis. Tertio, ces résolutions sont aiguillon puissant pour agir dans le sens qu’on est obligé de porter son attention vers l’intérieur. Quarto, quand nous observons par la méditation le processus de notre pensée, que se passe-t-il ? Nos défauts cachés et nos tendances latentes commencent à revenir à la surface nous permettant ainsi d’en être conscient. Cette conscience même assure la purification de l’esprit.

Le respect du Premier Précepte (s’abstenir de détruire les êtres vivants) donne naissance aux vertus de bonté affectueuse (Metta) et de compassion (Karuna), il aide aussi à contrôler la tendance à la colère (Dosa) qui est souvent la raison du meurtre ou des tueries intentionnelles d’êtres humains et de la destruction intentionnelle d’autres êtres vivants.

Le respect du Second Précepte (s’abstenir de voler ou de prendre des choses qui n’ont pas été données à soi-même) conduit à l’aversion des biens matériels et diminue aussi la puissance du désir (Tanha) qui est la cause principale des souffrances et de la poursuite du cycle de naissances récurrentes.

Le respect du Troisième Précepte (s’abstenir de la mauvaise conduite sexuelle) devrait aider à se libérer du désir lascif (Chandaraga) qui nous attache au monde des sens.

Le respect du Quatrième Précepte (s’abstenir de fausses paroles) est une des empreintes de la pureté ; il met aussi en évidence de dire la vérité en toutes occasions et dans toutes les circonstances. Il serait paradoxal de voir des Bouddhistes voués à découvrir l’ultime Vérité négliger l’importance de la vérité en mentant.

Le respect du Cinquième Précepte (s’abstenir de faire tout ce qui conduit à l’ivresse) assure un esprit alerte et par conséquent un esprit clair sans lequel la méditation devient très difficile, voire impossible.

Les paroles réconfortantes d’amis nous aident à surmonter un deuil. Les amis sont une consolation en cas de crise émotionnelle. Les amis nous consolent quand nous sommes tristes ou déçus. Même les plaisanteries et les rires des amis nous remontent le moral, mais c’est temporaire. Un véritable ami est quelqu’un qui prend soin de nous tout le temps. Oui, toutes ces déclarations sont partiellement vraies, mais la recherche commune de la spiritualité est le point le plus important d’une amitié véritable. Telle était la célèbre amitié entre les deux disciples principaux du Bouddha, le Vénérable Sariputta et le Vénérable Moggallana.

Le Mangala Sutta décrit les Bénédictions Suprêmes. Le mot « bénédiction » signifie l’état de calme et de bien-être qui est la conséquence naturelle d’une vie morale. Cette signification particulière est tout à fait différente de la signification théiste selon laquelle « bénédiction » habituellement veut dire « grâce de Dieu » ou « don de Dieu ».

Un jour quand le Bouddha résidait au monastère de Anathapindika, près de Savatthi, une certaine divinité s’approcha de lui très tard dans la nuit. Sa splendeur était telle que tout le verger en était illuminé. Après les salutations, la divinité interrogea l’Exalté sur les Bénédictions Suprêmes. A cette occasion, le Bouddha cita parmi les autres bénédictions, la suivante :

Asevana ca balanam
Panditanan ca sevana
Puja ca puja-niyanam
Etam mangala muttamam

Ne pas suivre ou fréquenter des fous,
Fréquenter les sages,
Et honorer ceux qui sont digne d’honneur,
Ceci est la Bénédiction Suprême.

De plus, dans le Chapitre des Septs, le Bouddha donnait l’avis suivant :

« Un ami, ô moines, devrait être fréquenté quand il possède sept qualités. Quelles sont les sept qualités ?
Il donne ce qui est difficile à donner ;
Il fait ce qui est difficile à faire ;
Il supporte patiemment ce qui est difficile à supporter ;
Il divulgue ses propres secrets ;
Il garde nos secrets ;
Il ne nous abandonne pas dans le malheur ;
Il ne nous méprise pas à cause de notre ruine.
Un ami devrait être fréquenté quand il possède ces sept qualités. »
Anguttara Nikaya VII 35

Certains pourraient dire que « les conditions d’excellence ou perfection morale ci-dessus sont impossibles à réaliser car elles resteront toujours des rêves inaccessibles. » Nos esprits sont si habiles à trouver des excuses pour s’écarter du chemin de la pureté. Il n’est pas du tout aisé de dépouiller l’esprit de tous les défauts accumulés depuis longtemps, mais à condition de purifier l’esprit, sera-t-il jamais possible de trouver l’Inconditionnel et le Non-né ? A ce sujet on peut réfléchir aux dernières paroles du Bouddha — « Toutes les choses composites sont assujetties au changement. Faites votre propre salut avec zèle. »

Références :

Daily Buddhist Devotions, by K. Sri Dhammananda 2nd edition
Kuala Lumpur : Buddhist Missionary Society, 1993

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

Le bouddhisme excuse-t-il ou condamne-t-il

la consommation de viande ?

A l’époque du Bouddha la consommation de viande était très répandue en Inde. Cependant certaines sectes religieuses telles que les Niganthas étaient si engagées à la doctrine de la non-nuisance et de la non-blessure (Ahimsa) qu’elles s’abstinrent entièrement de la viande.

Jivaka, un moine végétarien, demanda au Bouddha si la consommation de viande était en concordance avec son enseignement. Le Bouddha aurait dit qu’à condition que les animaux ne soient pas vus, entendus ou soupçonnés d’avoir été abattus spécialement pour un moine, leur viande pouvait être consommée. L’abattage d’êtres vivants pour un Maître Illuminé ou pour ses disciples fait du tort et apporte un mauvais karma. Alors, vraisemblablement, la seule viande autorisée devrait provenir soit d’animaux qui n’ont pas été abattues spécialement pour les moines, soit d’animaux qui sont morts par accident, de maladie ou de vieillesse.

D’après le Jivaka Sutta, le Bouddha déclara que la viande ne peut être consommée à trois occasions. Quand on voit, on entend ou on suspecte qu’un être vivant a été abattu pour un moine. En d’autres termes, la viande peut être mangée quand on ne voit pas, n’entend pas et ne soupçonne pas qu’un être vivant a été abattu pour un moine. Bien que ce règlement ne s’applique qu’aux moines, on l’applique souvent aussi aux laïques.

Un moine dépend de la nourriture qui lui est offerte pour survivre. Avec un esprit plein de bonté affectueuse, il répand la bienveillance dans toutes les directions. Son état intérieur est si élevé que le moine est sans hostilité et sans malveillance. Il rayonne de la bonté affectueuse pour tous sans exception. Sa compassion qui embrasse tout n’a pas de limites. Elle est partout, au-dessus, en bas et autour. Ce qui a été décrit est ou devrait être, l’état intérieur du moine.

Un chef de famille ou son fils invite un moine à un repas. Revêtu de sa toge de dessus et portant sa sébile, le moine entre dans la maison de son hôte et s’assied sur le siège qui lui a été réservé. Le moine reçoit ensuite une bonne nourriture. Alors, le moine ne pense pas « Comme c’est bien que mes hôtes me servent une bonne nourriture ! Si seulement ils pouvaient me servir une si bonne nourriture encore ! » De pareilles pensées négatives dues à la gourmandise n’existent pas ou ne devraient pas exister pour lui. Mais il prend le repas sans s’y attacher, sans gourmandise et sans enthousiasme pour la nourriture, car il voit le danger de s’attacher à quelqu’un ou à quelque chose et il comprend aussi l’importance de dépasser tous les attachements.

Dans le Jivaka Sutta, le Bouddha enseigna que quiconque abat un être vivant pour le Bouddha ou ses disciples, fait du tort dans les cinq cas suivants : Primo, quand il dit : « va et ramène-moi cet être vivant » ; Secundo, quand la créature souffre et s’angoisse en étant conduite à la longue qui lui blesse la gorge ; Tertio, quand il dit : « va la tuer» ; Quarto, quand l’animal souffre et éprouve la douleur d’être tué ; Quinto, quand il offre au Bouddha et à ses disciples la nourriture ci-dessus qui est interdite.

Les moines bouddhistes actuels prennent-ils la peine de s’informer si l’animal a été tué exprès pour eux avant de le manger ? Ils ne peuvent sûrement pas ignorer le fait que presque toute la viande disponible dans les villes modernes provienne des abattoirs. Puisque les moines font partie de ce groupe particulier de consommateurs de viande, ne s’en suit-il pas que la viande qu’ils dévorent avec tant de plaisir, a été mise spécialement à leur disposition aussi ?

Dans la plupart des pays, il existe dans les villes et les villages des boutiques spéciales où se trouvent des stocks spéciaux de viande et de poisson. Cette marchandise spéciale est régulièrement et périodiquement mise en vente seulement parce qu’il y a une demande spéciale de la part des groupes spéciaux de mangeurs de viande tels que des chefs de famille, des restaurants, des hôtels, des moines et d’autres. S’il n’y avait pas de demande spéciale de viande et de poisson, il n’y aurait pas de fourniture spéciale pour eux non plus.

Voyons la situation d’un homme qui achète de la viande ou du poisson fortuitement sans l’avoir spécialement commandé au préalable. Pourrait-il échapper aux conséquences karmiques de son achat ? Remarquez que le client en question n’a jamais fait de commande spéciale de viande. Même ainsi, il est possible que le client coure le risque de responsabilité karmique car, dans ce cas, le client ne pourrait pas ignorer que le marchand avait fait l’effort spécial de disposer d’un surplus de viande et de poisson pour des clients inattendus comme lui, qui font une visite à son magasin fortuitement.

Si la seule raison qui m’empêche d’abattre directement ou indirectement des animaux pour leur viande, est la peur que de telles actions provoquent une accumulation de torts (akusala karma), alors cela ne montre-t-il pas que je ne suis pas inspiré par la sollicitude compatissante pour la souffrance infligée aux animaux qui sont abattus, mais plutôt par mon égoïsme qui recherche un soi-disant progrès spirituel ?

Rappelons-nous le Premier Précepte des Cinq Préceptes (Panca Sila) que la grande majorité des bouddhistes récitent souvent comme des perroquets. Certains aiment les réciter en public afin de donner une bonne impression d’eux-mêmes, désireux que le monde les considère comme des personnes profondément religieuses ! Le tout premier précepte moral dit : « J’assume le précepte de m’abstenir de détruire des êtres vivants » (Panati-pata veramani sikkha padam samadiyami). En assumant le premier précepte, il est très clair qu’un vrai bouddhiste est résolu à ne jamais tuer, ce qui implique nécessairement que l’on est résolu également à ne jamais participer à toute action qui nécessite la mise à mort d’un être vivant, que l’on agisse directement soi-même ou indirectement par l’intermédiaire d’une autre personne (telle qu’un boucher ou un pêcheur) au nom de soi-même.

Puisque de tels soi-disant bouddhistes sont péniblement conscients que le premier précepte de leur célèbre religion est : « J’accepte le précepte de ne pas tuer », ils essayent hypocritement de s’absoudre de tout blâme moral en s’imaginant qu’ils ne sont pas responsables de la destruction de la vie à la place d’un autre. Car les bouddhistes qui mangent de la viande, du poisson et de la volaille justifient leurs habitudes diététiques dégénérées en recourant à l’argument spécieux que c’est le pauvre pêcheur, le boucher ou le chasseur qui est seul responsable de toute la tuerie. En conséquence, on maintient que les torts (akusala karma) ne sont acquis que par ceux qui font l’acte de tuer lui-même ! Ces bouddhistes sont durement indifférents au fait qu’ils aident ces malheureux groupes de personnes à amasser du karma défavorable pendant leurs occupations, prolongeant ainsi leurs souffrances dans le cycle des naissances et des morts (samsara).

Les consommateurs de viande et de poisson font faire l’abattage par d’autres à leur place au lieu de faire eux-mêmes l’action très dégoûtante de tuer qui résulterait inévitablement pour eux en une accumulation de mauvais karma ! Peuvent-ils se libérer réellement de leur culpabilité karmique en participant à l’abattage par procuration ? Les bouddhistes non-végétariens, hélas, ne parviennent pas à comprendre que l’action vicieuse et immorale de tuer reste un crime immoral qu’il soit commis par les non-végétariens eux-mêmes ou par les abatteurs professionnels rémunérés à leur service.

Bien que la lettre de l’enseignement permette la consommation de viande dans certaines circonstances, son esprit s’accorde plus avec le végétarisme qu’avec le non-végétarisme. Etant donné la grande importance que le Bouddha attachait à la bonté affectueuse envers tous les êtres vivants, c’est dommage qu’il n’ait pas pu enjoindre aux membres de son Ordre et aux disciples laïques d’éviter de manger de la viande en toutes circonstances. Nous avons vu qu’il autorisait la consommation de viande seulement si un animal n’avait pas été spécialement abattu. Pour les animaux impuissants qui souffrent l’agonie de l’abattage, quelle importance cela a-t-il s’ils sont tués spécialement ou non ?

En ce qui concerne le végétarisme, voyons s’il y a une contradiction morale dans l’enseignement du Bouddha ou non.

Ceux qui désapprouvent le végétarisme aiment citer l’Amaganda Sutta. Le mot « amaganda » signifie « la puanteur dégagée par la viande et le poisson ». Quand un brahmane affronte le Bouddha et se réfère aux conséquences mauvaises et dangereuses de manger de la viande et du poisson, le Bouddha réplique en se référant longuement à ce qu’il considère comme les vraies souillures morales comme la colère, l’ivresse, la tromperie, l’envie, l’orgueil, le non-paiement des dettes, la calomnie et autres défauts. La liste est très longue. Un certain nombre de versets spécifient des souillures morales. La plupart de ces versets se terminent par les mots « …voici la souillure (souillure morale) d’où se dégage la puanteur, non pas la consommation de viande ». Par exemple, « Si les gens sont sans pitié, médisants, causant du tort à leurs amis, sans cœurs, fiers, manquant de générosité — voici les souillures d’où se dégage la puanteur, non pas la consommation de viande » (Verset 244).

Quand on lit l’Amaganda Sutta pour la première fois, on en tire une impression superficielle d’attaque du végétarisme. C’est vrai dans un sens ; cependant le message sous-jacent est très clair — le végétarisme, bien qu’il ne soit jamais catégoriquement désapprouvé, n’est pas assez bon en soi. Une alimentation végétarienne pure restera toujours très peu satisfaisante, sauf s’il y a la pureté psychologique aussi. Cela n’a pas de sens de vivre sans viande et de considérer cette pratique comme un signe de pureté, si l’on a soi-même des souillures psychologiques en même temps.

Devadatta est connu dans le monde bouddhiste comme le cousin du Bouddha. Plus tard, il devenait son rival et son pire ennemi. Il décida d’affronter le Bouddha en demandant la réforme de l’Ordre des moines (Sangha).

Devadatta insista sur les cinq réformes suivantes :
Primo, les moines devraient vivre dans les forêts ;
Secundo, les moines doivent vivre uniquement d’aumônes et même refuser les invitations des laïques à des repas ;
Terio, les moines doivent porter des haillons ;
Quarto, les moines doivent vivre sous les arbres et ne jamais entrer dans des pièces.
Quinto, les moines doivent s’abstenir de la viande et du poisson.

Sa dernière proposition était un plaidoyer en faveur du végétarisme. En gros, Devadatta réclamait le retour à la vie ascétique des mendiants des forêts.

Au grand déplaisir de Devadatta, le Bouddha refusa l’ensemble des propositions. La décision du Bouddha a été souvent mal interprétée comme un refus du végétarisme. Ce que le Bouddha a rejeté est l’ensemble des propositions : c’était le cas d’accepter toutes les propositions ou de les refuser en totalité. Si Devadatta n’avait insisté que sur le végétarisme, laissant de côté les quatre autres propositions, le Bouddha l’aurait probablement accepté. En conséquence, la décision du Bouddha à cette occasion n’était pas nécessairement un signe de son opposition à la pratique du végétarisme.

Il faut considérer cette question du point de vue qu’aurait pu avoir le Bouddha. Vu les circonstances, il devait rejeter l’ensemble des propositions ce qui, si une suite avait été donnée, aurait signifié la destruction du système monastique que le Bouddha tenait à maintenir. Si le Bouddha avait accepté la quatrième proposition de Devadatta, que les moines doivent vivre sous les arbres et ne jamais entrer dans des pièces, cette décision aurait porté un sérieux coup au système monastique.

Le Bouddha n’était pas opposé à la pratique répandue de la méditation dans la solitude des forêts. Il l’encourageait. Mais en même temps, il voulait encourager le développement des monastères de moines. Il admettait le don de parcs pour l’établissement de communautés religieuses où les moines pourraient méditer à l’intérieur d’un bâtiment. Chaque moine n’a pas la résistance physique pour vivre seul dans la forêt, surtout sans toit, à la belle étoile. Un cas d’espèce est la santé fragile des moines vieux et frêles. Il devint courant que les moines cherchent asile et protection contre les éléments, surtout pendant la mousson. Même les ascètes errants jains qui vivaient dans les forêts au début, se sont ralliés au système monastique.

De nos jours, les moines qu’ils soient bouddhistes ou jains sont libres de vivre dans les forêts, s’ils le souhaitent. Ce que le Vénérable Sariputta, le disciple principal du Bouddha, avait à dire à ce sujet est remarquable : « Pour celui dont les sens sont maîtrisés, être abrité sous un toit ou dans la forêt est sans importance, car il peut méditer partout. »

Il faut insister sur le fait que pendant la dernière partie de sa longue et illustre vie, le Bouddha condamnait catégoriquement la consommation de viande.

Dans la version sanscrite du Mahaparinirvana Sutra le Bouddha déclara : « Je donne instruction aux disciples qu’à partir d’aujourd’hui ils devraient arrêter de consommer de la viande. »

Cette instruction importante manque mystérieusement dans la version pali de ce sutra. En conséquence, certains commentateurs ont mis en doute l’authenticité de la version sanscrite et ont même supposé que cette déclaration particulière ait été intercalée dans ce sutra. Au contraire, il y a de bonnes raisons de suspecter que cette déclaration importante a été supprimée délibérément de la version pali par des non-végétariens amateurs de viande.

Après qu’un moine a renoncé à regret aux plaisirs de la vie sociale, réprimant son aspiration à un foyer et à l’excitation éphémères des plaisirs sensuels, s’il y en a, que lui reste-t-il pour le soutenir psychologiquement pendant les années solitaires de sa vie monastique ? Comme le reclus sans joie n’a pas pu jusqu’à présent trouver le bonheur de l’Illumination, il a tendance à considérer naturellement un plat de viande comme le seul plaisir qui lui reste ! Ceux qui désirent ne fussent qu’une petite tranche de viande, seraient tentés d’enfreindre la règle pour pouvoir satisfaire cette envie et assouvir ainsi leur instinct animal profondément enraciné pour la chair. Au fond, l’homme est un animal, ce qui explique son besoin de justifier après coup sa violence et sa colère (Dosa) et en particulier sa passion sauvage de manger la chair dégoûtante d’animaux morts. Quelles raisons étranges ont été invoquées au cours des siècles pour entretenir le désir (Tanha) et particulièrement le désir gourmand de la chair animale ! Plutôt que de manger des carcasses au curry, pourquoi ne pas vivre d’un sain régime végétarien de lait, de fromage, de yaourt, de noix, de céréales, d’épices, de fruits et de légumes ? La nourriture végétarienne apaisante serait mieux en harmonie avec un mode de vie austère que la nourriture excitante des créatures carnivores tels que chiens et chats ; de plus, cela combattrait la tendance de beaucoup de moines à devenir obèses et paresseux.

Le Lankavatara Sutra consiste en l’avis donné au Bodhisattva Mahamati par le Bouddha sur l’abandon du désir de viande. Ce sutra explique bien pourquoi il faudrait être végétarien. Des vingt-quatre raisons invoquées contre la consommation de viande, les suivantes sont frappantes :

« La viande est la nourriture des carnivores et son odeur donne la nausée. Je te le dis, Mahamati, n’en mange pas. Manger de la viande n’apporte aucun mérite : l’éviter est méritoire. Mahamati, tu devrais comprendre les effets néfastes que les mangeurs de viande attirent à eux-mêmes. »

« Le yogi doit s’abstenir de manger la chair car il provient lui-même de la chair et aussi parce que les tués doivent souffrir terrorisés. »

« La consommation de viande conduit à l’arrogance, qui cause de fausses pensées, ce qui, à son tour, conduit à l’avidité. L’esprit est abruti par l’avidité. Après, il y a l’attachement à l’abrutissement et en conséquence il n’y a pas de libération du cycle des naissances et des décès. »

« Des êtres sensibles sont abattus par les gens pour l’argent. D’autres achètent la viande. Ce sont des malfaiteurs tous les deux et leurs mauvaises actions donneront de mauvais résultats en enfer. »

« La consommation de viande est contraire aux paroles de l’Eveillé. Les consommateurs de viande ont un mauvais esprit. De tels malfaiteurs sont déstinés à l’enfer le plus horrible. »

« Aucune viande ne peut être considérée comme pure, même pour ces trois raisons — quand la viande n’est pas préméditée, pas requise et pas obligée. En conséquence, évitez de manger de la chair. »

« Les Bouddhas et moi interdisons la consommation de viande. Des êtres sensibles qui s’entre-dévorent renaîtront en animaux carnivores. »

« Les consommateurs de viande puent. Ils ne méritent aucun respect. Ils manquent d’intelligence. »

« Les Bouddhas, les Bodhisattvas et les Sravakas condamnent la consommation de viande. »

« Ceux qui évitent la viande renaîtront brahmanes ou yogis dotés de savoir et de richesses. »

« Le désir est aussi bien un obstacle à l’Illumination que la consommation de viande ou d’alcool. »

« Dans le futur, il pourrait y avoir des gens qui feront remarquer sottement : ‘il est convenable de consommer de la viande, il n’est pas répréhensible. Le Bouddha l’a permis’. »

« A tous ceux qui ont de la compassion, je leur interdis de manger de la viande partout et à tout moment. Les mangeurs de viande renaîtront sous la forme de lions, de tigres, de loups et d’autres animaux carnivores. »

« En conséquence, abstenez-vous de manger de la viande car vous éprouverez une peur extrême. Ce sera aussi un obstacle à votre Emancipation. Une telle abstinence est l’empreinte du sage. »

********************

Divers bouddhistes et érudits bouddhistes ont débattu furieusement la question de savoir si la maladie grave précédant la mort du Bouddha a été aggravée par la consommation de porc (comme le maintiennent les non-végétariens) ou par l’absorption de truffes (comme le prétendent les végétariens). La vérité à ce sujet pourrait rester toujours obscure ou inconnue. En vérité les archives de la vie et des préceptes du Bouddha sont enveloppées d’un brouillard de légendes, d’interpolations et d’omissions. Toutefois, des rayons de lumière parviennent à percer le brouillard et à nous faire entrevoir ce que l’enseignement original aurait pu être, comme le montrent les lignes suivantes du Dhammapada :

« Tous craignent le bâton ; tous craignent la mort.
Tenant compte de cela,
On ne devrait jamais tuer, ni provoquer la mort. »
(Verset 129)

« Tous craignent le bâton ; tous aiment la vie.
Tenant compte de cela,
On ne devrait jamais tuer, ni provoquer la mort. »
(Verset 130)

Par conséquent n’incombe-t-il pas à chaque être consciencieux de ne manger que la nourriture dans la production de laquelle « on ne tue pas, ni provoque la mort » ?

CONCLUSION

Il existe des preuves nombreuses que le Bouddha âgé dénoncait la consommation de viande dans le message transmis à la postérité par le Mahaparinirvana Sutra et le Lankavatara Sutra. Pourquoi faisait-il une volte-face à ce sujet avant de mourir ? Evidemment, il se rendait compte qu’il s’était trompé. Il faut rendre hommage à l’humilité, l’honnêteté et l’intégrité du Bouddha qu’il s’était repris. Il donna ainsi de nouvelles directives concernant la nourriture pour le plus grand bien des moines et des laïques.

La question de savoir si la viande peut ou ne peut pas être consommée est très controversée. Il y a des textes bouddhistes qui justifient la consommation de viande, mais seulement sous certaines conditions. Mais le Lankavatara Sutra et le Dhammapada critiquent fermement la pratique cruelle d’abattre des animaux pour la nourriture. Le Lankavatara Sutra dénonce éloquemment le non-végétarisme en termes clairs.

Comment évaluer cette évidence ? Dans une telle situation, doit-on respecter le texte à la lettre ou considérer l’esprit de l’enseignement ?

Toute pensée, parole ou action qui provoque directement ou indirectement la destruction de la vie est sûrement contraire à l’esprit du Bouddhisme où l’accent est mis sur la pureté, la non-violence, la compassion et le respect de la vie. On doit par conséquent contester l’authenticité de tous les textes qui sont clairement opposés à l’esprit de l’enseignement mentionné ci-dessus. L’esprit du Dharma penche fortement en faveur du végétarisme.

Il est regrettable que si peu de gens soient émus par le triste état des pauvres animaux innocents et sans défense que les non-végétariens dévorent insouciamment. Ces créatures pitoyables pourraient avoir été nos anciens amis décédés ou nos chers parents disparus des vies antérieures. Les consommateurs d’animaux se rendent-ils compte que les morceaux goûteux de poisson, de mouton, de bœuf ou de poulet qu’ils aiment à manger, auraient pu venir de l’abattage cruel d’animaux qui furent leurs ancêtres dans des vies antérieures oubliées ? Se rendent-ils compte qu’ils sont, dans un sens, des cannibales ? Ressentent-ils même un peu de compassion pour les animaux souffrants qui s’attendent à être abattus ou qui sont sur le point d’être abattus ? En conséquence, n’est-il pas important que ceux qui ont suivi sans pitié ce régime atroce, réfléchissent soigneusement ? En faisant cela, ils devraient avoir à l’esprit les grandes vertus de bonté affectueuse (Metta) et de compassion (Karuna) non seulement envers les êtres humains mais aussi envers les non-humains.

Metta et Karuna sont deux des quatre Demeures Sublimes ou Divines (Brahma-Vihara). C’est en fait l’amour universel et sans limite pour tous les êtres sensibles incluant naturellement les divers animaux malheureux qui se retrouvent dans nos assiettes.

On peut en dire beaucoup pour soutenir la vie sans viande, cependant le végétarisme est beaucoup plus qu’une simple idéologie qui défend le droit de tous les animaux à la vie. Les gens sont végétariens pour des tas de raisons, mais le végétarisme ne devient l’expression de notre spiritualité que quand il est inspiré par la bonté affectueuse et la compassion. En d’autres termes, le végétarisme n’aura la qualité de spiritualité sublime que s’il naît des états intérieurs purs de la bonté affectueuse (Metta) et de la compassion (Karuna).

Références:

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

Daily Buddhist Devotions, by K. Sri Dhammananda 2nd edition
Kuala Lumpur : Buddhist Missionary Society, 1993

The Group of Discourses (Sutta Nipata) vol. II …by K.R. Norman
Oxford : Pali Text Society, 1995

The Lankavatara Sutra : A Mahayana Text, translated for the first time from the original Sanskrit, by Daisetz Teitaro Suzuki
Delhi : Motilal Banarsidass, 1999

La force de la psalmodie Paritta

Ceux qui ont faim de vérité sont libres de se promener dans le jardin gigantesque du Bouddhisme, d’apprécier sa beauté éthérée et de savourer ses nombreux fruits délicieux. On peut trouver là la Paritta, le fruit de la psalmodie qui guérit l’auditeur et soulage du cancer de la servitude samsarique.

Les Paritta ou « psalmodies de protection » sont très populaires dans plusieurs pays bouddhistes, tels que le Sri Lanka, la Birmanie et la Thailande. Les « Paritta » rassemble certains versets sacrés que l’on psalmodie à des occasions spéciales. Le livre de Parittas contient vingt-neuf extraits courts et longs des écritures canoniques en langue ancienne de pali, la lingua franca du bouddhisme Theravada. Bien que ces récitations soient faites habituellement par les moines (bhikkus) en public, les laïques sont néanmoins libres de les réciter en présence d’autres personnes ou en privé. A propos, personne n’a un droit exclusif sur l’enseignement (Dharma) car quiconque psalmodie les Paritta fait l’action noble d’exposer à nouveau et de soutenir avec sérieux les vérités éternelles qu’enseignait le Bouddha.

On croit que quand les paritta sont psalmodiées, des êtres célestes invisibles arrivent en foule non seulement pour acquérir des mérites pour eux-mêmes, augmentant ainsi leurs réserves de bien ou de karma favorable, mais aussi pour partager la joie d’écouter les discours du Bouddha. Ils écoutent respectueusement comme si le Bouddha lui-même était à leurs côtés.

Les habitants de Vesali, cité autrefois prospère, vivaient de mauvais jours. Leur triste situation s’était aggravée à cause d’une famine qui faisait de nombreuses victimes parmi les habitants pauvres. La peste qui suivit causa encore plus de morts. La puanteur des corps en décomposition attirait les esprits mauvais. La situation était complètement incontrôlée. Lorsque les nobles Licchavi apprirent la présence du Bouddha à Rajghat, en désespoir de cause, ils invitèrent le Maître. Le Bouddha traversa le Gange, accompagné d’un grand nombre de moines et de son disciple favori, le Vénérable Ananda, et arriva à Vesali. Plein de compassion pour les malades et les souffrants, le Bouddha entra dans la ville empestée. Dès qu’il eut franchi l’entrée de la ville, la pluie commença à tomber dru. Des torrents de pluie entraînèrent les boues et les morts. L’air se purifia. Sur ce, le Bouddha psalmodia le Ratana Sutta à Ananda, lui donnant l’ordre non seulement de faire de même pour la protection des habitants, mais aussi d’asperger les rues de la ville avec l’eau sacrée de la sébile qui appartenait au Bouddha. Les esprits mauvais quittèrent la ville, la peste disparut et la vie reprit son cours normal.

Le Ratana Sutta est aussi beau que profond. Il est trop long pour être reproduit entièrement, mais ce verset donne un exemple de sa saveur :

Khinam puranam
navam natthi sambhavam
Viratta citta ayatike bhavasmin
Te khina-bija avirul-hicchanda
Nibbanti dhira yatha-yam padipo
Idampi sanghe ratanam panitam
Etena saccena suvatthi hotu

Leur passé est éteint,
Il n’y a pas de nouveau devenir,
Leurs esprits ne sont pas attachés à
Une naissance prochaine, leurs désirs ne grandissent pas;
Ces sages là s’éteignent même comme cette lampe.
Ce bijou précieux se trouve dans le Sangha.
En raison de cette vérité
Puisse-t-il avoir du bonheur!

Quand les écritures pali sont psalmodiées lentement et d’un ton sonore par des moines, même si elles ne durent que quelques heures ou toute la nuit, les auditeurs laïques éprouvent fréquemment une merveilleuse sensation de bien-être. Il y a un apaisement notable des nerfs, en particulier chez les auditeurs souffrant de troubles mentaux et émotionnels. Les avantages médicaux de la Paritta sont innombrables. La Paritta peut hâter la guérison. Par exemple, quand un psychiatre de mes amis en Nouvelle-Zélande se plaignit que certains de ses patients étaient violents et incontrôlables, je lui donnai une cassette de quelques récitations Paritta qu’il passa plus tard à ses patients. Il m’informa que la plupart des malades mentaux avaient été guérie, grâce aux Paritta. On psalmodie aussi les Paritta aux grandes occasions comme en s’installant dans une nouvelle maison ou avant de partir pour un long voyage. La simple audition de ces vers sacrés remonte le moral de beaucoup d’étudiants anxieux avant les examens. Pour cette raison les Paritta sont aussi psalmodiées quand on prend un nouveau travail.

La Paritta est populaire principalement parce qu’on croit généralement à l’effet thérapeutique de l’audition des versets sacrés. La grande majorité pense que le simple fait d’entendre le son de phrases sélectionnées scripturales les aiderait, presque de façon magique, à se protéger du danger, des maladies et d’autres ennuis.

Les lecteurs sont invités à se référer à la page 23 de ce livre où le texte de l’Angulimala Paritta est donné. Cette Paritta est psalmodiée d’habitude en présence d’une femme enceinte pour lui assurer un accouchement indolore.

La Paritta fait-elle partie du japa ? En règle générale, les bouddhistes sérieux ne pratiquent pas la répétition laborieuse, comme des perroquets, de mots ou de phrases dans l’intention d’atteindre des états de conscience altérés qui sont par nature non seulement de courte durée mais aussi provoqués par soi-même. Cela ne les intéresse pas terriblement de jouer avec l’esprit, car ils préfèrent transcender une fois pour toutes, le champ entier de la conscience elle-même. Il est infiniment plus important d’aller au-delà de l’esprit que d’utiliser l’esprit à des fins comme éprouver la béatitude ou avoir des visions.

Nous avons vu quelques avantages à écouter la Paritta. Mais tous les bénéfices de Paritta sont secondaires par rapport à son but principal qui est l’expression de certains principes éthiques et vérités philosophiques. La force de la Paritta consiste uniquement en ces vérités éternelles contenues dans ces beaux versets. La compréhension de ces vérités est le seul, le facteur le plus important d’Illumination.

Dans leur longue quête de l’Illumination, les sadhakas ont trouvé nécessaire de fuir la société et de chercher refuge dans des havres de tranquillité. Même ceux qui ne sont pas ermites ressentent de temps en temps le besoin de s’évader du tempo croissant de la vie moderne. Quel est le meilleur endroit pour entrer en retraite quand on s’engage sérieusement dans l’exploration interne ? Des maisons et des pièces silencieuses, des grottes calmes, des sommets de montagne paisibles, des plages désertes, des bords de rivière isolés et des endroits écartés à la compagne conduisent tous à la contemplation et à la méditation. Il est significatif que les yogis et les rishis sont naturellement attirés par des endroits déserts où sourit la nature et règne le silence.

A l’époque du Bouddha dans l’Inde ancienne cinq cents moines se retirèrent dans la jungle avec l’intention de méditer. Ils ne purent malheureusement trouver la paix intérieure. Les pauvres moines étaient dérangés et effrayés par certains esprits. Ils avaient une peur tellement bleue qu’ils allèrent raconter leur problème au Bouddha. Le Bouddha prononça alors le Karaniya Metta Sutta. Le Bouddha leur demanda de s’armer du sabre de la bonté affectueuse (Metta) et de retourner dans la forêt. Les moines firent le nécessaire, en combattant les mauvais esprits par l’amour altruiste ; ils rayonnaient la bonté affectueuse vers les esprits qui regrettèrent ensuite ce qu’ils avaient fait. En fait les esprits présentèrent même leurs respects aux moines.

L’essentiel de ce discours est que rien ne peut dépasser la force pénétrante de l’amour qui s’appelle « bonté affectueuse » dans la terminologie bouddhiste. Les pensées et émotions primitives dues à la haine, la revanche, les représailles et la violence n’ont pas place dans un cœur rempli de bonté affectueuse. Cela pourrait sembler irréalisable, mais la bonté affectueuse est la réplique bouddhiste à la violence et à la guerre. La bonté affectueuse est capable de dominer les mauvaises actions des autres. Cela peut sembler bizarre mais il est vraiment possible de rayonner la bonté affectueuse et d’aider par cela à faire disparaître la colère des autres.

Le Vénérable K. Sri Dhammananda a traduit du pali en anglais le Karaniya Metta Sutta qui est souvent psalmodié.

Karaniya Metta Sutta

1
Celui qui est habile à faire le bien et
Qui souhaite atteindre cet état de calme
(Nibbana) devrait agir ainsi.
Il devrait être capable, droit, parfaitement droit,
Obéissant, doux et humble.

Karaniya mattha kusalena
Yantam santam padam abhi-samecca
Sakko uju ca suju ca
Suvaco cassa mudu anatimani

2
Satisfait, facile à soigner,
(qui n’est pas une charge pour les autres)
Avec peu de devoirs, menant une vie simple.
Dont les passions sont maîtrisées, qui est discret, pas impudent ;
Pas cupidement attaché aux familles.

Santussako ca subharo ca
Appa-kicco ca sallahuka-vutti
Santindriyo ca nipako ca
Appa-gabbho kulesu ananu giddho

3
Il ne devrait pas causer le moindre tort,
Pour que d’autres sages ne puissent le critiquer.
Puissent tous les êtres être heureux et en sécurité,
Puissent leurs cœurs être purs.

Naca khuddham samacare kinci
Yena vinnu pare upava-deyyum
Sukhino va khemino hontu
Sabbe satta bhavantu sukhi-tatta

4
Il y a tous ces êtres vivants quels qu’ils soient ;
Faibles ou forts, grands, vigoureux ou moyens,
Petits, minces ou gros, visibles ou invisibles.

Ye keci pana bhu-tatthi
Tasava thavara va anava sesa
Digha va ye mahanta va
Majjhima-rassa-kanuka thula

5
Ceux qui habitent loin ou près,
Ceux qui sont nés et ceux
Qui vont naître.
Puissent tous les êtres, sans exception,
Avoir l’esprit heureux.

Dittha va yeva addittha
Ye ca dure vasanti avidure
Bhuta va sambhavesi va
Sabbe satta bhavantu sukhi-tatta

6
Ne laissez personne décevoir une autre ni mépriser
Qui que ce soit à n’importe quel endroit.
Dans la colère ou la malveillance,
Ne le laissez pas souhaiter du mal à un autre.

Na paro param nikubbetha
Nati-mannetha katthaci nam kanci
Byaro-sana patigha-sanna
Nanna-mannassa dukkha-miccheyya

7
Juste comme une mère protègerait son
Unique enfant au péril de sa vie,
C’est de la même façon qu’il cultive un cœur immense
Vers tous les êtres.

Mata yatha niyam puttam
Ayusa eka-putta-manu rakkhe
Evampi sabba bhutesu
Manasam-bhavaye apari-manam

8
Laissez pénétrer des pensées d’amour sans limites
Dans le monde entier ; au-dessus, en dessous et à travers,
Sans obstacles,
Sans haine, sans inimitié.

Mettanca sabba lokasmin
Manasam-bhavaye apari-manam
Uddham adho ca tiriyanca
Asam-badham averam asa-pattam

9
Qu’il soit debout, marche, s’assied ou se couche,
Aussi longtemps qu’il est éveillé,
Il devrait développer cette présence attentive.
Ceci est la conduite la plus Haute ici, disent-ils.

Tittham caram nisinno va
Sayano va yava tassa vigata middho
Etam satim adhittheyya
Brahma metam viharam idha-mahu

10
Ne tombant pas dans l’erreur,
Vertueux et doué de perspicacité,
Il abandonne l’attachement aux désirs sensuels.
En vérité, il ne revient plus ;
Pour être conçu dans une matrice.

Ditthinca anupa gamma silava
Dassa-nena sampanno
Kamesu vineyya gedham
Nahi jatu gabbha seyyam punaretiti

Par la ferme résolution de cette vérité
Puis-je être toujours bien.

Etena sacca vajjena
Sotthi me hotu sabbada

********************

Ceux qui montrent de la malveillance envers les autres sont incapables de rayonner la bonté affectueuse, de là le besoin élémentaire de purification de soi. Au cours de ce long voyage intérieur d’exploration de soi, on se débarrasse inévitablement des traits de caractère indésirables, des frustrations, de la rancune, des ambitions, des aversions, de l’avarice et d’autres défauts. Ce n’est qu’après avoir écarté ce bagage psychologique inutile que l’on est prêt à voyager léger et à aller très loin.

D’après le Mettanisamsa Sutta, la présence de la bonté affectueuse procure un sommeil paisible, un lever paisible et l’absence de rêves perturbateurs ; on devient aimable aux humains et aux non-humains ; on est protégé des divinités ; le feu, le poison et les armes ne feront pas de mal ; l’esprit devient calme et le visage radieux ; il y a la clarté mentale à la mort ; si l’état d’Arhat n’est pas atteint dans cette vie, la renaissance dans un monde de Brahma a lieu.

Bien que les écritures fassent mention des avantages de la bonté affectueuse, dans un sens il est dangereux d’être influencé par la connaissance de ces avantages, quand on exprime sa bonté affectueuse. A moins qu’il n’y ait une indifférence totale aux bénéfices de ses actions, du nouveau karma est créé. Seules les actions désintéressées, sans arrière-pensées sont pures et ne sont pas corrompues par les souillures du karma. Le Bouddha a expliqué clairement que tout acte volontaire crée du karma : « Je déclare que la volonté (chetana) est du karma ». On peut dire pratiquement que seules les actions qui sont les épanchements spontanés du cœur et de l’esprit purifié, sans motifs cachés, sans aucune espérance de récompense ou de mérite, portent la marque d’une bonté affectueuse authentique. L’amour pur n’attend pas de récompense d’avoir aimé. L’amour altruiste, s’il existe, est sa propre récompense.

Références :

Daily Buddhist Devotions, by K. Sri Dhammananda 2nd edition
Kuala Lumpur : Buddhist Missionary Society, 1993

Buddha Vandana : A Book of Buddhist Devotions
Los Angeles : Dharma Vijaya Buddhist Vihara, 1990

The Buddha and His Teachings, by Narada
Colombo : Vajirarama, 1973

The Seeker’s Glossary : Buddhism. 2nd edition
New York : Sutra Translation Committee of the US and Canada, 1998

Notre dette de gratitude envers nos parents

Nos parents ont contribué à beaucoup améliorer nos vies. Nous leur devons nos existences mêmes et ainsi nous leur serons toujours redevables. Peut-on se libérer de cette dette ?

Nombreux sont les actes de dévouement des parents. Ils sacrifient leur temps, leur énergie et leur argent pour que leurs enfants aient l’avantage d’une bonne éducation ; ils assurent le nécessaire comme la nourriture, l’habillement, l’abri et plus encore pour que leurs rejetons vivent confortablement ; quand des épidémies se déclarent, ils soignent leurs enfants malades ; ils aiment réconforter leurs fils et leurs filles démoralisés ; ils conseillent constamment les enfants qui ont des problèmes psychologiques ; les parents riches et prévenants bâtissent parfois des logis spéciaux de vacances pour leurs enfants ; et surtout, les parents consciencieux donnent aux enfants de la lecture spirituelle stimulant ainsi leur intérêt à mener une vie moralement bonne et honnête.

Les parents actuels doivent dissuader les jeunes de s’adonner aux drogues hallucinogènes, au tabac et à l’alcool. Ils devraient à la jeune génération à éviter les jeux d’argent comme la peste. Les parents ne feraient pas leur devoir s’ils n’expliquaient pas à leurs enfants que la promiscuité est mauvaise pour la santé ; elle est aussi contraire aux valeurs morales traditionnelles. On entend souvent l’expression « devenir de fiers parents » comme si l’action d’engendrer un enfant était une grande réussite ! N’importe quelle bête en fureur qui couche avec n’importe qui peut devenir père plusieurs fois. Tandis que n’importe quel homme qui se conduit de manière irresponsable peut produire une progéniture et négliger d’en prendre soin après, seuls les parents ayant un grand sens de leurs responsabilités pourraient jouer un rôle important pour introduire une dimension spirituelle dans la vie des enfants dont ils ont la charge.

Nous vivons dans un monde laxiste dans lequel le mariage est en plein déclin. A cause de problèmes matrimoniaux et pour diverses autres raisons, le nombre de divorces augmente, ce qui, à son tour, mène aux familles monoparentales. Dans de telles familles, à condition qu’une personne joie le rôle de père et de mère ensemble, l’enfant a un sentiment de privation plus ou moins diminué. De la même façon, un enfant sans parents biologiques n’éprouve pas nécessairement un sentiment de perte aussi longtemps qu’un garçon ou une fille dans cette situation est comblé l’affection et qu’il ou elle reçoit un appui inébranlable. Dans nos sociétés soi-disant civilisées, il y a aussi, hélas, des milliers d’enfants qui ont perdu leurs parents dans des guerre. Ces enfants pitoyables sont un témoignage éloquent de notre amour de la violence et de notre barbarie fondamentale. C’est la preuve que nous sommes tout sauf des êtres doux et aimables. A propos, quel droit moral avons-nous de procréer étant donné notre méchanceté ?

Ce n’est pas par choix qu’on est né dans une famille bien particulière. Nous ne pouvons pas choisir nos parents ou notre famille. Nous ignorons les raisons karmiques par lesquelles quelques-uns ont des parents biologiques tandis que d’autres ont des parents adoptifs. Le fait que nous n’ayons rien à dire en cette matière en dit long sur le mécanisme de la loi du karma. Il est possible que nous ayons été en contact direct avec nos parents pendant des vies antérieures, soit comme nos plus proches parents, soit comme nos plus proches amis. Il est bien connu que des liens forts entre les gens créés dans des vies passées peuvent continuer dans des vies présentes et futures.

Nous avons jusqu’à présent évoqué la question des devoirs des parents envers leurs enfants, mais le sujet beaucoup plus important est le suivant : Quelle est la manière la plus parfaite de faire son devoir envers les parents âgés ? A propos, l’expression « faire son devoir » est courante, mais elle laisse sous-entendre un certain manque de chaleur humaine. Il est donc nécessaire de poser la question : Est-ce que je prends « soin » de mes parents seulement par devoir ou est-ce que je m’inquiète sincèrement au sujet de mes parents par un amour profond ? En d’autres mots, est-ce que je m’oblige à prendre « soin » de mes parents simplement pour éviter un problème de conscience ?

J’avais fait la connaissance d’un avocat à succès d’un certain âge qui appelait grossièrement ses parents « cette vielle » et « ce vieux ». Après s’être querellé avec eux il avait quitté la maison pendant son adolescence. Quand sa chère mère devint la maîtresse de son patron, son père se sépara d’elle et se mit à boire. L’avocat traitait ses parents avec mépris et évitait de les fréquenter, même en temps de crise. Lorsque son pauvre père eut une grave attaque cardiaque, il refusa de lui rendre visite à l’hôpital. Il aurait pu au moins offrir quelques paroles de consolation à son père malade. Quand je conseillais fortement à l’avocat d’oublier les erreurs du passé de ses parents et lui montrais l’importance du pardon, il commença à argumenter comme s’il était devant la cour. Finalement, il me demanda de m’occuper de mes propres affaires ! On ne doit jamais garder rancune à tout être humain, en particulier à ses parents, même s’ils sont dans un état de dégradation morale extrême.

Le Bouddha enseignait que les parents doivent être traités avec le respect qui leur est toujours dû :

« Ces familles, oh moines, vivent avec Brahma, là où les parents sont respectés par leurs enfants. Ces familles vivent avec les anciens maîtres là où les parents sont respectés par leurs enfants. Ces familles vivent avec les anciennes divinités là où les parents sont respectés par les enfants. Ces familles vivent avec ceux qui sont dignes de vénération, là où les parents sont respectés par leurs enfants.

‘Brahma’, moines, signifie père et mère. ‘Les anciens maîtres’ signifie père et mère. ‘Les anciennes divinités’ signifie père et mère. ‘Ceux qui sont dignes de vénération’ signifie père et mère. Pourquoi ? Parce que les parents sont d’un grand secours pour leurs enfants, ils les élèvent, les nourrissent et leur font découvrir le monde. »
Anguttara Nikaya IV 63

Le Vénérable Sariputta et le Vénérable Moggallana étaient les deux disciples principaux du Bouddha. On se souvient particulièrement de Moggallana à cause de ses pouvoirs psychiques ; il surpassait tous les autres moines dans ce domaine. La raison karmique du décès tragique de Moggallana remonte à son meurtre de ses père et mère dans le passé.

Dans une de ses vies antérieures Moggallana avait une jeune femme qui voulait malheureusement à tout prix se débarrasser de ses beaux-parents vieux et aveugles (les parents de Moggallana). La légende dit qu’elle était très jalouse de l’attention que son mari portait à ses parents malades et âgés au lieu d’être elle-même l’objet de son attention. Donc quand elle lui ordonna de tuer ses parents, il hésita d’abord mais fut d’accord plus tard de le faire. Un matin, il emmena secrètement ses parents dans un chariot vers une forêt et les abandonna. Quelques temps après, il revint au même endroit et commença à imiter les bruits et les voix d’une bande de voleurs ! Ensuite, en battant ses parents il chercha à donner l’impression que des voleurs étaient les auteurs de l’attaque. Il trompait ainsi ses parents qui ne se doutaient de rien. Puisqu’ils étaient aveugles ils crurent que leur fils était toujours avec eux.

« Fuis, fils, fuis maintenant » ils lui crirent, le prévenant ainsi de se protéger des voleurs. Comme ils aimaient Moggallana !

Quel paradoxe, il battait ses parents à mort et au même moment ses parents essayaient de protéger la vie de leur fils !

En dépit de son rang spirituel élevé comme Arhat, Moggallana avait dû payer cher le meurtre de ses parents dans une vie antérieure. Personne ne peut éviter la puissance implacable de la loi du karma. Moggallana pouvait échapper à deux reprises à une attaque de brigands dans sa dernière vie. Grâce à ses pouvoirs surnaturels, il s’échappa par un trou de serrure. Mais à la troisième attaque, il décida de céder à leur violence. Moggallana savait qu’il devait se résigner à l’inévitable. La loi du karma était, pour ainsi dire, déterminée à venger Mogallana pour le terrible meurtre de ses parents dans une vie passée. Les brigands l’attrapèrent et le battirent durement. Il était presque mort mais il rencontra le Bouddha pour la dernière fois avant de mourir. En général, dans la plupart des pays civilisés, les parents sont très aimés et révérés par leurs enfants. Il est inconcevable que Moggallana ait soigneusement organisé et exécuté un crime aussi haineux.

Le Bouddha dit merveille des parents et nous rappella notre énorme gratitude à leur égard :

« Je déclare, oh moines, qu’il existe deux personnes que l’on ne peut rembourser. Lesquelles ? Sa mère et son père. »

« Même si l’on devait porter sa mère sur une épaule et son père sur l’autre, et ce faisant devrait vivre cent ans, atteindre l’âge de cent ans, et si l’on devait les oindre d’onguents, les masser, les baigner, frotter leurs membres, même s’ils y évacuaient leurs excréments — même ainsi on ne ferait pas assez pour ses parents, on ne les rembourserait pas. Même si l’on établissait ses parents seigneurs et souverains de cette terre si riche en les sept trésors, on ne ferait pas assez pour eux, on ne les rembourserait pas. »

« Mais, oh moines, celui qui encourage ses parents incrédules et les installe dans la foi ; celui qui encourage ses parents immoraux et les installe dans la vertu ; celui qui encourage ses parents avares et les installe dans la générosité ; celui qui encourage ses parents ignorants et les installe dans la sagesse — celui-là, oh moines, en fait assez pour ses parents : il les rembourse et fait plus que les rembourser pour ce qu’ils ont fait. »

Anguttara Nikaya II iv 2

Un dicton bouddhiste fameux dit que le don du Dharma dépasse tous les autres dons. Il n’y a pas une plus grande faveur que l’on peut faire à ses parents que de les conduire à l’enseignements de l’Eveillé. Dans les pays bouddhistes, il est très probable que les parents possèdent déjà une connaissance élémentaire du Dharma. Dans ce cas, leur intérêt pour le Dharma pourrait être stimulé et ainsi ils désireraient approfondir l’enseignement. On devrait leur offrir la littérature spirituelle et les conduire aux conférences, aux réunions et aux diverses sociétés où l’on discute de sujets bouddhistes. Les personnes âgées ne sont peut-être pas motivées pour étudier des sujets sérieux ou pour visiter des temples dans le but de converser avec des moines érudits et pieux. Cependant on peut les renseigner sur des forums de discussions intéressants sur la religion et sur des discours religieux (Bana sermons) à la radio. Les méthodes pour leur montrer le chemin de la pureté et de la vertu sont nombreuses.

Les conseils spirituels donnés par les fils et les filles à leurs parents ne sont peut-être pas entendus. Certains parents admettent difficilement que leurs enfants ont grandi. Dans cette situation, il est préférable d’enseigner par l’exemple plutôt que par des préceptes. Les parents pourraient aimer suivre leur progéniture, si cette dernière est un exemple de vertu, on ne sait jamais.

Si les parents ont l’habitude de ronchonner au sujet de leur santé ou de se plaindre de ceux qui les ennuient, on devrait naturellement les écouter, mais on devrait aussi leur dire que la souffrance fait partie du samsara. Si les parents sont avares et tiennent exagérément à leurs biens, on peut leur dire que la richesse acquise pendant la vie n’est pas destinée à être thésaurisée égoïstement, mais partagée de manière altruiste avec les pauvres et les méritants. Ils apprendront la générosité en voyant leurs enfants distribuer des aumônes non seulement aux nécessiteux mais aussi aux ascètes, aux moines et aux nonnes. On peut faire connaître aux parents la pure joie d’aider les sans-logis et les réfugiés des zones de guerre. Quand les parents remarquent que leurs enfants ont atteint le vrai bonheur en menant une vie chaste, ils penseront à leurs fredaines passées et regretteront leurs aventures extraconjugales. Ce sont généralement les parents qui prêchent à leurs enfants la vertu de s’abstenir de sexe, mais à certains moments les enfants peuvent convaincre leurs parents que la tranquillité de l’esprit est le fruit de la pureté morale.

Le souvenir de nos parents bien-aimés doit perdurer après leur décès ; ils ne doivent jamais être relégués dans les limbes des souvenirs oubliés, car c’est une tradition établie depuis longtemps dans les pays bouddhistes de se souvenir d’eux régulièrement. En leur nom, les gens font la charité ou donnent régulièrement des aumônes ; la nourriture est servie avec prodigalité aux moines, aux nonnes, aux amis, aux relations et aux animaux; le mérite de telles actions est alors transmis aux parents bien-aimés qui ne sont plus avec nous.

Quand de telles actions méritoires sont faites au bénéfice de parents décédés, de tout son cœur, on dit solennellement : « Que ma chère mère disparue et mon cher père disparu soient bien et heureux ! Où qu’ils soient maintenant, puissent-ils être plein de joie ! Puissent-ils atteindre le Nirvana ! »

Références:

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

The Buddha & His Disciples, by S. Dhammika
Singapore : Buddha Dhamma Mandala Society, circa 1990

The Pen Portraits of Ninety Three Eminent Disciples of the Buddha,
by C. De Saram
Colombo : Ceylon Readers Bookshop, 1971

Qu’est-ce le Nirvana ?

La réalisation du Nirvana ou la Libération spirituelle est l’aspiration religieuse de chaque bouddhiste. C’est le summum bonum : le bonheur suprême ou le plus haut.

Puisque l’absence de désir ou l’état d’être libre de tous les attachements est un des caractères principaux de cet état exalté du Nirvana, nous pouvons objecter philosophiquement tout au début de notre recherche : N’est-ce pas contradictoire de souhaiter l’absence du désir ? Les bouddhistes ne semblent-ils pas ridicules quand ils commencent à avoir un désir de cette dimension de Quiétude dans laquelle il n’y a pas du tout de désir ? Sera-t-il jamais possible par l’action d’un esprit conditionné d’atteindre le Non-conditionné ? Le problème est aggravé parce que la déclaration même « esprit conditionné » provient du conditionnement de l’esprit lui-même. Exprimée d’une autre manière, la question est : Etant donné le désordre égocentrique de l’esprit, pourra-t-il être complice du rejet une fois pour toutes de son propre karma ? De telles questions sont difficiles, voire impossible, à résoudre, en particulier, parce que la dimension spirituelle du Nirvana n’est pas perçue par l’intellect avec tous ses préjugés, ses prédispositions, ses souillures morales et autres corruptions. De la même façon, les questions relatives aux dimensions infinies de l’espace, à la nature du temps ou à l’éternité dépassent notre entendement. Nous pouvons néanmoins faire des suppositions sur ce qu’est le Nirvana, bien qu’elles soient inutiles dans un sens, car rien ne vaut sa propre expérience réelle de l’Illumination. Seuls des fous comme nous aimons discuter du sujet, mais à proprement parler, seuls les Bouddhas et les Arhats sont vraiment qualifiés pour parler du Nirvana.

Le mot sanscrit « Nirvana » signifie littéralement « soufflé », « éteint » (comme un feu ou une lampe), « couché comme le soleil », « calmé », « apaisé », « maîtrisé », « mort », « décédé », « perdu », « disparu », « immergé », « plongé » et « inébranlable ». Le mot pali « Nibbana » signifie : « fin du désir », « rafraichissement », « émancipation » et « la béatitude finale ». Tous ces mots méritent d’être pris en considération car ils communiquent un peu du parfum du Nirvana.

Dans la littérature bouddhiste l’état Nirvanique n’est souvent indiqué qu’indirectement. Il y a de nombreuses allusions fascinantes au Nirvana. Cela ne nous aide à penser au Nirvana qu’en termes abstraits. Est-ce réellement possible de décrire l’indescriptible ? La façon la plus sûre est de déclarer ce qui n’est pas le Nirvana plutôt que ce qu’il est en réalité.

L’asservissement au Samsara entraîne l’enchevêtrement dans le cycle douloureux des naissances et des morts. La douleur est inséparable de la vie. La souffrance est notre lot. Qui peut échapper aux griffes de la souffrance ? On souffre à la naissance et à la mort ainsi que pendant la vie elle-même. C’est symboliquement significatif que les enfants crient en quittant la matrice et en entrant dans ce monde soi-disant merveilleux. La séparation d’avec des êtres aimés cause de la souffrance ; la fréquentation de personnes désagréables amène de la souffrance ; on ne passe pas d’examens sans une certaine souffrance, et échouer à l’examen fait souffrir aussi ; ceux qui perdent leur emploi doivent souffrir, et l’on souffre même si l’on a réussi à trouver du travail et à gagner sa vie après ; les malaises physiques et mentaux des malades et des mourants sont des formes de souffrance. Les brefs répits de la souffrance se nomment « bonheur », mais ces périodes sont très courtes, hélas. La réalisation du Nirvana est suivie immédiatement de la fin des souffrances. Traversons donc le courant karmique du devenir. Sur l’autre rive du courant, il n’y a ni naissance, ni mort.

Un errant s’approcha un jour du Vénérable Sariputta, le disciple principal du Bouddha et lui dit : « Ami Sariputta, on dit ‘Nibbana’, ‘Nibbana’. Qu’est-ce que c’est le Nibbana ? »
Sariputta répondit : « La destruction de la convoitise, la destruction de la haine, la destruction de l’illusion : ceci, ami, s’appelle Nibbana ».
Samyutta Nikaya 38 : 1

En réponse à une question du brahmane méditatif Janussoni, le Bouddha lui-même déclara :
« Brahmane, quand quelqu’un est passionné par la convoitise… dépravé par la haine… troublé par l’illusion, confondu et entiché d’illusion, alors il fait des projets pour son propre mal, pour le mal des autres, pour le mal de tous ; et il fait l’expérience de la souffrance et du chagrin dans son esprit. Mais quand la convoitise, la haine et l’illusion ont été abandonnées, il ne fait pas de projet pour son propre mal, ni pour le mal des autres, ni pour le mal de tous ; et il ne fait pas l’expérience de la souffrance et du chagrin dans son esprit. De cette manière, brahmane, le Nibbana est directement visible, immédiat, l’invitant à venir voir, digne d’application, à connaître personnellement par les sages »
Anguttara Nikaya 3 : 55

L’enseignement est très clair. La fleur du Nirvana ne pousse que dans un sol où les mauvaises herbes de la convoitise, de la haine et de l’illusion ont été enlevées complètement. De plus, il est possible de trouver immédiatement l’Illumination spirituelle dans cette vie même, à condition évidemment de réussir à se purifier comme décrit plus haut.

Une connaissance approfondie de la doctrine d’Anatta est une condition préalable essentielle pour atteindre le Nirvana. Cet enseignement particulier rend le Bouddhisme différent de toutes les autres religions. Il faut étudier cette question avec patience et ouverture d’esprit parce que divers critiques ont fréquemment mal compris et dénaturé la doctrine d’Anatta qui représente la vérité fondamentale du non-ego, du non-moi ou de l’impersonnalité.

Avant de discuter la question de l’impersonnalité, soyons clairs concernant la signification exacte d’‘ego’ ou ‘personnalité’. Ou dans notre organisme psychophysique ou en dehors de lui, y a-t-il quelque chose qui est immuable, indestructible, existant en soi et éternel ? S’il y avait quelque chose qui est immuable, indestructible, existant en soi et éternel, nous pourrions lui attribuer la personnalité, la permanence et l’immortalité.

Avant d’étudier la combinaison esprit-corps que l’on appelle le « moi », considérons la composition de n’importe quel objet. Une bicyclette, par exemple, paraît être un objet existant en soi, mais en réalité, elle doit son existence à certains travailleurs qui, comme la bicyclette, sont soumis au changement, à la décrépitude et à la mort ou à la destruction qui s’ensuit. Ni la bicyclette, ni nos organismes psychophysiques ne peuvent exister pour toujours. Aucun n’a de vie éternelle. De plus, aucun n’a les qualités de personnalité et de permanence. Une bicyclette ne commence à exister que quand nous avons assemblé ses diverses parties comme le guidon, le cadre, la selle, les roues, les pneus, les pédales, la chaîne et les freins. La bicyclette n’est qu’un montage temporaire de pièces qui sont elles-mêmes sujettes au changement, à la décomposition et à la disparition. De même, toutes les parties constituantes de notre organisme psychophysique sont aussi soumises à l’altération et à la mort.

Nos esprits sont formés d’ensembles de concepts. Certaines pensées sont enfouies dans les profondeurs de la psyché, tandis que d’autres apparaissent facilement en surface. Le courant des pensées s’écoule sans arrêt comme les torrents d’une rivière agitée. Le courant s’arrête à peine, mais il est en mouvement constant. L’« esprit » semble certainement être dans un état de permanence alors qu’il est en réalité toujours en mouvement. Parce que nous ne sommes pas assez perspicaces, nous ne voyons pas que nos esprits ne sont rien de plus que des combinaisons de pensées constamment changeantes ; de là l’illusion que l’esprit est une entité permanente. Le concept d’« esprit » est un véritable mirage. Nous devons employer des mots tels que « esprit » et « je » pour faciliter le dialogue entre les personnes dans la vie quotidienne, mais du point de vue philosophique l’ « esprit » et le « je » n’ont pas d’existence réelle en tant qu’entités permanentes.

La libération rare appelée Nirvana ne devient possible que s’il y a un profond aperçu de la nature illusoire de l’esprit et de l’ego.

L’illusion de l’esprit est étroitement liée à l’illusion du « je », surtout parce que c’est au cœur de l’esprit qu’est conçu le « je » rusé ; c’est naturellement l’esprit qui fournit continuellement à l’ego la nourriture adéquate pour sa survie.

La pensée « je » est à la base de tout le mal. Au fond, le besoin d’exploiter les autres pour faire avancer ses projets égoïstes, provient de l’ego. L’égoïsme est le chemin vers l’acquisition de richesses, tandis que l’altruisme amène à la renonciation des richesses et à l’avènement d’une société altruiste et humaine. « Ma caste », « ma race », « mon pays », « ma famille » et toutes les autres pensées et émotions basées sur l’ego, n’ont pas seulement à travers l’histoire créé d’antagonisme entre des peuples amicaux mais ont conduit à des conflits sociaux, des carnages et des guerres. Si quelqu’un mérite d’être appelé « le diable » ou « le pécheur suprême », c’est sûrement le « je ». Une simple trace d’égoïsme suffit pour gâter n’importe quelle vertu sublime comme la charité, la générosité, l’affection ou la compassion. La soif de reconnaissance, de renommée, de puissance, de situation et de prestige de l’ego est si insatiable qu’elle rend les gens autoritaires, agressifs et impitoyables. La présence du « je » nous rend égocentriques : son absence totale, des saints altruistes.

Le Bouddha a fait un sermon sur le sujet étudié ci-dessus. Le Cularahulovada Sutta fut prononcé à Savatthi dans le parc d’Anathapindika pour son fils unique, le Vénérable Rahula. D’après les écritures, des milliers de divinités étaient présentes à cette occasion mémorable. Elles pensaient que l’Illuminé guiderait Rahula plus loin vers le Nirvana en l’aidant à détruire ses souillures.

Le Bouddha : « Rahula, qu’en penses-tu ? L’œil est-
il permanent ou éphémère ? »
Rahula : « Ephémère, Vénérable Maître. »
Le Bouddha : « L’éphémère est-il souffrance ou bonheur ? »
Rahula : « Souffrance, Vénérable Maître. »
Le Bouddha : « Ce qui est éphémère, souffrance et soumis au
changement convient-il pour être considéré
comme suit : ‘c’est à moi, ceci je suis, c’est moi-même’ ? »
Rahula : « Non, Vénérable Maître. »
Le Bouddha : « Est-ce que tous sentiments, toute perception…
toute conscience provenant de la vue est
permanent ou éphémère ? »
Rahula : « Ephémère, Vénérable Maître. »
Le Bouddha : « L’éphémère est-il souffrance ou bonheur ? »
Rahula : « Souffrance, Vénérable Maître. »
Le Bouddha : « Ce qui est éphémère, souffrance et soumis au
changement convient-il pour être considéré comme suit : ‘c’est à moi, ceci je suis, c’est moi-même’ ? »
Rahula : « Non, Vénérable Maître. »

Dans le même esprit, le Bouddha continua à demander s’il y a une chose telle que « mon moi » dans tous les autres organes de perception.

Le Bouddha : « Rahula, qu’en penses-tu ? L’oreille est-elle
permanente ou éphémère ? … Le corps est-il
permanent ou éphémère ? …Est-ce que tout
sentiment, toute perception, toute conscience
provenant du contact avec l’esprit… est permanent
ou éphémère ? »
Majjhima Nikaya 147

Le Bouddha attire l’attention sur le fait que tout ce qui est éphémère et sujet au changement, telles que toutes les expériences, pensées et sentiments de cet organisme psychophysique, étant donné leur caractère transitoire, ne peut être considéré à juste raison comme « c’est mon moi ».

Rahula se rendait compte de la vérité propre à l’enseignement du « non-moi ». Il devint désillusionné non seulement de ses organes de sens, mais aussi de tous les états de conscience. La désillusion quant au « je » ou au « moi » produisit un état de sérénité ou de calme. Il y avait la Libération ou l’état d’être libre de toutes les attachements qui est celui du Silence éternel. En cessant de s’accrocher à n’importe quoi, il atteignit la paix du Nirvana.

D’une certaine façon, la déclaration que le moi est réduit à néant et anéanti avec l’avènement du Nirvana est incorrecte. Le mot « annihilation » est un nom mal approprié parce que, en premier lieu, comment peut-on éliminer ce qui n’existe pas ? Avec le Nirvana, il semble que le moi disparaisse ou, plus précisément, il y a une découverte remarquable qu’il n’y ait jamais eu de moi.

Comme une vieille branche desséchée qui tombe brusquement d’un arbre, le moi illusoire tombe mort dès qu’il est transparent.

Bien qu’un récit verbal ne puisse jamais transmettre l’essence de cet état transcendantal et exalté du Nirvana, on peut en avoir un aperçu fascinant dans l’Udana, car le Bouddha, à la fin de sa vie, s’adressa à ses moines comme suit :

« Oh Bhikkus, il y a une demeure qui n’est pas née, qui n’a pas d’origine, qui n’est pas faite et qui n’est pas conditionnée. Oh Bhikkus, si cet état non-né, sans origine, sans forme et non-conditionné n’éxistait pas, alors il n’y aurait pas d’échappatoire de votre état actuel qui est sujet à la naissance, qui a une origine, qui est assemblé et aussi conditionné. Vous pouvez vous en extraire car il y a cette demeure absolument non-conditionnée qui n’est pas touchée par la causalité. »

L’état supramondain et impérissable du Nirvana est accessible ici et maintenant dans cette vie même ; il est, par conséquent, très différent de la conception d’un état éternellement heureux dans un royaume céleste qui se réalise seulement dans l’autre monde. Le Nirvana n’est ni le don d’un dieu, ni celui d’un Etre Suprême, mais simplement un fait sans cause : c’est-à-dire qu’il est en dehors du domaine de cause et effet (karma). Le Bouddha enseignait que tout acte volontaire crée du karma : « Je déclare que la volonté (chetana) est karma. » Alors qu’en sanscrit « chetana » peut signifier « conscience », en pali il y a le sens de « volonté ». Toute action motivée, déterminée par un trait de caractère psychologique crée du karma. Ce qui signifie que seules les actions pures, sans mobile, sont sans la souillure du karma. Les proverbes et les actes d’êtres libérés comme les Bouddhas et les Arhats sont absolument sans karma car ils proviennent de la dimension non-conditionnée nirvanique du purement être, qui est en contraste avec l’état conditionné du devenir karmique. Le Nirvana arrive quand la chaîne du karma se rompt une fois pour toutes. La création de karma s’arrête soudainement.

Toutes les choses sont soit conditionnées par des causes (Samkhata) soit non conditionnées par des causes (Asamkhata). Tout ce qui est conditionné est dirigé par trois caractéristiques — elles surviennent, elles disparaissent et elles changent. Donc chaque chose conditionnée est soumise au changement et à la disparition. Cette loi universelle s’applique à l’esprit et à la matière. Même la particule la plus petite dans l’univers est en état de « constant devenir », si l’on peut employer une expression aussi paradoxale. Mais seul le Nirvana, parcequ’il n’est pas conditionné par des causes, ne naît pas, ne change pas et ne meurt pas. En conséquence, il est acceptable de dire que le Nirvana est la seule Réalité : tout autre est irréel (Maya).

Le Nirvana est-il un état non-dualiste dans le sens védantin ? Le Bouddha explique qu’il y a dans le Nirvana une transcendance du « Domaine de ni Perception ni Non-Perception ». Cette réalisation va même au-delà de notre compréhension intellectuelle, surtout parce que nous ne sommes pas allés aussi loin.

Nirvana n’est évidemment pas seulement au delà de la non-dualité mais aussi au-delà de tous les états de conscience. On tire cette conclusion d’après la conversation entre Sariputta et son ami Udayi.

Sariputta : « Nirvana est le bonheur ! C’est le bonheur ! »
Udayi : « Comment peut-il avoir du bonheur s’il n’y a pas de
sensation ? »
Sariputta : « L’absence de sensation est elle-même du bonheur. »

Paradoxalement, l’expérience du Nirvana ne peut pas être ressentie parce qu’il n’y a pas de « ressenteur » ou de « je » à la ressentir.

Vaut-il mieux canaliser ses énergies vers l’extérieur ou vers l’intérieur pour trouver le Nirvana ? Vaut-il mieux chercher une aide extérieure et prier ou être tout à fait autonome et s’adresser à son intérieur ?

Le Vénérable Nagasena expliquait dans Les Questions du Roi Milinda que bien que le Nirvana ne soit pas situé à un endroit spécifique, le Nirvana est. De la même façon que le feu n’est pas emmagasiné à un endroit précis mais s’élève lorsque les conditions requises sont satisfaites, le Nirvana ne peut se trouver à un endroit particulier, mais il est atteint lorsque les exigences nécessaires sont acquises.

Aussi difficile que ce fût, Nagasena essaya de décrire le Nirvana dans une série de comparaisons :

« Comme une fleur de lotus reste sèche dans l’eau, le Nirvana reste sans taches et immaculée sans aucune souillure »

« Le Nirvana est comme l’eau qui enlève les souillures et dissout le désir »

« Le Nirvana est comme le remède qui guérit ceux qui sont empoisonnés par les souillures ; c’est un remède à la souffrance. Le Nirvana, c’est l’ambroisie — la nourriture des divinités qui assure l’immortalité »

« Le Nirvana n’a pas d’impuretés. Le Nirvana est comme l’océan puissant et sans limites ; comme l’océan qui ne déborde pas malgré les eaux des rivières qui s’y déversent, le Nirvana ne déborde pas à cause des êtres qui y entrent. Le Nirvana, la demeure des Arhats, est orné des fleurs de la pureté, de la sagesse et de la Libération. »

« Le Nirvana est comme la nourriture vitale capable de vaincre la vieillesse et la mort ; il augmente la force spirituelle ; il donne la beauté de la sainteté ; il efface les taches et les souffrances qui les accompagnent »

« Le Nirvana est comme l’espace qui ne naît ni ne meurt ; il ne disparaît pas d’un endroit pour réapparaître dans un autre ; il est invincible ; il ne peut être volé ; il reste non-attaché ; il est le domaine des Arhats ; personne ne peut barrer son chemin. Le Nirvana s’étend à l’infini »

« Le Nirvana est comme une pierre précieuse porte-bonheur qui donne beaucoup de joie. Le Nirvana a l’éclat d’une pierre précieuse »

« Le Nirvana est comme le bois de santal rouge qui est rare ; son parfum est incomparable. Le bois de santal rouge est acclamé par les bons ; de même, le Nirvana est loué par les Etres Nobles »

« Le Nirvana, comme le ghee, possède des qualités spéciales. Le doux parfum du ghee est comme le doux parfum de la vertu qui fait partie du Nirvana. Le goût délicieux du ghee est comme le goût délicieux de l’Illumination qui est le Nirvana »

« Le Nirvana est comme le haut sommet d’une montagne extrêmement élevée. Ce sommet du Nirvana est immuable. Il est inaccessible aussi en ce sens qu’il est hors d’atteinte des souillures. Là les souillures ne croissent jamais. Le royaume du Nirvana est libre comme le sommet de la montagne : il n’y a ici ni parti pris pour rien, ni parti pris contre rien »

Quand le bon roi demanda s’il n’y avait pas d’endroit où une personne pourrait atteindre le Nirvana, Nagasena répondit : « Oui, là où est la vertu. » A moins d’être ancré dans la vertu, il sera impossible de l’atteindre.

Puisque le Nirvana n’est réalisable qu’en nous-mêmes, il faut absolument se purifier entièrement et s’y préparer. C’est certainement le premier pas vers l’Ultime. Nous devons éliminer, comme déjà dit, tous les traits impurs accumulés depuis longtemps d’égoïsme, de jalousie, de haine, de désir, de méchanceté et d’orgueil. La liste des polluants psychologiques, pour ainsi dire, est longue. Plutôt que de spéculer sur l’Illumination, nous devrions au moins commencer la quête de celle-ci en mettant de l’ordre dans nos propres affaires.

Aucun mot ne peut communiquer la nature du Nirvana, mais un peu de son parfum est donné dans les extraits suivants, tirés de quelques sources bouddhistes importantes. On trouve dans l’Udana probablement la plus belle description du Nirvana, sous forme de déclarations négatives :

« Oh frères ! Il existe une demeure où il n’y a ni terre, ni eau, ni air. »

« Il y a une demeure, oh frères ! où il n’y a pas de monde à l’espace infini, ni monde d’intelligence infinie, ni monde de la cognition ou de la non-cognition, ni ce monde-ci, ni ce monde-là, ni soleil, ni lune. »

« Cette demeure, oh frères ! n’a ni arrivée, ni départ, ni naissance, ni mort. Elle n’a ni genèse, ni anéantissement et elle est au-delà de la pensée. C’est la fin du chagrin. »

« Cette demeure, oh frères ! n’est pas née, n’est pas créée, ne se manifeste pas et est sans conditionnement… Cette demeure est le Nirvana. »

D’après le Lankavatara Sutra « le Nirvana ne se découvre pas par une recherche mentale… »

Le Suttanipata affirme : « Ce moine sage, libéré du désir et des passions trouve l’immortalité, la paix, l’état immuable du Nirvana…les personnes inébranlables s’éteignent comme cette lampe… Où il n’y a rien, où rien n’est saisi, c’est l’Ile de Non-au-delà. Je l’appelle Nirvana — la disparition absolue de la vieillesse et de la mort. »

Le Samyutta-Nikaya essaie aussi de le décrire comme suit : « Le Nirvana est la fin du devenir…Il s’appelle Nirvana parce que le désir est abandonné. »

Dans l’Ariya Pariyesana Sutra le Bouddha contraste l’état passager des poursuites mondaines avec le Nirvana qui seul est éternel et qui par conséquent, vaut la peine d’être atteint. Il y a, dit-il, deux quêtes — la noble et l’ignoble. L’homme étant lui-même sujet à la décrépitude, aux maladies, au chagrin et à la mort, est enclin à poursuivre des choses ignobles comme le souhait d’avoir une femme, des enfants, des biens et d’autres plaisirs de ce monde. Toutes ces activités sont éphémères et transitoires. Mais la quête du Nirvana est noble car lui seul n’est pas sujet à la décrépitude, aux maladies, au chagrin et à la mort.

On suggère indubitablement que le Nirvana soit un état de bonheur immortel en contraste avec nos états d’insécurité, de malheurs et de souffrances qui accompagnent tous le samsara.

L’étymologie du mot « Nirvana » est « soufflé » : nir est le négatif et va signifie « souffler ». Communément, on compare le Nirvana à une lampe qui a été soufflée. Il n’y a certainement pas de « souffleur » ou de « je » qui souffle, mais il semblerait que la lampe s’éteigne volontairement faute de l’huile de l’illusion du « je » qui recherche continuellement sa propre continuité. Quand le « je » avec son processus concomitant du devenir cesse, il y a l’état de sans-« je ». Quand la perception n’est plus restreinte, pervertie et déformée par la vision étroite venant du « je », il reste l’état libéré et non-conditionné de la vision pure — la dimension de la Réalité où les choses sont vues comme elles le sont vraiment. Certains auteurs ont appelé cet état « annihilation ». Oui, les impuretés, les souillures ou taches morales ont été annihilées, mais à proprement parler, il n’y avait jamais d’entité permanente ou d’ « annihilateur » qui faisait l’action d’annihiler. Le « je » était-il annihilé ? Le « je » ne peut l’être parce que n’ayant pas été réel ou ayant été une simple illusion, il n’a jamais vraiment existé en premier lieu. Mais, dans un autre sens, le « je » avait existé, mais seulement comme une création de l’imagination.

Le Nirvana peut être décrit comme l’état extraordinaire de clarté dans lequel toutes les illusions ou non-faits sont entièrement disparus et ne reviendront plus jamais.

Le Nirvana est l’état suprême de libération totale dans lequel l’esprit n’est plus conduit par les demandes incessantes et insatiables de l’ego. Quand le sens d’être un individu est effacé, une certaine façon universelle de voir les choses apparaît. Il y a une intelligence non-entravée et une prise de conscience élevée. Surtout, le Nirvana peut être décrit comme cette naissance spirituelle par laquelle on rayonne naturellement et sans effort la compassion illimitée pour tous, parce que le petit « je » avec ses visées égoïstes n’est plus là.

Pendant des siècles, de nombreux savants, philosophes et moines ont discuté âprement sur la nature du Nirvana. Leur argumentation était invariablement basée sur leur conception de quelque chose qui ne peut être contenue dans les limites de simples concepts. L’esprit peut-il même imaginer un domaine de « au-delà de la pensée » qui est loin hors d’atteinte de l’esprit ? On voit immédiatement la futilité de spéculer sur le Nirvana car le fait de penser est une activité du processus conditionné de la pensée alors que le Nirvana seul est l’état non-conditionné pur. L’esprit ne peut que se mouvoir de pensée à pensée, du connu au connu, ce qui signifie que l’on doit traverser les limites du connu et réellement faire l’expérience du sublime que l’intellect ne peut jamais chercher et capturer.

Une opinion fort répandue dans le monde bouddhiste maintient que le Bouddha avait mis cinq cent vies à être parfait. On croit donc que, puisque le chemin du Nirvana est si long et ardu, il ne peut être atteint que par un processus d’évolution et de purification graduelle. Cette croyance a contribué malheureusement à une certaine léthargie chez les bouddhistes. En conséquence il paraît qu’il manque à beaucoup parmi eux un sens de l’urgence. Ils deviennent rarement sérieusement mécontents de leur asservissement douloureux et prolongé à la loi du karma. Il est donc réconfortant de trouver un verset dans les écritures qui dit que le Nirvana est accessible ici est maintenant dans cette vie elle-même :

« Le sage, qui est libéré du désir et qui jouit d’être libre d’attachement, qui a maîtrisé ses appétits, trouvera le Nirvana même dans ce monde »
Dhammapada 89

Qui a la patience d’endurer la souffrance pendant un temps indéterminé ? Réjouissons-nous qu’il y ait la possibilité d’une réalisation immédiate, d’une transformation spirituelle instantanée et, pour ainsi dire, en un clin d’œil. Donc, si nous ne trouvons pas la Libération, qui est l’Illumination, dans cette vie actuelle, nous ne pouvons nous en prendre qu’à nous-mêmes pour notre grande lassitude et pour notre manque d’enthousiasme pour le Nirvana.

Réferénces:

Buddhist Dictionary : A Manual of Buddhist Terms and Doctrines, by Nyanatiloka 3rd edition revised by Nyanaponika
Taipei : Corporate Body of the Buddha Educational Foundation, circa 1987

The Connected Discourses of the Buddha : A New Translation of the Samyutta Nikaya, by Bhikku Bodhi
Boston : Wisdom Publications, 2000

The Middle Length Discourses of the Buddha : A New Translation of the Majjhima Nikaya, by Bhikku Nanamoli and Bhikku Bodhi
Boston : Wisdom Publications, 1995

Anguttara Nikaya : Numerical Discourses of the Buddha …
Selected and translated …Nyanaponika Thera and Bhikkhu Bodhi
Walnut Creek (USA) : AltaMira Press, 1999

The Debate of King Milinda … edited by Bhikku Pesala
Delhi : Motilal Banarsidass, 1991

The Questions of King Milinda, translated by T.W.Rhys Davids
Delhi : Motilal Banarsidass, 1965

What the Buddha Taught, 2nd enlarged edition by Walpola Sri Rahula
Bedford : Gordon Fraser, 1972
The Dhammapada . Harmondsworth : Penguin Books, 1977
Sermons and Sayings of the Buddha, 2nd edition by Sudhakar Dikshit
Bombay : Chetana, 1977

Encyclopaedia of Religion and Ethics, edited by James Hastings
Edinburgh : T & T Clark, 1925-52

Buddha and His Message, by C. Jinarajadasa
Adyar : Theosophical Publishing House, 1948

The Reign of Law in Buddhism (Buddhist Essays) 2nd edition, by C.Jinarajadasa
Adyar: Theosophical Publishing House, 1948

The Buddha. His Democratic and Basic Human Rights, by Buddhadasa P. Kirthisinghe (In Contemporary Review March 1984)

The Buddha and His Teachings, by G.P.Malalasekera
Colombo: Lanka Bauddha Mandalaya, 1957

The Wisdom of the Early Buddhists, by Geoffrey Parrinder
New York : New Directions Publishing Corporation, 1977

The Great Religious Leaders, by C.F. Potter
New York : Simon and Schuster, 1958

Religions of India
New Delhi : Clarion Books, 1983

Early Buddhism, by T.W. Rhys Davids
London : Archibald Constable, 1908

Eastern Definitions by Edward Rice
New York : Doubleday, 1978

Sayings of Buddha
New York : Peter Pauper Press, 1957

Living Religions of the World, by Frederic Spiegelberg
London: Thames and Hudson, 1957

Hindu World , by Benjamin Walker
London : George Allen & Unwin, 1968
The World’s Great Religions
New York : Time, 1957

The Buddha and His Teachings, by Narada
Colombo : Vajirarama, 1973

Footprints of Gautama the Buddha, by Marie Beuzeville Byles
London: Rider, 1957

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